Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 9 juillet 1993), qu'une partie du personnel de l'Hôtel X... de Paris était rémunérée au pourboire, en exécution d'un accord collectif d'entreprise du 7 décembre 1984 ; que la société Marquis hôtels limited partnership (MHLP) ayant repris cet établissement a dénoncé l'accord le 21 novembre 1988 ; que les négociations engagées après cette dénonciation n'ayant pas abouti à la signature d'un accord de substitution, l'accord dénoncé a cessé de s'appliquer le 1er avril 1990 ; que l'employeur a alors fixé unilatéralement les conditions de rémunération en payant les salariés au SMIC ; qu'à la suite du refus des intéressés l'employeur a procédé à leur licenciement pour motif économique après avoir obtenu, pour les salariés protégés, l'autorisation du ministère du Travail ;
Sur le premier moyen :
Attendu que la société MHLP fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir décidé qu'elle était redevable envers les salariés demandeurs d'un rappel de salaire, de congés payés, de primes de repas s'il y a lieu, d'indemnités de préavis, y compris les congés payés correspondants, et d'indemnités de licenciement, d'avoir désigné un expert aux fins de procéder au calcul de ces rappels, étant précisé que les salaires devaient être calculés sur la base de la moyenne des salaires des douze derniers mois, et d'avoir dit que les condamnations prononcées à ce titre par le conseil de prud'hommes seraient maintenues, à titre de provision, tant que la cour d'appel n'aurait pas été en mesure de statuer au fond, dans la limite des 2/3 de leur montant alors que, selon le moyen, l'accord collectif prévoyant qu'une catégorie de salariés sera rémunérée par le versement d'un pourcentage des sommes payées par les clients ne peut conférer aux salariés concernés des droits individuels acquis ; qu'en estimant que les salariés de l'Hôtel X... auraient dû percevoir, postérieurement à la date à laquelle l'accord collectif dénoncé a cessé d'être applicable, un salaire mensuel égal à la moyenne des salaires qu'ils avaient reçus au cours des 12 derniers mois, la cour d'appel a violé l'article L. 132-8 du Code du travail ;
Mais attendu que, si du fait de la dénonciation de l'accord d'entreprise, l'employeur pouvait rémunérer les salariés au fixe, la cour d'appel a exactement décidé que les salariés avaient droit, au titre des avantages individuels acquis, au maintien du niveau de leur rémunération au jour où l'accord collectif a cessé de s'appliquer ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le deuxième moyen :
Attendu qu'il est encore reproché à la cour d'appel d'avoir dit que la rupture du contrat de travail était injustifiée et d'avoir condamné la société MHLP au paiement de sommes à titre de provision sur dommages-intérêts alors, selon le moyen, en premier lieu, d'une part, que la cour d'appel qui ne relève de la part de l'employeur aucun fait de nature à caractériser un détournement de son pouvoir de direction, a violé l'article L. 122-14-3 du Code du travail ; et alors, d'autre part, que si le licenciement d'un salarié à la suite du refus d'une modification substantielle, peut être dépourvu de cause réelle et sérieuse dans l'hypothèse où cette modification n'a pas été motivée par l'intérêt de l'entreprise, il n'appartient pas au juge de porter une appréciation sur la pertinence de la gestion de l'employeur ; qu'en retenant, pour déclarer que la réduction collective de salaire, consécutive à la modification du système de rémunération qui avait été à l'origine du licenciement des salariés demandeurs, n'était pas conforme à l'intérêt de l'entreprise, que la stratégie de l'employeur, consistant à privilégier aux dépens des bénéfices immédiats un accroissement en valeur du capital, était manifestement inspiré par le souci de favoriser la croissance de la société mère et non par l'intérêt de l'entreprise elle-même, la cour d'appel a violé l'article L. 122-14-3 du Code du travail ; alors, en second lieu, d'une part, qu'en énonçant, à l'appui de son affirmation de l'absence de difficultés économiques suffisamment caractérisées, que l'expert avait relevé que l'entreprise avait dégagé un compte d'exploitation positif en 1989, alors que l'expert-comptable du comité a constaté pour cet exercice une perte d'exploitation de plusieurs millions de francs, la cour d'appel a dénaturé ce rapport, et ainsi violé l'article 1134 du code civil ; alors, d'autre part, que la cour d'appel énonce que l'expert-comptable du comité d'entreprise a relevé que la situation s'était redressée en 1990, les charges financières étant réduites de 6 millions de francs ; mais que le rapport de l'expert, daté du 13 avril 1990, n'énonce nullement que la situation s'est redressée en 1990, se bornant à émettre l'hypothèse que l'exercice 1990 serait " encore meilleur, en termes d'exploitation " que l'exercice 1989 ; qu'ainsi la cour d'appel a dénaturé le rapport auquel elle se réfère, en violation de l'article 1134 du Code civil ; et alors, de troisième part, que la cour d'appel, en énonçant que l'expert avait relevé que les dépenses de personnel avaient été notablement diminuées avant même la mise en oeuvre de la politique dite des prix nets, énonciation qui ne figure pas dans le rapport, et qui est contraire aux documents comptables qui lui sont annexés et qui font apparaître sur les trois exercices auxquels ils se réfèrent une augmentation constante du montant des charges salariales, a encore une fois dénaturé ce rapport ; qu'ainsi elle a violé l'article 1134 du Code civil ; alors en troisième lieu, qu'une réorganisation de l'entreprise, dès lors qu'elle est décidée dans l'intérêt de l'entreprise, peut constituer une cause économique de modification substantielle du contrat de travail, même en l'absence de difficultés économiques ou de mutations technologiques ; qu'en s'abstenant de répondre aux conclusions de la société Marquis
hôtels limited partnership soutenant que la modification qu'elle avait mise en place était justifiée par l'inadéquation aux conditions actuelles d'exploitation d'un hôtel de luxe du système antérieurement pratiqué et par la volonté de proposer à tous les employés des salaires correspondant à leur qualification et de supprimer ainsi les disparités entre les salaires des employés payés " au service " par rapport à ceux payés " au fixe ", la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; et alors, d'autre part, qu'en s'abstenant de s'expliquer sur l'inadéquation de l'ancien système et sur cette nécessité de supprimer les disparités de salaire entre les salariés payés au service et les salariés payés au fixe, la cour d'appel a, en toute hypothèse, privé sa décision de base légale au regard des articles L. 122-14-3 et L. 321-1 du Code du travail ; et alors enfin, que le fait pour l'employeur à le supposer démontré, de ne pas avoir " négocié sérieusement ", au cours de la procédure ayant suivi la dénonciation de l'accord collectif, et d'avoir, à l'expiration de ce délai, fait application des dispositions qu'il avait unilatéralement arrêtées, n'est pas de nature à priver de cause réelle et sérieuse le licenciement des salariés consécutif à leur refus de la modification de leur contrat de travail résultant de la mise en oeuvre des nouvelles dispositions décidées par l'employeur ; qu'en statuant comme elle l'a fait la cour d'appel a violé les articles L. 132-8, L. 321-1 et L. 122-14-3 du Code du travail ;
Mais attendu que, pour dire si les licenciements avaient une cause réelle et sérieuse, la cour d'appel devait rechercher si la modification proposée par l'employeur était justifiée par une cause économique ; qu'elle a, sans encourir les griefs du moyen, constaté que ni la société MHLP ni le groupe auquel elle appartient n'éprouvaient de difficultés économiques et que la réorganisation du régime des rémunérations ne se justifiait que par la volonté de réaliser des bénéfices plus importants et non par la nécessité de sauvegarder la compétitivité de l'enteprise ou du groupe ; qu'elle a, dès lors, exactement décidé que ces licenciements n'étaient pas justifiés par une cause économique ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le troisième moyen :
Vu la loi des 16 et 24 août 1790 et le décret du 7 fructidor, an III ;
Attendu qu'après avoir constaté que les licenciements des salariés protégés avaient été autorisés par le ministre du Travail, la cour d'appel a énoncé que l'Administration n'avait pas pour autant apprécié l'existence d'une cause réelle et sérieuse de licenciement et elle a condamné l'employeur à payer une provision sur l'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Attendu, cependant, que l'autorisation de licenciement d'un salarié protégé par l'Administration interdit au juge judiciaire d'apprécier la cause réelle et sérieuse du licenciement fondé sur cette autorisation ; que le juge peut seulement renvoyer au juge administratif le soin d'apprécier la légalité de la décision administrative ;
Qu'en statuant comme elle l'a fait la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en celles de ses dispositions relatives aux dommages-intérêts alloués aux salariés protégés, l'arrêt rendu le 9 juillet 1993, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.