ACTION PUBLIQUE ETEINTE ET REJET du pourvoi formé par :
- X...,
- la société Y... civilement responsable,
contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, 11e chambre, du 3 octobre 1994, qui, pour discrimination syndicale, a condamné le premier à 5 000 francs d'amende ainsi qu'à des réparations civiles et a déclaré la seconde civilement responsable.
LA COUR,
I. Sur l'action publique :
Attendu qu'aux termes de l'article 2 de la loi du 3 août 1995, sont amnistiés les délits pour lesquels seule une peine d'amende est encourue, à l'exception de toute autre mesure, lorsqu'ils ont été commis avant le 18 mai 1995, en l'espèce, le 12 juin 1992 ; qu'ainsi, l'action publique est éteinte ;
Attendu cependant que, selon l'article 21 de la loi d'amnistie précitée, la juridiction de jugement saisie de l'action publique reste compétente pour statuer sur les intérêts civils ;
II. Sur l'action civile :
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le premier moyen de cassation pris de la violation des articles L. 412-2, alinéa 1, et L. 481-3 du Code du travail, 593 du Code de procédure pénale, ensemble défaut de réponse à conclusions, défaut de motifs, manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré le prévenu coupable d'avoir pris en considération l'appartenance à l'exercice d'une activité syndicale pour arrêter la décision de licenciement de Z..., secrétaire de la section syndicale C... ;
" aux motifs que Z.... a été licencié, par lettre du 24 juin 1992, en invoquant 2 motifs : "non-respect des procédures hiérarchiques et des procédures relatives à la représentation du personnel", "perturbation du personnel de l'établissement durant les heures de travail" ; que cette lettre de licenciement a été signée par M. A..., directeur de l'établissement de B... de la société Y..., mais que X... reconnaît avoir autorisé celui-ci à prendre cette mesure pour les motifs indiqués, et assumer la responsabilité de cette décision en sa qualité de gérant de la société ayant eu la volonté de soutenir son subordonné, M. A... ; qu'il est constant que le reproche fait à Z... de n'avoir "pas respecté des procédures hiérarchiques et des procédures relatives à la représentation du personnel" vise l'envoi par ce dernier d'un courrier adressé à M. d'E..., président-directeur général de la société mère R..., en date du 12 juin 1992, contenant une liste de questions à soumettre au comité central d'entreprise lors de la réunion fixée au 19 juin 1992 ; que Z... indiquait qu'il agissait pour le compte du syndicat C... de R... B... en qualité de secrétaire de la section syndicale ; que, bien que n'étant ni délégué syndical désigné par la C... pour assister au CE, ni représentant du personnel élu, l'appartenance de Z... au syndicat C... était connue de son employeur auquel il avait demandé par lettre du 10 avril 1992 à bénéficier d'un stage d'éducation ouvrière et de formation syndicale ; que la Cour estime, comme les premiers juges, qu'en prenant en considération pour motiver le licenciement de Z... le fait qu'il avait envoyé directement ce courrier sans les informer et sans être représentant du personnel, les responsables de la société Y... ont enfreint les dispositions de l'article L. 412-2, alinéa 1, du Code du travail qui s'appliquent à tout salarié qu'il soit protégé par un mandat ou non ; qu'en effet, les questions transmises par Z... par courrier du 12 juin 1992 sont de nature syndicale ; qu'il est inutile, dans le cadre de la présente instance pénale, d'examiner si le deuxième motif du licenciement invoqué par l'employeur à l'encontre de Z... a un caractère sérieux ou non, dès lors qu'il est établi que l'un des motifs de licenciement a pris en considération l'exercice d'une activité syndicale de Z..., ce qu'interdit le législateur aux termes de l'article L. 112-2, alinéa 1 ; que l'élément intentionnel du délit reproché à X... se déduit nécessairement du caractère volontaire de la mesure prise par celui-ci de licencier Z... en prenant en considération une activité syndicale de ce dernier ;
" alors que, d'une part, l'exercice par un salarié d'une activité de secrétaire d'un syndicat ne saurait, dès lors que celui-ci n'est pas délégué syndical, être assimilé à une activité syndicale au sens de l'article L. 412-2 du Code du travail ; qu'en l'espèce, il était acquis aux débats que Z... n'était ni délégué syndical désigné par la CGT pour assister au comité d'entreprise, ni représentant du personnel élu ; que sa seule qualité de secrétaire du syndicat C... de la société R... B... ne lui conférait aucun droit de s'adresser directement au président-directeur général de la société R..., M. d'E... ; qu'en énonçant néanmoins, pour justifier de l'exercice d'une discrimination que l'appartenance de Z... au syndicat C... était connue de son employeur cependant qu'il n'exerçait aucun mandat syndical, la cour d'appel viole les textes visés au moyen ;
" alors que, d'autre part, le prévenu faisait expressément valoir dans ses conclusions d'appel que la qualité de salarié de la société Y... de Z... n'autorisait aucunement celui-ci à présenter des revendications syndicales au nom de salariés de l'ensemble de l'entreprise qui ne lui avaient donné aucun mandat quant à ce ; que Z... n'a pas respecté les procédures relatives à la représentation du personnel et que ses réclamations formulées par lettre du 12 juin 1992 visaient uniquement à mettre en accusation, devant la plus large audience, ce directeur de l'établissement de B..., M. A... ; qu'en réalité, le demandeur s'est borné à couvrir la décision prise par son subordonné, M. A..., excédé de voir son autorité continuellement remise en cause par Z... ; qu'en réalité, le demandeur n'a jamais eu l'intention de sanctionner une activité syndicale ; qu'en omettant de répondre à ces conclusions, la cour d'appel méconnaît les exigences de l'article 593 du Code de procédure pénale ;
" et alors, enfin, que la cour d'appel n'a pas davantage examiné le second motif de licenciement invoqué par l'employeur qui précisait que Z... organisait des réunions, pendant les heures de travail, avec plusieurs personnes, perturbant ainsi le travail des autres salariés ; que l'appartenance à un syndicat ne crée au profit d'un salarié aucune immunité ; que la perturbation des salariés de l'entreprise par Z... qui tenait des réunions irrégulières au sein de l'entreprise justifiait la mesure de licenciement prise à son encontre ; qu'en refusant de se prononcer sur ce motif de congédiement, la cour d'appel, qui se fonde sur ce point sur des motifs inopérants, n'a pas légalement justifié sa décision " ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et du procès-verbal de l'inspecteur du travail, base de la poursuite, que, le 12 juin 1992, Z..., ouvrier dans un établissement de la société Y... et R..., a, en qualité de secrétaire de la section syndicale C.., adressé directement au président de la société R..., dont la précédente est une filiale, un questionnaire élaboré par ladite section et comportant plusieurs revendications à caractère professionnel et social, destinées à être soumises au comité central d'entreprise ; que le 24 juin, ce salarié a été licencié, notamment pour " non-respect des procédures hiérarchiques et des procédures relatives à la représentation du personnel " ;
Attendu que, saisie des poursuites exercées contre X..., gérant de la société Y..., du chef de discrimination syndicale, la juridiction du second degré, pour déclarer l'infraction établie, se prononce par les motifs reproduits au moyen ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, dépourvues d'insuffisance, l'arrêt attaqué n'encourt pas les griefs allégués ; que l'exercice d'une activité syndicale n'implique pas nécessairement la qualité de délégué syndical ; que, par ailleurs, s'il est vrai qu'en exerçant les attributions réservées aux seuls représentants du personnel, le salarié, qui n'était investi d'aucun mandat, a outrepassé ses droits, cet excès de pouvoirs, en relation directe avec l'activité syndicale de l'intéressé, ne constitue pas un abus caractérisé débordant le cadre de l'exercice normal de celle-ci ; qu'enfin, les juges, qui n'avaient pas à répondre mieux qu'ils ne l'ont fait aux conclusions qui leur étaient soumises, ont souverainement estimé que, pour arrêter sa décision, l'employeur avait pris en considération l'activité syndicale de l'intéressé ;
D'où il suit que le moyen, inopérant en sa troisième branche, ne saurait être admis ;
Sur le second moyen de cassation pris de la violation des articles L. 411-11 du Code du travail, 2 et suivants, 3 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a condamné le prévenu à verser à la F... et à l'Union locale C... la somme de 1 000 francs à titre de dommages et intérêts à chacune des parties civiles ;
" alors que, si les syndicats professionnels peuvent, devant toutes les juridictions, exercer tous les droits reconnus à la partie civile, c'est à la condition que les faits déférés au juge puissent, par eux-mêmes, porter un préjudice direct ou indirect à l'intérêt privé de la victime et des intérêts généraux de la société ; qu'en l'espèce, la cour d'appel n'a pas justifié la recevabilité des parties civiles et n'a pas caractérisé le préjudice direct ou indirect subi par chacune des parties civiles, privant sa décision de toute base légale " ;
Attendu que les demandeurs ne sauraient faire grief aux juges du fond d'avoir accueilli les constitutions de partie civile des 2 syndicats visés au moyen, ni de leur avoir accordé des réparations dont ils ont souverainement apprécié le montant, après avoir déclaré établi le délit poursuivi ;
Qu'en effet, les organisations syndicales tiennent de l'article L. 411-11 du Code du travail le droit d'ester en justice afin d'obtenir réparation du préjudice direct ou indirect, causé à l'intérêt collectif de la profession qu'elles représentent ; que le fait de licencier un salarié en raison de son appartenance à un syndicat ou de l'exercice d'une activité syndicale est, en lui-même, générateur d'un préjudice subi par la profession à laquelle appartient l'intéressé et dont les syndicats qui représentent cette profession peuvent demander réparation ;
Que, tel étant le cas en l'espèce, le moyen doit être écarté ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
Par ces motifs :
Sur l'action publique :
La DÉCLARE ETEINTE ;
Sur l'action civile :
REJETTE le pourvoi.