CASSATION sur le pourvoi formé par :
- X... Dominique, partie civile,
contre l'arrêt de la chambre d'accusation de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, du 26 janvier 1995, qui, dans l'information suivie, sur sa plainte, contre Jean-Yves Y... pour homicides involontaires, a déclaré l'action publique éteinte par la prescription.
LA COUR,
Vu l'article 575, alinéa 2. 3°, du Code de procédure pénale ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 6, 8, 175, 205 et suivants, et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a constaté l'extinction de l'action publique par la prescription et dit, en conséquence, n'y avoir lieu de suivre contre Jean-Yves Y... ;
" aux motifs qu'il est constant qu'il n'y a plus eu d'actes de poursuite interruptifs de la prescription depuis le 18 janvier 1991 et que cette prescription est donc acquise depuis le 18 janvier 1994 ; que s'il est admis que cette prescription n'est pas opposable à la partie civile qui ne disposait d'aucun moyen de droit pour obliger le magistrat chargé d'instruire à accomplir un acte interruptif de la prescription, toutefois, depuis l'entrée en vigueur le 1er mars 1993 de la loi du 4 janvier 1993 modifiant le Code de procédure pénale, la partie civile disposait d'un tel moyen de droit puisque, désormais, elle peut officiellement demander au juge d'instruction (et également au conseiller chargé d'instruire un supplément d'information conformément à l'article 205 du Code de procédure pénale) d'accomplir un acte interruptif de la prescription (audition, confrontation, expertise, transport sur les lieux), et ce sans qu'il n'ait été nécessaire de l'informer officiellement de ce droit puisque cette information (actuellement prévue par l'article 89-1 du Code de procédure pénale) n'a été instaurée que par la loi du 24 août 1993, entrée en vigueur le 2 septembre 1993, et n'existait donc pas entre le 1er mars et le 1er septembre 1993, période pendant laquelle la partie civile aurait donc pu agir pour interrompre la prescription ; que, par conséquent, la carence de la partie civile a également concouru à la survenance de la prescription de l'action publique qui lui est opposable comme aux autres parties, et l'extinction de l'action publique ne peut donc être constatée ;
" alors que la partie civile ne dispose d'aucun moyen de droit pour obliger la chambre d'accusation, après l'exécution d'un supplément d'information, à rendre les décisions de caractère juridictionnel imposées par le déroulement de l'instruction et la mise en oeuvre de la procédure prévue par les articles 208 et 209 du Code de procédure pénale ; que l'inaction de la chambre d'accusation est alors de nature à suspendre la prescription au profit de ladite partie civile ; qu'en l'espèce, il résulte du dossier que le dernier acte de poursuite interruptif de la prescription était du 18 janvier 1991, constitué par les procès-verbaux d'interrogatoire tant de Jean-Yves Y... que de la demanderesse, portant notification des conclusions du rapport d'expertise ordonné, que la partie civile demanderesse avait déclaré satisfaisantes ; qu'en affirmant cependant qu'elle aurait pu agir pour interrompre la prescription, la chambre d'accusation a méconnu la portée des textes dont elle a prétendu faire application " ;
Vu lesdits articles ;
Attendu que la prescription de l'action publique est nécessairement suspendue lorsqu'un obstacle de droit met la partie poursuivante dans l'impossibilité d'agir ; qu'il en est ainsi au profit de la personne lésée par un crime ou un délit qui, ayant mis en mouvement l'action publique par sa plainte avec constitution de partie civile, ne dispose d'aucun moyen de droit pour obliger le juge d'instruction à accomplir un acte interruptif de la prescription ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que l'information ouverte le 15 avril 1985, contre personne non dénommée, des chefs d'homicides involontaires, sur plainte avec constitution de partie civile de Dominique X..., a été close le 30 décembre 1987, au motif que les délits d'homicides involontaires n'étaient pas constitués ;
Que, sur appel de la partie civile, la chambre d'accusation, par arrêt du 17 mai 1988, a infirmé cette décision, ordonné un supplément d'information et désigné l'un de ses membres pour y procéder ;
Que le magistrat chargé du complément d'information a ordonné une mesure d'expertise, puis, après dépôt de leur rapport par les experts commis, a procédé, le 18 janvier 1991, à l'interrogatoire de Jean-Yves Y... et à l'audition de Dominique X... ;
Que, par la suite, ce magistrat n'a accompli aucun autre acte d'information ;
Que, par arrêt du 13 octobre 1994, la chambre d'accusation, constatant que le supplément d'information était terminé, a prescrit la communication du dossier au procureur général et son dépôt au greffe ;
Attendu que, pour déclarer prescrite l'action publique relative aux faits dénoncés par la partie civile contre Jean-Yves Y..., l'arrêt attaqué énonce qu'il n'y a pas eu d'acte de poursuite interruptif de la prescription entre le 18 janvier 1991 et le 18 janvier 1994, et ajoute que, depuis l'entrée en vigueur, le 1er mars 1993, de la loi du 4 janvier 1993, cette prescription est opposable à la partie civile qui disposait d'un moyen de droit lui permettant de demander au magistrat instructeur d'accomplir un acte interruptif de la prescription ;
Mais attendu qu'en statuant ainsi, alors que la partie civile ne disposait d'aucun moyen de droit pour obliger le magistrat chargé du supplément d'information à accomplir un acte interruptif de la prescription de l'action publique jusqu'à la date d'entrée en vigueur de la loi du 4 janvier 1993, et que cette prescription a été nécessairement suspendue à son profit entre le 18 janvier 1991 et le 1er mars 1993, puis interrompue par l'arrêt du 13 octobre 1994, la chambre d'accusation a méconnu le sens et la portée des dispositions visées au moyen ;
Que l'arrêt encourt, dès lors, la cassation ;
Par ces motifs :
CASSE ET ANNULE l'arrêt de la chambre d'accusation de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, en date du 26 janvier 1995, et, pour qu'il soit jugé à nouveau conformément à la loi :
RENVOIE la cause et les parties devant la chambre d'accusation de la cour d'appel de Montpellier.