CASSATION sur le pourvoi formé par :
- X..., partie civile,
contre l'arrêt de la cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion, chambre correctionnelle, en date du 15 septembre 1994, qui, dans la procédure suivie sur sa plainte contre Y... pour fraude en matière de divorce, a constaté l'extinction de l'action publique par prescription et a déclaré irrecevable l'action civile.
LA COUR,
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation de l'article unique de la loi du 13 avril 1932, et des articles 7, 8, 591, 593, 689 et 691 du Code de procédure pénale :
" en ce que l'arrêt infirmatif attaqué, après avoir déclaré prescrite l'action publique relative au délit reproché à Y... (infraction à l'article unique de la loi du 13 avril 1932), a déclaré irrecevable l'action civile formée par X... ;
" aux motifs que "les faits reprochés à Y... sont régis par la loi française en ce qui concerne le délai de prescription de l'action publique ; qu'il s'avère que l'infraction de parjure, punie par la loi canadienne, est une infraction instantanée, alors que le délit prévu et puni par la loi du 13 avril 1932 est un délit continu ; qu'il s'ensuit que l'exigence de réciprocité n'étant remplie qu'au regard d'une infraction susceptible d'avoir été commise le 19 novembre 1984, c'est en considération des règles de droit français sur la prescription de l'action publique en matière de délit, que la Cour doit statuer ; qu'il échet, à cet égard, de constater que le délai de 3 ans prévus par l'article 8 du Code de procédure pénale était écoulé, lorsque le premier acte de poursuite est intervenu ; qu'en conséquence, l'action publique doit être déclarée éteinte et l'action civile jugée irrecevable, et le jugement déféré sera infirmé" (cf. arrêt attaqué, p. 4, 6° attendu, lequel s'achève p. 5) ;
" alors que, du moment que l'infraction commise à l'étranger peut être poursuivie en France, ce sont les règles du droit français qui régissent la prescription de l'action publique et spécialement celles qui fixent le point de départ du délai de cette prescription ; qu'en fixant le point de départ du délai de la prescription de l'action publique dirigée contre Y..., non pas par application du droit français, lequel prévoit que l'infraction prévue et réprimée par l'article unique de la loi du 13 avril 1932 est une infraction continue ou, à tout le moins, une infraction qui commence de se prescrire à compter du jour où elle peut être constatée, mais par application de la norme pertinente canadienne, laquelle prévoit que le crime de parjure constitue une infraction instantanée, la cour d'appel a violé les textes susvisés " ;
Vu lesdits articles ;
Attendu que, lorsqu'un délit commis par un Français hors du territoire de la République est punissable en France en application des articles 689, alinéa 2, ancien du Code de procédure pénale et 113-6, alinéa 2, du Code pénal en vigueur depuis le 1er mars 1994, le point de départ de la prescription de l'action publique doit être fixé selon les règles prévues par la loi française en considérant la qualification donnée par elle aux faits délictueux ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et du jugement qu'il infirme que le 29 novembre 1984, Y..., de nationalité française, a présenté devant la Cour supérieure de Montréal une requête en divorce accompagnée d'une déclaration assermentée selon laquelle il ignorait le domicile de son conjoint, X... ; que le divorce a été prononcé le 5 décembre 1985 ; que, le 26 septembre 1989, X... a déposé plainte avec constitution de partie civile ;
Attendu que, pour déclarer l'action publique éteinte par l'effet de la prescription et l'action civile irrecevable, la cour d'appel, après avoir constaté que l'infraction, reprochée au prévenu, à l'article unique de la loi du 13 avril 1932 réprimant la fraude en matière de divorce était punie par la loi canadienne sous la qualification de parjure, énonce que " l'exigence de réciprocité " n'était " remplie qu'au regard d'une infraction susceptible d'avoir été commise le 29 novembre 1984 ", date de la déclaration assermentée de Y..., le parjure s'analysant, selon le droit canadien, en un délit instantané ;
Mais attendu qu'en prononçant ainsi, alors que le point de départ de la prescription du délit de fraude en matière de divorce doit être fixé au jour où cesse l'ignorance des procédés frauduleux dans laquelle a été tenue la partie civile lésée, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée des textes susvisés ;
Que la cassation est encourue de ce chef en ce qui concerne tant l'action de la partie civile, seule demanderesse au pourvoi, que l'action publique exercée contre Y..., dès lors que la décision annulée était uniquement motivée par la prescription de l'action publique à l'égard du prévenu ;
Par ces motifs :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt de la cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion, en date du 15 septembre 1994, et pour qu'il soit à nouveau jugé conformément à la loi :
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris.