REJET du pourvoi formé par :
- X... Michèle, épouse Y...,
- Y... Michel,
contre l'arrêt de la cour d'appel de Montpellier, 3e chambre, du 28 novembre 1994, qui, la première pour tromperie et exercice illégal de la pharmacie notamment, le second pour complicité de ces délits, et tous 2 pour publicité fausse, les a chacun condamnés à une amende de 150 000 francs, a ordonné une mesure de publication et a prononcé sur les intérêts civils.
LA COUR,
Vu le mémoire ampliatif produit, commun aux demandeurs, et le mémoire en défense ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 et de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 591 du Code de procédure pénale :
" en ce que l'arrêt attaqué ne précise pas le nom du représentant du ministère public ;
" alors que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement par un tribunal indépendant et impartial ; que ce droit implique que le représentant du ministère public devant le juge d'appel n'ait pas connu de l'affaire à un stade antérieur ; qu'en ne précisant pas le nom de ce magistrat, la cour d'appel ne permet pas de s'assurer du respect de ce droit à un procès équitable " ;
Attendu que l'arrêt attaqué mentionne que le représentant du ministère public était présent au cours des débats et lors du prononcé de la décision ;
Attendu qu'en l'état de ces mentions, l'arrêt ne méconnaît pas la garantie du droit à un tribunal indépendant et impartial, énoncée à l'article 6 paragraphe 1 de la Convention européenne de droits de l'homme et des libertés fondamentales qui ne vise que les juges et non pas le représentant de l'accusation ou celui de la défense ; que la décision satisfait, en outre, aux conditions de forme prescrites par l'article 486 du Code de procédure pénale qui, s'il exige l'indication du nom des magistrats qui l'ont rendue, n'impose de constater que la présence du ministère public à l'audience ;
D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;
Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 1er, 7 et 9 de la loi du 1er août 1905, 44 de la loi du 27 décembre 1973, 485 et 593 du Code de procédure pénale :
" en ce que les prévenus ont été déclarés coupable et complice des délits de tromperie et de publicité mensongère de nature à induire en erreur, et condamnés au paiement de dommages-intérêts à la partie civile ;
" aux motifs que la présentation du " Distillat naturel d'algues " était faite sous forme d'ampoules buvables dans un emballage carton mentionnant des affirmations sur les emplois historiques, sur les teneurs garanties mais non chiffrées en matières organiques, micro-éléments et iode et allégations de vertus amincissantes ; que son dépliant publicitaire le présentait comme une révolution pour mincir, annonçait la suppression de cellulite, promettait vitalité, vigueur et souplesse articulaire et enfin attestait de l'emploi d'algues fucus exceptionnellement riches en principes actifs et récoltées dans des sites non pollués et de l'utilisation d'une méthode de distillation unique au monde et d'un procédé breveté ; que l'enquête permettait toutefois d'établir qu'en réalité, ce produit s'obtenait simplement par une distillation des plus classiques, que seuls quelques composants solubles étaient recueillis et que les ampoules étaient composées à 99, 1 % d'eau ; qu'après une telle distillation, aucune teneur garantie en matières organiques ou micro-éléments ne pouvait être justifiée ; qu'au contraire, Roland Z..., dirigeant et responsable de la partie technique du laboratoire Fuminence, déclarait qu'il rajoutait de la poudre d'algues de laminaires pour obtenir une teneur dosable en extrait sec ; qu'un mélange d'algues laminaires et de fucus était opéré et que, dès lors, le produit n'était pas seulement obtenu à partir d'algues fucus vesiculosus ; qu'en ce qui concerne, l'origine des algues, il n'est justifié ni d'une qualité exceptionnelle ni d'une provenance de sites spécialement protégés ; que le produit n'avait rien d'unique ni de révolutionnaire et était même régulièrement vendu sous d'autre marques (arrêt p. 8 et 9) ;
" que la tromperie sur les qualités substantielles, la composition et la teneur en principes utiles apparaît manifeste et les allégations publicitaires purement gratuites ; qu'en effet, l'iode est le premier élément à disparaître au chauffage et que dès lors, nul ne peut garantir une prétendue teneur en iode dans un distillat naturel d'algues et qu'il demeure impossible d'extraire par distillation les natures organiques, ou minérales, ou oligo-éléments affirmés dans les produits ou publicités (p. 11 § 2 et 3) ;
" que le second produit présenté comme " cohobat d'Angélique " disposait d'un emballage indiquant qu'il s'agissait d'une boisson à teneur garantie en calcium et magnésium mais sans précision, obtenue selon un mode de préparation unique très ancien, macération de racines puis de graines avec double distillation ; que le produit était vanté comme une redécouverte de cet ancien procédé, un produit unique, rare, une révolution au point de pouvoir apporter à lui seul un bonheur calme et naturel ; qu'il bénéficiait d'articles publicitaires au même titre que le distillat d'algues signés Michel Y... ; que l'enquête effectuée auprès du fabricant Fuminence établissait que le mode de fabrication consistait en réalité dans une distillation banale de racines et graines à partir d'alcoolats achetés tous prêts à un fabricant d'arômes ; que la teneur garantie en calcium ou magnésium ne pouvait provenir de la plante parce que ces substances n'étaient pas entraînées par distillation mais tout simplement de l'adjonction de gluconate de calcium et de chlorure de magnésium (arrêt p. 10 § 2 à 5) ;
" que les prévenus ne pouvaient sérieusement ignorer ces données, que la preuve en a même été fournie par l'adjonction de poudre de laminaire ainsi que par la suppression sur les boîtes d'ampoules de certains éléments publicitaires comme la référence à l'iode et les références historiques non vérifiées ; que ces dernières ont incontestablement eu une influence psychologique sur les consommateurs recherchant une sécurité dans l'utilisation de produits dits anciens ou traditionnels ; que, s'agissant d'un produit censé avoir des vertus amincissantes exceptionnelles, aucune étude scientifique sérieuse n'a démontré que le fucus avait pour propriété d'absorber les graisses ; que dans le cas du cohobat d'Angélique, le procédé de fabrication complexe décrit sur les emballages et publicités n'a jamais été employé ; qu'en fait de boisson riche en calcium et magnésium, il est constant que l'angélique ne contient même pas naturellement ces 2 métaux ; que l'emballage du produit n'hésitait pourtant pas, par la mention " boisson hygiénique garantie en calcium et en magnésium ", à en garantir la teneur en calcium et en magnésium comme s'il s'était agi au contraire de composants naturels (p. 11 § 4 à p. 12 § 3) ;
" que la lotion " Polycrane à la quinine " également commercialisée par la compagnie du Tonus faisait pour sa part l'objet de multiples allégations, qui n'ont jamais fait l'objet de preuves nonobstant les demandes successives des fraudes ; que pour chacun des 3 produits commercialisés pendant plus de 1 an par la compagnie du Tonus, les allégations publicitaires excédaient manifestement la simple emphase publicitaire alléguée et relevaient soit de la contrevérité au plan scientifique, soit de la pure fantaisie mercantiliste (p. 12 § 4, p. 13 § 2 et 3) ;
" 1o alors que, dans leurs conclusions d'appel, les demandeurs avaient soutenu que les analyses pratiquées l'avaient été sur le " Distillat d'algues ", précédemment vendu par la société " Espaze santé " et commercialisé par " Hedephar ", et non sur le " Distillat d'algues ", commercialisé par " Fuminence " ; qu'ils ont versé aux débats un constat d'huissier établissant que le produit " Distillat d'algues " existait bien et était vendu en pharmacie ; que ce moyen était donc sérieux, si bien qu'en s'abstenant d'y répondre, la cour d'appel a entaché son arrêt d'une violation des textes visés au moyen ;
" 2o alors que la tromperie suppose la preuve d'une différence entre les qualités annoncées du produit et la composition réelle de ce dernier ; que la cour a constaté, d'une part, que l'emballage comportait des affirmations sur les teneurs garanties mais non chiffrées en matières organiques, micro-éléments et iode (p. 8 in fine et p. 9, § 1), et que, d'autre part, le produit comportait de la poudre d'algues de laminaires pour obtenir une teneur dosable en extrait sec (p. 9 § 4), ce qui révèle que la teneur annoncée sur l'emballage se retrouvait bien dans le produit ; qu'en retenant cependant l'existence d'une tromperie, la cour a violé les textes susvisés ;
" 3o alors que la publicité ne mentionnait pas que le produit était élaboré exclusivement à partir d'algues fucus ; qu'en retenant cependant, pour caractériser une publicité mensongère, qu'un mélange d'algues laminaires et de fucus était opéré et que, dès lors, le produit n'était pas seulement obtenu à partir d'algues fucus vesiculosus, la cour d'appel a violé les textes visés au moyen ;
" 4o alors qu'il appartient au juge pénal d'apporter la preuve des éléments constitutifs de l'infraction et non au prévenu d'établir qu'il n'a pas commis d'infraction ; que la cour d'appel a relevé que les prévenus ne justifiaient pas de la véracité des affirmations portant sur les algues fucus (p. 9, § 2 et 5, p. 11 in fine) et sur le troisième produit litigieux, le polycrane à la quinine (p. 13, § 2) ; qu'en motivant ainsi sa décision de condamnation, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés ;
" 5o alors que l'emballage du " cohobat d'Angélique " indiquait qu'il s'agissait d'une boisson à teneur garantie en calcium et magnésium, mais sans précision (arrêt p. 10, § 2) ; que la Cour a constaté que ces substances étaient contenues dans la boisson vendue, grâce à une adjonction de gluconate de calcium et de chlorure de magnésium (p. 10 in fine) ; qu'en retenant cependant l'existence d'une tromperie, la Cour a violé les dispositions légales visées au moyen ;
" 6o alors que pour un produit ayant des propriétés curatives, seules ces propriétés peuvent être considérées comme une qualité substantielle dudit produit ; qu'en retenant, à l'appui de sa décision, le fait que le procédé de fabrication annoncé n'a jamais été employé, la Cour ne s'est pas référée à une qualité substantielle du produit, violant ainsi les textes susvisés " ;
Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 34 de la Constitution, 6 et 7 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 4 du Code pénal, L. 111-2 et L. 111-3 du nouveau Code pénal, L. 511 et L. 512 du Code de la santé publique, 485 et 593 du Code de procédure pénale :
" en ce que Michèle X... a été déclarée coupable du délit d'exercice illégal de la pharmacie et Michel Y... complice de cette infraction, et les a condamnés au payement de dommages-intérêts ;
" aux motifs que le Distillat naturel d'algues était vendu sous forme d'ampoules buvables et destiné à lutter pour l'amincissement et la suppression de cellulite et à combattre la spasmophilie, la nervosité et la fatigue ; que le cohobat d'Angélique était présenté comme destiné à combattre dépression, stress et insomnie ; que la Cour de Cassation et la Cour de justice des Communautés européennes font une interprétation extensive de la notion de médicament par présentation, la simple apparence implicite de médicament donnée à un produit entraînant la conviction d'un consommateur moyennement avisé en ce qui concerne les éléments matériels descriptifs et les recommandations d'usage du produit ; que les 2 produits incriminés ont été proposés aux acheteurs comme étant de nature à lutter, à prévenir ou soigner des maladies précises, dépression, stress, insomnie, spasmophilie, cellulite, autrement dit comme possédant à l'égard de celles-ci des propriétés préventives ou curatives, et donc présentés comme bénéfiques pour la santé de l'homme ;
" que la jurisprudence constante considère aussi comme médicament le produit qui agit sur les fonctions organiques en les restaurant, en les modifiant ou en les corrigeant, ce qui, compte tenu de l'objectif de protection de la santé, doit être pris dans l'acception la plus large ; que la possibilité de telles utilisations correspond à la notion de médicament par fonction, et ce sans qu'il soit nécessaire d'en démontrer l'efficacité réelle ; qu'il en est ainsi en cas de produit à base de plantes médicales telle que l'angélique ; que les produits ayant vocation à corriger des dysfonctionnements de l'organisme tels que la cellulite, la spasmophilie, le stress ou l'insomnie répondent également à la notion de médicament par fonction ; que les 2 produits incriminés à ce titre, distillat d'algues et cohobat d'angélique, répondaient donc par leur présentation et leur publicité à la définition de l'article L. 511 du Code de la santé publique mais ont été commercialisés par la compagnie du Tonus qui ne possédait pas le statut d'établissement pharmaceutique ni ne comprenait d'ailleurs aucun titulaire du diplôme de pharmacien ; que l'article L. 512 réserve la fabrication et la distribution des médicaments à des établissements pharmaceutiques placés sous la responsabilité d'un pharmacien, ce qui n'était pas le cas de la compagnie du Tonus ; que l'autorisation prévue par l'article L. 551-7 en matière de publicité pour des produits censés être bénéfiques pour la santé, n'a pas davantage été sollicitées ;
" 1o Alors que le principe de légalité des délits et des peines implique que les éléments constitutifs d'une infraction soient définis en termes clairs et précis, avant la commission des faits incriminés ; que la loi réserve aux pharmaciens la préparation des médicaments destinés à l'usage de la médecine humaine, ainsi que la vente ; que la " notion " de médicament n'est pas suffisamment claire et précise pour permettre au prévenu de savoir s'il méconnaît la loi pénale ; qu'en retenant cependant, à l'appui de sa décision de condamnation, que les plantes litigieuses correspondaient à la définition des médicaments par présentation, la cour d'appel a violé les textes visés au moyen ;
" 2o alors que le médicament " par présentation " est une substance présentée comme possédant des propriétés curatives ou préventives à l'égard des maladies humaines ou animales ; qu'en se bornant à relever que les plantes litigieuses étaient présentées " avec des propriétés curatives " (arrêt attaqué p. 10, § 2) sans justifier qu'elles aient été présentées pour guérir des maladies déterminées ; la Cour a entaché sa décision d'une violation des textes susvisés " ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué mettent la Cour de Cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel, par des motifs exempts d'insuffisance ou de contradiction et répondant aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie, a caractérisé en tous ses éléments constitutifs les délits définis en termes clairs et précis, et la complicité retenus à la charge des prévenus, et ainsi justifié l'allocation, au profit des parties civiles, des indemnités qu'elle a estimées propres à réparer le préjudice découlant de ces infractions ;
D'où il suit que les moyens, qui remettent en discussion l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause contradictoirement débattus, ne sauraient être accueillis ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi.