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16/04/1996 | FRANCE | N°94-14618

France | France, Cour de cassation, Chambre commerciale, 16 avril 1996, 94-14618


Attendu, selon l'arrêt attaqué (Versailles, 3 mars 1994), que la société Sollac a confié à la société Sonmez le transport par voie maritime sous connaissements de minerai et charbon destinés à son aciérie de Dunkerque ; qu'en vue d'effectuer le déplacement de certaines cargaisons, la société Sonmez, en qualité d'affréteur, a conclu, les 6 et 11 novembre 1992, des contrats d'affrètement avec les sociétés Nedlloyd Bulk, armateur du navire minéralier " Ocean Star ", et GEM Carriers incorporated, armateur du navire minéralier " Brazilian Victoria ", lequel appartient, en réal

ité, à la société Wah Kwong Shipping Agency Co Ltd (les fréteurs) ; q...

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Versailles, 3 mars 1994), que la société Sollac a confié à la société Sonmez le transport par voie maritime sous connaissements de minerai et charbon destinés à son aciérie de Dunkerque ; qu'en vue d'effectuer le déplacement de certaines cargaisons, la société Sonmez, en qualité d'affréteur, a conclu, les 6 et 11 novembre 1992, des contrats d'affrètement avec les sociétés Nedlloyd Bulk, armateur du navire minéralier " Ocean Star ", et GEM Carriers incorporated, armateur du navire minéralier " Brazilian Victoria ", lequel appartient, en réalité, à la société Wah Kwong Shipping Agency Co Ltd (les fréteurs) ; que les chartes-parties établissant les conditions de ces contrats d'affrètement stipulaient que le fret et les surestaries dus par l'affréteur seraient payés aux fréteurs par la société Sollac ; que, par actes d'huissier des 24 et 27 novembre 1992, les sociétés Keoyang et Oil Shipping, se prétendant créancières de la société Sonmez pour des fournitures antérieures, ont pratiqué entre les mains de la société Sollac, dans la forme des saisies-arrêts, des saisies conservatoires portant sur la créance que la société Sonmez détiendrait sur la société Sollac, au titre du prix des transports exécutés pour son compte ; qu'à l'arrivée, en décembre 1992, des deux navires à Dunkerque, la société Sollac n'a pas réglé les fréteurs, mais a consigné les fonds en se prévalant des dispositions de l'article 1428, alinéa 2, du nouveau Code de procédure civile ; que les fréteurs, se fondant sur l'existence d'une délégation de créance à leur profit, ont assigné la société Sollac en paiement du fret ;

Sur le premier moyen, pris en ses deux branches :

Attendu que la société Sollac reproche à l'arrêt d'avoir accueilli cette demande en reconnaissant d'abord l'existence de la délégation de créance invoquée par les fréteurs alors, selon le pourvoi, d'une part, que la délégation suppose le consentement du débiteur délégué par lequel celui-ci exprime sa volonté de s'obliger personnellement envers le délégataire ; qu'en revanche la simple indication, faite par le créancier, de la personne qui doit recevoir paiement pour lui ne crée par de lien obligatoire entre cette personne et le débiteur ; qu'en l'espèce la cour d'appel a relevé, s'agissant du fret du navire " Ocean Star ", que la société Sollac savait qu'elle devait régler directement l'armateur Nedlloyd Bulk, ce qu'elle a du reste fait pour le disponible du fret non saisi ; qu'en estimant néanmoins que la société Sollac avait agi à titre de débiteur délégué et non à titre de débiteur indiqué, sans relever l'existence d'un engagement exprès de sa part de s'obliger personnellement envers l'armateur du navire, la cour d'appel a violé les articles 1275 et 1277 du Code civil ; et alors, d'autre part, qu'il résulte de deux télécopies du 12 novembre 1992, relatives au fret du navire " Brazilian Victoria ", adressées par la société Sollac à son courtier Barry X..., que la société Sollac, suivant demande de la société Sonmez, allait payer le fret et les surestaries, dus à la société Sonmez, directement à l'armateur Wah Kwong ; que la cour d'appel en déduit la création d'un lien obligatoire entre Sollac et Wah Kwong résultant d'une délégation de paiement, sans relever que la société Sollac ne se reconnaissait débitrice que de la seule société Sonmez ; qu'en affirmant de la sorte que la société Sollac était débitrice de la société Wah Kwong, la cour d'appel a donc dénaturé les télécopies susvisées, violant par là même l'article 1134 du Code civil ;

Mais attendu, d'une part, que le consentement du délégué à la délégation de créance, s'il doit être certain pour distinguer celle-ci de l'indication de paiement, peut être tacite ; que l'arrêt relève que le connaissement émis par le capitaine du navire " Ocean Star " renvoyait à la clause de règlement de fret insérée dans la charte-partie qui subordonnait le paiement direct du fréteur par la société Sollac à l'accord de celle-ci, que la société Sollac n'avait pas non plus protesté à réception d'un télex du 6 novembre 1992 rappelant à son courtier les termes de cette clause, qu'elle avait encore confirmé par télex son intention de payer le fret à l'armateur et avait enfin donné l'ordre à ses banquiers d'en virer le montant sur le compte de ce dernier ; que de ces constatations et appréciations, la cour d'appel a pu déduire que la société Sollac s'était engagée, en qualité de délégué, à payer le fret au fréteur du navire " Ocean Star ", agissant en qualité de délégataire ;

Attendu, d'autre part, que les télécopies du 12 novembre 1992 se bornant à indiquer que la société Sollac, à la demande de la société Sonmez, paierait le fret à l'armateur du navire " Brazilian Victoria ", la cour d'appel n'a pas dénaturé ces écrits en retenant, par l'interprétation nécessaire de leurs termes, qu'ils établissaient l'existence de la délégation de créance ;

D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Sur le deuxième moyen, pris en ses quatre branches :

Attendu que la société Sollac reproche encore à l'arrêt de l'avoir condamnée à payer le fret dû aux fréteurs malgré l'existence des saisies conservatoires opérées entre ses mains alors, selon le pourvoi, d'une part, que la délégation imparfaite laisse intacte, en l'absence de toute novation, la dette du délégué envers le délégant et ne peut avoir pour effet d'éteindre le lien de droit subsistant entre eux ; qu'en décidant le contraire la cour d'appel a violé l'article 1275 du Code civil ; alors, d'autre part, que la délégation imparfaite laisse intacte, en l'absence de toute novation, la dette du délégué envers le délégant et ne peut faire obstacle à la saisie opérée entre les mains du délégué par un créancier du délégant ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé l'article 1275 du Code civil ; alors, en outre, que le débiteur délégué, entre les mains duquel les créanciers du délégant saisissent la créance dont celui-ci dispose à son égard, a nécessairement la qualité de tiers saisi vis-à-vis des créanciers saisissants ; qu'il peut se libérer valablement de son obligation en consignant unilatéralement les sommes litigieuses dès lors que le délégataire ne dispose pas de droit exclusif mais simplement concurrent sur ces mêmes sommes ; qu'en décidant le contraire la cour d'appel a violé les articles 1275 du Code civil et 1428, alinéa 2, du nouveau Code de procédure civile ; et alors, enfin, qu'en toute hypothèse, le droit du délégataire n'est mis en échec par la saisie opérée par les créanciers du délégant entre les mains du débiteur délégué que si la délégation de paiement est donnée et acceptée " antérieurement " à la saisie ; qu'en l'espèce, s'agissant du fret du navire " Ocean Star ", la cour d'appel a déduit l'acceptation par Sollac de la délégation de paiement litigieuse d'un certain nombre d'éléments, tous postérieurs à la saisie opérée par les créanciers de Sonmez ; qu'en estimant, néanmoins, que la consignation du fret consécutive à la saisie est irrégulière au regard des droits du délégataire, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales qui s'imposaient de ses propres constatations, violant par là même l'article 1275 du Code civil ;

Mais attendu que si la créance du délégant sur le délégué s'éteint, non pas du fait de l'acceptation par le délégataire de l'engagement du délégué à son égard, mais seulement par le fait de l'exécution de la délégation, ni le délégant ni ses créanciers, ne peuvent, avant la défaillance du délégué envers le délégataire, exiger paiement ; qu'il en résulte que la saisie-arrêt effectuée entre les mains du délégué par les créanciers du délégant ne peut avoir pour effet de priver le délégataire, dès son acceptation, de son droit exclusif à un paiement immédiat par le délégué, sans concours avec les créanciers saisissants et que la consignation des sommes saisies-arrêtées, que le délégué prétendrait opérer sur le fondement de l'article 1428, alinéa 2, du nouveau Code de procédure civile, ne le libère pas envers le délégataire ;

Attendu qu'ayant fait état, pour se prononcer sur l'existence de l'acceptation par la société Sollac et les fréteurs de la délégation de créance, de faits à la fois antérieurs et postérieurs aux dates des saisies, sans qu'il en résultât que ces acceptations auraient été données après celles-ci, la cour d'appel en a exactement déduit que la consignation effectuée par la société Sollac était inopposable aux fréteurs ;

D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Et sur le troisième moyen, pris en ses trois branches : (sans intérêt) ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.


Synthèse
Formation : Chambre commerciale
Numéro d'arrêt : 94-14618
Date de la décision : 16/04/1996
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Commerciale

Analyses

1° DELEGATION DE CREANCE - Définition - Différence avec l'indication de paiement.

1° DELEGATION DE CREANCE - Délégation imparfaite - Effets - Rapport du délégant avec le délégué - Créance - Extinction - Moment - Délégation - Exécution 1° DELEGATION DE CREANCE - Délégation imparfaite - Effets - Rapport du délégant avec le délégué - Créance - Paiement - Conditions - Défaillance du délégué envers le délégataire.

1° Le consentement du délégué à la délégation de créance, s'il doit être certain pour distinguer celle-ci de l'indication de paiement, peut être tacite.

2° DELEGATION DE CREANCE - Délégation imparfaite - Effets - Rapport du créancier du délégant avec le délégué - Créance - Paiement - Conditions - Défaillance du délégué envers le délégataire.

2° DELEGATION DE CREANCE - Délégation imparfaite - Effets - Rapport du créancier du délégant avec le délégué - Saisie-arrêt - Inopposabilité au délégataire - Moment.

2° Si la créance du délégant sur le délégué s'éteint, non pas du fait de l'acceptation par le délégataire de l'engagement du délégué à son égard, mais seulement par le fait de l'exécution de la délégation, ni le délégant ni ses créanciers ne peuvent, avant la défaillance du délégué envers le délégataire, exiger paiement. En conséquence, la saisie-arrêt effectuée entre les mains du délégué par les créanciers du délégant ne peut avoir pour effet de priver le délégataire, dès son acceptation, de son droit exclusif à un paiement immédiat par le délégué, sans concours avec les créanciers saisissants, et la consignation des sommes saisies-arrêtées, que le délégué prétendrait opérer sur le fondement de l'article 1428, alinéa 2, du nouveau Code de procédure civile, ne le libère pas envers le délégataire.


Références :

2° :
nouveau Code de procédure civile 1428 al. 2

Décision attaquée : Cour d'appel de Versailles, 03 mars 1994

A RAPPROCHER : (2°). Chambre commerciale, 1986-06-24, Bulletin 1986, IV, n° 141, p. 117 (cassation).


Publications
Proposition de citation : Cass. Com., 16 avr. 1996, pourvoi n°94-14618, Bull. civ. 1996 IV N° 120 p. 102
Publié au bulletin des arrêts des chambres civiles 1996 IV N° 120 p. 102

Composition du Tribunal
Président : Président : M. Bézard .
Avocat général : Avocat général : M. Mourier.
Rapporteur ?: Rapporteur : M. Rémery.
Avocat(s) : Avocats : la SCP Célice et Blancpain, M. Choucroy.

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:1996:94.14618
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