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31/01/1996 | FRANCE | N°95-81319

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 31 janvier 1996, 95-81319


REJET des pourvois formés par :
- X... Christian, Y... Dominique, Z... Marie-Liesse, A... Isabelle, B... Matthieu, C... Béatrice, D... Claire, épouse E...,
contre l'arrêt de la cour d'appel d'Orléans, chambre correctionnelle, du 31 janvier 1995, qui, pour entrave à interruption volontaire de grossesse, a condamné les 6 premiers à 3 mois d'emprisonnement avec sursis, la dernière à 6 mois d'emprisonnement avec sursis, a dit que la mention de cette condamnation serait exclue du bulletin n° 2 du casier judiciaire de Marie-Liesse Z... et d'Isabelle A... et a prononcé sur les intÃ

©rêts civils.
LA COUR,
Joignant les pourvois en raison de la con...

REJET des pourvois formés par :
- X... Christian, Y... Dominique, Z... Marie-Liesse, A... Isabelle, B... Matthieu, C... Béatrice, D... Claire, épouse E...,
contre l'arrêt de la cour d'appel d'Orléans, chambre correctionnelle, du 31 janvier 1995, qui, pour entrave à interruption volontaire de grossesse, a condamné les 6 premiers à 3 mois d'emprisonnement avec sursis, la dernière à 6 mois d'emprisonnement avec sursis, a dit que la mention de cette condamnation serait exclue du bulletin n° 2 du casier judiciaire de Marie-Liesse Z... et d'Isabelle A... et a prononcé sur les intérêts civils.
LA COUR,
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu le mémoire personnel et le mémoire ampliatif produits, communs aux demandeurs, ainsi que le mémoire en défense ;
Sur les faits :
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que, en début de matinée, au centre hospitalier universitaire de Tours, 9 personnes se sont introduites dans la salle d'intervention du service d'orthogénie et se sont enchaînées au sol par les chevilles et par le cou à l'aide d'antivols de motocyclette ; que les lieux ont été libérés en début d'après-midi, après que les services de police furent parvenus à faire ôter les entraves sans risque de blessures ; que pendant ce temps, un communiqué de presse était diffusé, faisant état d'une opération menée " pour sauver avant leur naissance des enfants dont la mort est programmée " ;
Que les membres du groupe sont poursuivis pour entrave à interruption volontaire de grossesse, délit réprimé par l'article L. 162-15 du Code de la santé publique, résultant de la loi du 27 janvier 1993 ; qu'ils ont, par l'arrêt attaqué, été déclarés coupables de cette infraction, laquelle est exclue, par son article 25, 23°, du bénéfice de la loi du 3 août 1995 portant amnistie ;
En cet état :
Sur le premier moyen de cassation proposé par le mémoire personnel, pris de la violation de l'article 2 de la Constitution et de l'article 454 du Code de procédure civile :
Attendu que, si les jugements ou arrêts sont rendus au nom du peuple français, aucun texte ne prescrit que la mention en soit portée dans la décision ;
D'où il suit que le moyen, fondé sur une affirmation contraire, ne saurait être accueilli ;
Sur le deuxième moyen de cassation : (sans intérêt) ;
Sur le troisième moyen de cassation : (sans intérêt) ;
Sur le septième moyen de cassation : (sans intérêt) ;
Sur le quatrième moyen de cassation proposé par le mémoire personnel, pris de la violation de la Convention de Genève du 26 septembre 1926 relative à l'esclavage :
Attendu que, pour écarter l'argumentation des prévenus prise de l'incompatibilité de la législation sur l'interruption volontaire de grossesse avec la Convention de Genève du 25 septembre 1926 relative à l'esclavage, complétée par celle du 7 septembre 1956, l'arrêt attaqué énonce que les enfants à naître ne relèvent pas du champ d'application de ces Conventions ;
Attendu qu'en se prononçant ainsi, la cour d'appel a justifié sa décision sans encourir le grief allégué ;
D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;
Sur le cinquième moyen de cassation pris de la violation de l'article 211-1 nouveau du Code pénal :
Et sur le sixième moyen de cassation pris de la violation de l'article 227-12 du Code pénal :
Les moyens étant réunis ;
Attendu que l'arrêt attaqué rejette à bon droit les moyens pris, d'une part, de la contrariété de la loi relative à l'interruption volontaire de la grossesse avec l'article 227-12 du Code pénal et, d'autre part, de son abrogation implicite par l'effet de l'entrée en vigueur de l'article 211-1 nouveau de ce Code, dès lors que l'avortement, dans les limites autorisées par la loi du 17 janvier 1975, est étranger à l'incrimination de génocide et de provocation à l'abandon d'enfant ;
Que les moyens ne peuvent qu'être écartés ;
Sur le premier moyen de cassation proposé par le mémoire ampliatif, pris de la violation des articles 9 et 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 55 de la Constitution du 4 octobre 1958 :
" en ce que l'arrêt attaqué a rejeté l'exception de non-conformité de l'article L. 162-15 du Code de la santé publique aux articles 9 et 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et a déclaré les prévenus coupables d'avoir empêché ou tenté d'empêcher une interruption volontaire de grossesse ou les actes qui lui sont préalables en perturbant l'accès à un établissement hospitalier ;
" aux motifs que l'article L. 162-15 du Code de la santé publique qui sanctionne d'une peine d'emprisonnement et / ou d'une amende le fait d'empêcher ou de tenter d'empêcher une interruption volontaire de grossesse ou les actes préalables prévus par les articles L. 162-3 et L. 162-8 soit en perturbant l'accès aux établissements d'hospitalisation ou la libre circulation des personnes à l'intérieur de ces établissements, soit en exerçant des menaces ou tout acte d'intimidation à l'encontre des personnels médicaux et non médicaux ou des femmes venues y subir une interruption volontaire de grossesse n'établissait pas une interdiction violente et absolue de la liberté d'expression ; que ce texte qui visait à assurer dans ces établissements la quiétude, la sérénité et l'ordre qui sont d'autant plus nécessaires que les décisions qui s'y prennent requièrent calme et réflexion et que les opérations qui y sont effectuées sont difficiles et délicates ne portait atteinte ni à la liberté de pensée ni à la liberté d'expression qui peuvent s'exercer en tout autre lieu que dans les établissements hospitaliers ou agréés ;
" alors que le droit à la liberté d'opinion consacré par l'article 9 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et qui peut s'exprimer en public ou en privé est un droit absolu qui ne souffre d'autres limites que celles nécessaires à la sécurité publique, à la protection de l'ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ; que, de même, le droit à la liberté d'expression consacré par l'article 10 de la même Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, tout aussi absolu, ne doit pas souffrir d'autres limites que celles nécessaires à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire ; qu'ainsi, en vertu de ces textes eux-mêmes, aucune manifestation d'opinion, dès lors qu'elle s'exerce de façon non violente dans le respect des limites qu'ils prévoient, ne peut être prohibée en quelque lieu qu'elle se déroule ; qu'en particulier ne peut être prohibée une manifestation d'opinion non violente défavorable à la pratique de l'interruption volontaire de grossesse à l'intérieur ou à l'extérieur d'un établissement hospitalier, une telle manifestation ne troublant pas l'ordre, la sécurité ou la morale publics et ne portant pas atteinte aux droits d'autrui ; que, dans la mesure où l'article L. 162-15 du Code de la santé publique a pour fin d'interdire toute manifestation d'opinion même pacifique et silencieuse destinée à dissuader les candidates à l'IVG dans les établissements où sont pratiquées ces interventions, il porte atteinte à la liberté d'opinion et d'expression consacrée par les articles 8 et 9 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales susvisés ; que, par conséquent, en vertu de l'article 55 de la Constitution du 4 octobre 1958, il appartenait à la cour d'appel de constater la non-conformité de l'article L. 162-15 du Code de la santé publique aux articles 9 et 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de renvoyer des fins de la poursuite les prévenus qui, par leur manifestation silencieuse à l'hôpital, n'avaient porté atteinte ni à l'ordre ou à la morale publique, ni aux droits d'autrui " ;
Attendu que l'arrêt attaqué écarte à bon droit le moyen repris par les demandeurs et fondé sur l'incompatibilité de l'article L. 162-15 du Code de la santé publique avec les articles 9 et 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dès lors que la liberté d'opinion et la liberté de manifester ses convictions peuvent être restreintes par des mesures nécessaires à la protection de la santé ou des droits d'autrui ;
D'où il suit que ce moyen ne saurait être accueilli ;
Sur le deuxième moyen de cassation pris de la violation des articles L. 162-1 à L. 162-15 du Code de la santé publique, 6, 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale, ensemble violation des droits de la défense, et des principes de la légalité des poursuites et de l'interprétation stricte de la loi pénale :
" en ce que l'arrêt attaqué a rejeté la demande des neuf prévenus de faire entendre les personnes devant subir une IVG ou se soumettre à des entretiens préalables le 18 novembre 1989 et les a déclarés coupables d'avoir empêché plusieurs interruptions volontaires de grossesse et des actes préalables prévus par les articles L. 162-3 et L. 162-8 du Code de la santé publique, en perturbant l'accès au centre d'orthogénie du CHU Bretonneau ou la libre circulation des personnes à l'intérieur de ce centre ;
" aux motifs que l'intrusion des 9 prévenus dans le centre d'orthogénie avait, selon les déclarations d'une employée du service, contraint celle-ci, par mesure de sécurité, à fermer tous les bureaux à clef ; que, par leur intrusion et leur enchaînement nécessitant l'intervention des services de police et de personnes qualifiées pour défaire les entraves, les 9 prévenus ont perturbé la libre circulation à l'intérieur du centre d'orthogénie du CHU de Tours (p. 31, 4 et 5) ; que les personnes devant subir une IVG ne sauraient être considérées comme témoins à charge dont l'audition s'imposerait en application de l'article 6, 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dans la mesure où la culpabilité des prévenus ne repose pas exclusivement sur les déclarations de ces témoins (p. 33, § 6) ; qu'ils avaient cherché à imposer à autrui leurs conceptions et avaient perturbé le fonctionnement régulier d'un service public au sein duquel se pratique, dans le cadre légal, l'IVG (p. 34, § 1er) ;
" alors, d'une part, que tout accusé a le droit d'interroger ou de faire interroger les témoins à charge ; que cette audition s'impose aux juges du fond lorsqu'ils en sont légalement requis particulièrement lorsque l'accusé n'a jamais été confronté avec les témoins, sauf impossibilité dont ils doivent préciser les causes ; qu'en rejetant la demande des prévenus tendant à l'audition des personnes qui devaient prétendument subir une IVG ou se soumettre à l'entretien préalable à cette intervention dans la matinée du 18 novembre 1993, au seul motif que la preuve de l'infraction ne reposait pas exclusivement sur les déclarations des personnes dont l'audition était demandée sans constater aucune impossibilité à faire entendre lesdits témoins, la cour d'appel a violé les droits de la défense ;
" alors, d'autre part, que le délit prévu et réprimé par l'article L. 162-15 du Code de la santé publique suppose, pour être constitué, un comportement actif, une intervention effective visant à empêcher une interruption volontaire de grossesse en train d'être pratiquée ou sur le point de l'être ; que ne constitue pas une perturbation punissable le fait pour des personnes de s'entraver en silence dans un établissement hospitalier et de n'en plus bouger, sans intervenir de façon active ni sur les médecins, ni sur les praticiens, ni sur le personnel hospitalier pour empêcher de pratiquer une interruption volontaire de grossesse ou d'effectuer les entretiens préalables à ces actes ; qu'en l'espèce où il résulte des énonciations des juges du fond que les prévenus se sont bornés à pénétrer dans l'établissement hospitalier à 8 h 15 le matin et à s'entraver au sol sans effectivement empêcher ou tenter d'empêcher une interruption volontaire de grossesse ou des actes préalables sur quelque patiente que ce soit et que d'ailleurs il n'est pas établi que l'une de ces patientes se soit présentée dans l'établissement, le délit susmentionné n'était pas constitué ; qu'en entrant néanmoins en voie de condamnation à leur encontre, la cour d'appel a violé le principe de l'interprétation restrictive des textes répressifs et prononcé une déclaration de culpabilité illégale ;
" alors, de troisième part, que le délit d'entrave à l'interruption volontaire de grossesse n'est constitué que si, par le fait exclusif des prétendus perturbateurs, toute IVG ou tout acte préalable a été véritablement empêché ; qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué que la fermeture des bureaux et salles a été, non pas le fait des prévenus, mais le fait d'une employée du service du CHU agissant " par mesure de sécurité " cependant que les prévenus entravés silencieusement et allongés sur le sol ne constituaient aucun danger pour la sécurité de l'établissement et ne pouvaient empêcher aucun des actes visés par l'article L. 162-15 du Code de la santé publique ; que, derechef, la déclaration de culpabilité n'est pas légale :
" alors enfin qu'il résulte de l'arrêt attaqué que les 30 entretiens prévus le 18 novembre 1993 n'étaient pas des entretiens préalables à l'IVG (p. 30, dernier), à l'exclusion de certains d'entre eux ; que, cependant, la cour d'appel n'a précisé ni le nombre de ces entretiens, ni l'heure à laquelle ils devaient avoir lieu, ni l'identité des personnes qui devaient prétendument s'y soumettre ; que de même n'ont été précisées ni l'identité des 6 personnes devant prétendument subir une IVG, ni l'heure à laquelle ces interventions devaient être pratiquées ; qu'il s'ensuit qu'aucun contrôle des déclarations du professeur F..., directeur du service d'orthogénie, ni de l'attestation du directeur départementale des affaires sociales d'Indre-et-Loire n'a pu être exercé et qu'aucune certitude n'est établie quant à la réalité des actes prétendument empêchés dans la matinée du 18 novembre 1993 ; qu'enfin, le rejet, par la cour, de faire droit à la demande des prévenus à l'effet de faire entendre les personnes devant prétendument se soumettre à l'entretien préalable ou subir une IVG démontre l'absence des charges pesant sur les prévenus ; qu'ainsi, faute d'avoir établi de façon certaine la réalité des actes empêchés entre 8 h 15 et 13 h 30, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à la déclaration de culpabilité " ;
Sur la première branche :
Attendu que, pour rejeter la demande formée par les prévenus, tendant à la comparution en qualité de témoin des personnes qui devaient subir une interruption volontaire de grossesse le jour des faits, l'arrêt attaqué relève que la preuve du délit ne repose pas seulement sur leurs dépositions, mais surtout sur celles du personnel hospitalier et sur les constatations des services de police ;
Attendu qu'en prononçant ainsi, et dès lors que les prévenus n'ont pas usé devant les premiers juges du droit de faire eux-mêmes citer les témoins, qu'ils tiennent des articles 437 et 444 du Code de procédure pénale, la cour d'appel a justifié sa décision sans méconnaître l'article 6, § 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Sur les 3 autres branches :
Attendu que, pour caractériser le délit de l'article L. 162-15 du Code de la santé publique, l'arrêt attaqué énonce que, par leur intrusion dans les locaux et leur enchaînement nécessitant le recours aux services de police, les prévenus ont perturbé la libre circulation à l'intérieur du centre d'orthogénie, et ainsi empêché plusieurs interruptions volontaires de grossesse de même que des entretiens et consultations préalables à cette intervention ;
Attendu qu'en statuant ainsi, par des motifs procédant de son appréciation souveraine des faits, la cour d'appel a justifié sa décision sans encourir aucun des griefs allégués ;
Que le moyen doit, dès lors, être écarté ;
Sur le troisième moyen de cassation pris de la violation des articles 122-7 du Code pénal, L. 162-1 à L. 162-15 du Code de la santé publique, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a rejeté l'exception de légitime défense et d'état de nécessité invoquée par les 9 prévenus et les a déclarés coupables d'entrave au fonctionnement régulier d'un service IVG ;
" alors que, aux termes de l'article 122-7 nouveau du Code pénal, n'est pas pénalement responsable la personne qui, face à un danger actuel ou imminent qui menace elle-même, autrui ou un bien, accomplit un acte nécessaire à la sauvegarde de la personne ou du bien, sauf s'il y a disproportion entre les moyens employés et la gravité de la menace ; que ce texte d'application générale ne peut souffrir aucune exclusion ; qu'il est incontestable qu'un enfant conçu entre dans les prévisions de ce texte ; que, dès lors, en se présentant le 18 novembre 1993 pour protester silencieusement contre les interruptions volontaires de grossesse programmées pour la journée et tenter de sauver les enfants conçus voués à la destruction comme s'il s'agissait d'un simple déchet et en s'entravant dans les locaux du CHU, les prévenus qui ont, sans disproportion entre les moyens employés et la gravité de la menace pesant sur autrui, accompli un acte nécessaire à la sauvegarde d'autrui ou d'un bien n'ont pas commis l'infraction qui leur est reprochée ; qu'il s'ensuit que la déclaration de culpabilité est illégale " ;
Attendu que les prévenus ont soutenu que l'entrave à l'interruption volontaire de grossesse était justifiée pour sauvegarder l'enfant à naître d'une atteinte à sa vie ;
Attendu qu'en écartant ce fait justificatif, la cour d'appel n'a pas encouru le grief allégué ;
Qu'en effet, l'état de nécessité, au sens de l'article 122-7 du Code pénal, ne saurait être invoqué pour justifier le délit d'entrave à l'interruption volontaire de grossesse, dès lors que celle-ci est autorisée, sous certaines conditions, par la loi du 17 janvier 1975 ;
D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;
Sur le quatrième moyen de cassation pris de la violation des articles 162-15 du Code de la santé publique, 1382 du Code civil, 2, 5 et 593 du Code de procédure pénale, manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a accueilli la constitution de partie civile de Mlle Bougault, personne venue subir une IVG, de M. le professeur F... et autres membres du centre d'orthogénie ;
" aux seuls motifs que ces personnes avaient subi un préjudice moral résultant directement des agissements délictueux des prévenus ;
" alors que, la recevabilité de l'action civile devant la juridiction répressive est subordonnée à l'existence d'un préjudice directement causé par les faits objet des poursuites ; qu'en matière d'entrave à l'interruption volontaire de grossesse, la recevabilité de l'action civile des personnels médicaux et non médicaux travaillant dans les établissements hospitaliers et celle des femmes venues y subir une interruption volontaire de grossesse est subordonnée à l'existence de menaces ou d'acte d'intimidation à l'encontre de ces personnes ; que la simple perturbation de l'accès aux établissements ou de la libre circulation des personnes à l'intérieur de l'établissement ne cause aucun préjudice ni aux personnels médicaux et non médicaux travaillant dans ces établissements, ni aux femmes venues y subir une interruption volontaire de grossesse, qui ne peuvent, dès lors, s'en prévaloir pour obtenir des réparations civiles ; qu'en l'espèce, le tribunal avait relevé (jugement p. 19) que la prévention ne reprochait aux prévenus aucun fait de menace ou d'intimidation ; qu'il ne résulte, par ailleurs, d'aucune des énonciations de l'arrêt attaqué que les prévenus aient exercé des menaces ou un quelconque acte d'intimidation tant à l'encontre des médecins et personnels de l'hôpital non plus qu'à l'encontre de la seule femme venue pour subir une interruption volontaire de grossesse ; que, dès lors, l'action des parties civiles constituées n'était pas recevable et les réparations qui leur ont été accordées sont illégales " ;
Attendu que, pour dire recevable et bien fondée la constitution de partie civile du chef de service du centre d'orthogénie, des membres du personnel de ce centre et d'une personne dont l'interruption volontaire de grossesse a été retardée d'une semaine à la suite du délit, l'arrêt attaqué énonce que cette dernière a souffert d'un préjudice d'ordre psychologique et que les premiers ont été victimes de perturbations dans leur service et leur pratique professionnelle, en relation de causalité directe avec les faits poursuivis ;
Attendu qu'en prononçant ainsi, la cour d'appel a fait l'exacte application de la loi ;
Que le moyen ne saurait, dès lors, être admis ;
Sur le cinquième moyen de cassation pris de la violation des articles 162-15, 1 du Code de la santé publique, 2, 5 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré recevable la constitution de partie civile du syndicat CFDT santé et a condamné solidairement les prévenus à lui payer des dommages-intérêts ;
" alors qu'aux termes de l'article L. 162-15, 1 du Code de la santé publique, seules peuvent exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne les infractions prévues par l'article L. 162-15 lorsque les faits ont été commis en vue d'empêcher ou de tenter d'empêcher une interruption volontaire de grossesse ou les actes préalables prévus par les articles L. 162-3 à L. 162-8, les associations régulièrement déclarées depuis au moins 5 ans à la date des faits dont l'objet statutaire comporte la défense des droits des femmes à accéder à la contraception et à l'avortement ; qu'en l'espèce, il ne résulte ni de l'arrêt attaqué ni du jugement qu'il confirme que le syndicat CFDT Santé ait eu pour objet statutaire la défense des droits des femmes à accéder à la contraception et à l'avortement ; qu'il s'ensuit que la condamnation prononcée viole l'article L. 162-15, 1 du Code de la santé publique " ;
Attendu que, pour dire le syndicat CFDT Santé recevable en sa constitution de partie civile, l'arrêt se fonde non sur l'article L. 162-15, 1 du Code de la santé publique, applicable aux seules associations, mais sur l'article L. 411-11 du Code du travail, aux termes duquel les syndicats professionnels peuvent, devant toutes les juridictions, exercer tous les droits réservés à la partie civile relativement aux faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession qu'ils représentent ;
D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;
Sur le sixième moyen de cassation pris de la violation des articles 162-15, 1 du Code de la santé publique, 2, 5 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré recevable la constitution de partie civile du CHU Bretonneau et a condamné solidairement les prévenus à lui payer des dommages-intérêts ;
" alors que seul le préjudice directement causé par l'infraction peut justifier l'action civile devant la juridiction répressive ; qu'en l'espèce, le fait que le CHU Bretonneau ait eu à payer aux membres de son personnel des sommes correspondant aux salaires et charges patronales, qui font de toute façon partie des charges pesant habituellement sur l'établissement, ne constitue pas, à le supposer tel, un préjudice directement causé par les faits reprochés aux prévenus ; qu'il s'ensuit que c'est à tort que la cour d'appel a reçu le CHU en sa constitution de partie civile et lui a accordé des réparations " ;
Attendu qu'en allouant une indemnité au centre hospitalier universitaire, correspondant aux salaires versés aux membres de son personnel empêchés de travailler pendant l'occupation des locaux, la cour d'appel a justifié sa décision au regard de l'article 3 du Code de procédure pénale ;
Que le moyen doit, dès lors, être écarté ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE les pourvois.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 95-81319
Date de la décision : 31/01/1996
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Criminelle

Analyses

1° JUGEMENTS ET ARRETS - Mentions - Mentions obligatoires - Au nom du peuple français (non).

1° Si les jugements ou arrêts sont rendus au nom du peuple français, aucun texte ne prescrit que la mention en soit portée dans la décision.

2° CONVENTION EUROPEENNE DES DROITS DE L'HOMME - Article 9 - 2 - Liberté de manifester sa religion ou ses convictions - Santé publique - Entrave à l'interruption volontaire de grossesse.

2° CONVENTION EUROPEENNE DES DROITS DE L'HOMME - Article 10 - 2 - Liberté d'opinion - Santé publique - Entrave à l'interruption volontaire de grossesse 2° SANTE PUBLIQUE - Interruption volontaire de grossesse - Entrave - Convention européenne des droits de l'homme - Articles 9 et 10 - Compatibilité.

2° Les dispositions de l'article L. 162-15 du Code de la santé publique réprimant l'entrave à l'interruption volontaire de grossesse ne sont pas inconciliables avec celles des articles 9 et 10 de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dès lors que la liberté d'opinion et la liberté de manifester ses convictions peuvent être restreintes par des mesures nécessaires à la protection de la santé ou des droits d'autrui.

3° FAITS JUSTIFICATIFS - Etat de nécessité - Condition - Santé publique - Entrave à l'interruption volontaire de grossesse.

3° ETAT DE NECESSITE - Condition - Santé publique - Entrave à interruption volontaire de grossesse 3° SANTE PUBLIQUE - Interruption volontaire de grossesse - Entrave - Fait justificatif - Etat de nécessité (non).

3° L'état de nécessité, au sens de l'article 122-7 du Code pénal, ne saurait être invoqué pour justifier le délit d'entrave à l'interruption volontaire de grossesse, dès lors que celle-ci est autorisée, sous certaines conditions, par la loi du 17 janvier 1975.


Références :

1° :
1° :
2° :
2° :
3° :
Code de la santé publique L162-15 3° :
Code de procédure civile 454
Code pénal 122-7
Constitution du 04 octobre 1958 art. 2
Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 04 novembre 1950 art. 9, art. 10
Loi 75-17 du 17 janvier 1975

Décision attaquée : Cour d'appel d'Orléans (chambre correctionnelle), 31 janvier 1995


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 31 jan. 1996, pourvoi n°95-81319, Bull. crim. criminel 1996 N° 57 p. 147
Publié au bulletin des arrêts de la chambre criminelle criminel 1996 N° 57 p. 147

Composition du Tribunal
Président : Président : M. Le Gunehec
Avocat général : Avocat général : M. Dintilhac.
Rapporteur ?: Rapporteur : Mme Ferrari.
Avocat(s) : Avocats : la SCP Delaporte et Briard, la SCP Masse-Dessen, Georges et Thouvenin.

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:1996:95.81319
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