CASSATION sur le pourvoi formé par :
- X... Daniel, syndic à la liquidation des biens de la société anonyme Henry, partie civile,
contre l'arrêt de cour d'appel de Rennes, chambre correctionnelle, en date du 3 juin 1994, qui, statuant sur intérêts civils après condamnation définitive de Germain Y..., Jean Z..., Christian A..., Henri B..., Jean C..., Michel D... et Yves E..., pour abus de biens sociaux et complicité, faux, complicité et usage de faux, a débouté la partie civile de sa demande.
LA COUR,
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 147, 150, 151 du Code pénal, 437 de la loi du 24 juillet 1966, 2, 3, 591 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale :
" en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a débouté Me X... de sa demande d'indemnisation du préjudice causé à la société Henry par une fausse sentence arbitrale et la passation de la somme de 4 976 376 francs au débit du compte client de la société Henry en exécution de cette sentence ;
" aux motifs que la somme réclamée par Me X... correspondait au montant exact de la fausse sentence arbitrale pour laquelle la société Henry disposait d'un titre de créance ; qu'aucun autre chef de préjudice n'était allégué ; que la sentence litigieuse n'avait pas été exécutée et n'avait fait l'objet que d'écritures comptables ; qu'il n'était pas établi qu'en l'absence de cette sentence, la société Henry aurait été en mesure de recouvrer sa créance sur la SAR dont les résultats étaient déficitaires ; qu'aucun préjudice déterminable n'était directement lié à la fausse sentence arbitrale ;
" alors, d'une part, que les délits de faux et d'usage de faux en écritures de commerce impliquent nécessairement l'existence d'un préjudice causé à la partie civile dont le juge doit ordonner la réparation ; qu'en refusant de tenir compte de la perte par la société Henry de sa créance à l'égard de la SAR liée aux infractions de faux poursuivies à l'origine du passif de la société Henry après avoir constaté que, par le jeu des écritures comptables litigieuses, cette créance s'était éteinte au préjudice de celle-ci, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision ;
" alors, d'autre part, que la cour d'appel, qui n'a pas recherché, comme elle y était invitée, si les manoeuvres nées du concert frauduleux objet des poursuites n'étaient pas à l'origine de la situation déficitaire de la SAR qui aurait empêché la société Henry de recouvrer sa créance à son encontre et si les auteurs de ces manoeuvres, pénalement condamnés, à l'origine de ce déficit, ne devaient pas en supporter les conséquences sur le plan civil, a privé sa décision de base légale " ;
Vu lesdits articles ;
Attendu qu'une condamnation pour délits de faux et usage de faux ayant acquis l'autorité de la chose jugée implique nécessairement l'existence d'un préjudice ;
Attendu qu'il était notamment reproché aux prévenus, sous les qualifications de faux, complicité et usage de faux, d'avoir fabriqué une sentence arbitrale condamnant la société anonyme Henry à payer à son principal client, la société SAR, dirigée par Germain Y..., la somme de 4 976 376 francs, sous prétexte de fournitures non conformes, et ordonnant la compensation de cette dette avec la créance de 3 000 000 francs que la première société détenait sur la seconde ;
Attendu que, pour condamner les intéressés de ces chefs, la cour d'appel, dans son arrêt du 3 juillet 1990 devenu définitif, a relevé que la fausse sentence arbitrale en date du 27 octobre 1988, qui avait aussitôt donné lieu, le 4 novembre, à l'enregistrement dans la comptabilité de la société Henry d'un débit de 4 976 376 francs, était l'une des manifestations du concert frauduleux qui avait permis, au détriment de cette société, des ponctions telles que sa situation, déjà difficile, était devenue désespérée, contribuant ainsi à sa mise en liquidation de biens, prononcée le 23 novembre 1988 ; que, sur l'action civile du syndic, la juridiction du second degré a ordonné une expertise aux fins d'évaluer le préjudice causé à la société anonyme Henry par l'exécution de la sentence arbitrale ;
Attendu que, statuant sur intérêts civils par l'arrêt attaqué, la cour d'appel a rejeté l'action en réparation du syndic aux motifs que la somme demandée correspond au montant exact de la fausse sentence arbitrale pour laquelle la société anonyme Henry dispose d'un titre de créance ; qu'aucun autre chef de préjudice n'est allégué ; que la sentence litigieuse n'a pas été exécutée et qu'elle n'a fait l'objet que d'écritures comptables ; qu'il n'est pas établi que la société anonyme Henry, en l'absence de cette sentence arbitrale, aurait été en mesure de recouvrer sa créance sur la SAR, dont les résultats étaient déficitaires ; qu'au vu du rapport d'expertise, aucun préjudice directement lié à la fausse sentence arbitrale du 27 octobre 1988 n'est déterminable ni établi ;
Mais attendu qu'en prononçant ainsi, alors qu'elle avait admis précédemment que la fausse sentence arbitrale, qui avait donné lieu à extinction de créance par compensation, a contribué à la mise en liquidation de biens, la cour d'appel, qui ne pouvait, sans méconnaître l'autorité de la chose jugée, dénier l'existence d'un préjudice inhérent aux délits de faux et usage de faux, n'a pas légalement justifié sa décision ;
D'où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs :
CASSE ET ANNULE en toutes ses dispositions l'arrêt de la cour d'appel de Rennes du 3 juin 1994, et pour qu'il soit jugé à nouveau, conformément à la loi :
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel d'Angers.