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28/11/1995 | FRANCE | N°93-84134

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 28 novembre 1995, 93-84134


REJET du pourvoi formé par :
- X... Paul, partie civile,
contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, 11e chambre, du 8 juillet 1993, qui l'a débouté de ses demandes, après relaxe de Jacques Y... et Edwy Z... des chefs de diffamation publique envers un fonctionnaire public et complicité.
LA COUR,
Vu l'article 21 de la loi du 3 août 1995 portant amnistie ;
Vu les mémoires produits en demande, en défense et en réplique ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que, par exploit du 26 avril 1991, Paul X..., officier retraité de l

a gendarmerie, a fait citer devant le tribunal correctionnel Jacques Y..., direct...

REJET du pourvoi formé par :
- X... Paul, partie civile,
contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, 11e chambre, du 8 juillet 1993, qui l'a débouté de ses demandes, après relaxe de Jacques Y... et Edwy Z... des chefs de diffamation publique envers un fonctionnaire public et complicité.
LA COUR,
Vu l'article 21 de la loi du 3 août 1995 portant amnistie ;
Vu les mémoires produits en demande, en défense et en réplique ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que, par exploit du 26 avril 1991, Paul X..., officier retraité de la gendarmerie, a fait citer devant le tribunal correctionnel Jacques Y..., directeur de la publication du quotidien Le Monde, pour diffamation publique envers un fonctionnaire public et Edwy Z..., journaliste audit quotidien, pour complicité de ce délit, en application des articles 29 alinéa 1, 31 alinéa 1, 42 et 43 de la loi du 29 juillet 1881, ainsi que la SARL Le Monde, en qualité de civilement responsable, à la suite de la parution, dans le numéro daté du 21 mars 1991 du journal précité, d'un article intitulé " Irlandais de Vincennes : les cachotteries de l'Elysée ", portant en sous-titre " Deux documents confidentiels confirment que la vérité sur cette affaire, connue en haut lieu, fut cachée à la justice ", et retenu à raison des passages suivants :
" Une fois n'est pas coutume, une affaire d'Etat, plus pitoyable que dramatique, va donc connaître un épilogue judiciaire. Dans le prétoire, quelques vérités seront enfin échangées, notamment à l'initiative de Jean-Michel A..., cet ancien officier de gendarmerie qui, après avoir pris sur lui les manipulations de procédure de Vincennes, s'est retourné contre ceux qui l'ont trompé. Ainsi l'ancien major José I... expliquera qu'il a menti à la justice sur ordre (du commandant A..., ce dernier ajoutera qu'il est en effet coupable de subornation de témoins mais qu'il a agi sur ordre) de MM. B... et X... au nom de la " raison d'Etat ", et enfin M. B... rejettera l'accusation en assurant que M. X... lui a toujours caché la vérité ;
" Or, curieusement, le personnage clé de cette affaire ne sera pas dans le box des prévenus. M. X... n'a en effet jamais été entendu au cours de l'instruction, a fortiori n'a jamais été inculpé et est aujourd'hui hors de toute atteinte judiciaire, puisque cet oubli surprenant a laissé passer le délai légal de la prescription. A moins qu'il n'accepte de venir témoigner, l'ancien capitaine ne sera pas là pour éclaircir des accusations qui pourtant convergent toutes vers lui. Cette étonnante absence est le résultat d'une curieuse cuisine politico-judiciaire où tout a été fait pour que la justice en sache le moins possible sur cette ténébreuse affaire.
" Une situation que l'on pourrait ainsi résumer : en haut lieu, la vérité était connue de longue date, mais elle sera sciemment cachée au juge d'instruction et quand, toujours grâce à la presse, elle sera en partie dévoilée, " on " fera en sorte que la justice n'ait à la connaître que partiellement. Deux documents confidentiels aujourd'hui en notre possession le prouvent. Le premier est une note interne au palais de l'Elysée, rédigée le 20 avril 1984 par l'un des conseillers de François C..., qui a quitté la présidence depuis, M. Régis D... L'autre est un long procès-verbal établi du 17 au 25 janvier 1985 par deux policiers de la Direction de la surveillance du territoire (DST)...
" Ces deux documents concernent le personnage le plus énigmatique de cette affaire, M. Bernard E.... Ancien sympathisant actif de la cause irlandaise, mêlé à des activités clandestines de logistique militaire, c'est lui qui est à l'origine de toute l'affaire. En août 1982, en pleine vague d'attentats parisiens d'origine proche-orientale, il croira totalement à tort que ses anciens amis irlandais y sont impliqués. Après qu'il eut été aiguillé par des journalistes du Nouvel Observateur vers M. X..., sa seule intime conviction déclenchera l'opération de Vincennes. Or E... sait, depuis l'arrestation des Irlandais, que les pièces à conviction saisies n'en sont pas. Et pour cause : c'est lui qui les a remises au capitaine X... avant l'interpellation de Michael F..., Stephen G... et Mary H...

" L'existence de E... paraît le jour où E..., après trois ans d'errance, de peur et de dépression, accepte enfin de raconter son histoire au juge d'instruction chargé du dossier, M. Alain Verleene. Mais durant ces trois ans, E... avait beaucoup parlé à d'autres, et pas à n'importe qui. A M. X..., évidemment, qui s'efforcera de le contrôler durant un an, jusqu'à l'automne 1983...
" J'ai rencontré M. Bernard E... hier, écrit M. D... dans cette note datée du 20 avril 1984. Il me paraît bien être le seul témoin capital et se déclare prêt à faire crever l'abcès, dût-il aller lui-même en prison. Cette clarification aurait l'avantage de mettre clairement le commandant B... hors de cause et d'authentifier l'extrême importance de l'affaire des Irlandais, lamentablement saccagée par le capitaine X...

" M. E... continue de porter comme un lourd fardeau son secret, et ses protecteurs ne lui donnent pas le seul conseil sage : se confier à la justice. C'est pourquoi, se sentant menacé par M. X... et ses amis, il ira, le 17 janvier 1985, se confier à la DST, avec sans doute toujours l'idée de " servir " la lutte antiterroriste...
" Faut-il ajouter que ce procès-verbal, transmis huit mois plus tard au parquet de Paris, quand il ne sera plus possible de faire autrement, ne sera jamais communiqué au juge d'instruction ? "
Attendu que, par acte du 6 mai 1991, les prévenus ont fait signifier à Paul X... une offre de preuve de la vérité des faits diffamatoires, comportant copie de pièces et dénonciation de témoins ;
Qu'avant toute défense au fond, la partie civile a soulevé l'irrecevabilité de l'offre de preuve, au motif, notamment, que l'écrit incriminé comportait une imputation se référant à un fait constitutif d'une infraction prescrite, tombant, comme telle, sous le coup de l'interdiction prévue par l'article 35 de la loi du 29 juillet 1881 ;
Que, par décision avant dire droit du 22 novembre 1991, le tribunal a constaté que les prévenus renonçaient à l'offre de preuve relative à l'imputation suivante, " l'ancien major José I... expliquera qu'il a menti à la justice sur ordre de MM. B... et X... au nom de la raison d'Etat, et M. B... rejettera l'accusation en assurant que M. X... lui a toujours caché la vérité ", et qu'ils renonçaient également à l'audition du témoin B... ;
Que, par cette même décision, les juges, rejetant l'exception soulevée, ont déclaré l'offre de preuve régulière et recevable, et ont sursis à statuer jusqu'à la disparition de l'empêchement faisant obstacle à l'audition, en qualité de témoins dénoncés en application de l'article 55 de la loi précitée, de Jean-Michel A... et de Bernard E..., alors poursuivis pour des faits présentant un lien étroit avec ceux de la présente procédure ;
Que, par jugement du 17 septembre 1992, le tribunal, statuant au fond, a constaté le caractère diffamatoire de certains passages de l'article incriminé et, après avoir analysé les pièces et témoignages produits, a considéré que la preuve de la vérité des faits diffamatoires avait été rapportée ; qu'il a en conséquence relaxé les prévenus, mis hors de cause la société Le Monde, et débouté Paul X... de ses demandes ;
Qu'appel ayant été interjeté par celui-ci de cette seule décision, la juridiction du second degré a, par l'arrêt attaqué, écarté diverses exceptions soulevées par la partie civile et confirmé le jugement entrepris ;
En cet état :
Sur le premier moyen de cassation pris de la violation de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble violation des droits de la défense :
" en ce que l'arrêt attaqué a été rendu par la cour composée, entre autres, de M. Chanut, conseiller ;
" alors que le principe d'impartialité édicté par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales interdit qu'une juridiction de jugement soit composée de magistrats ayant déjà eu à connaître, directement ou indirectement, des faits déférés à son jugement et à prononcer sur ces faits ; qu'en l'espèce, le conseiller Chanut qui composait la onzième chambre de la cour d'appel de Paris pour juger des faits soumis à cette chambre sur l'appel du capitaine X... dans l'action en diffamation diligentée contre MM. Y... et Z... et la SARL le Monde relativement aux imputations diffamatoires portées contre cet ancien officier de gendarmerie à propos de l'affaire dite des " Irlandais de Vincennes ", composait également la onzième chambre de la cour d'appel lorsque cette chambre a eu à connaître des faits reprochés au commandant B... et au commandant A..., et qui ont donné lieu à son arrêt du 15 janvier 1992 ; qu'en effet, pour relaxer le commandant B... des fins de la poursuite du chef de complicité de subornation de témoins, la cour de Paris a retenu, entre autres, que le capitaine X... avait participé à l'opération incriminée, en avait assuré le commandement effectif et avait le contact avec les hommes auxquels avait été donné l'ordre de faire des déclarations mensongères sur les conditions dans lesquelles s'était déroulée l'arrestation des trois Irlandais (arrêt du 15 janvier 1992, p. 14 § 2 et 3) ; qu'il s'ensuit que la composition de la cour d'appel pour statuer sur l'appel du capitaine X... et prononcer sur la diffamation reprochée à MM. Y... et Z... n'était pas impartiale au sens de l'article 6 de la Convention européenne susvisée qui a été violé et que les droits de la défense ont été méconnus " ;
Attendu que la participation d'un même conseiller de la chambre des appels correctionnels aux débats relatifs à deux procédures différentes, opposant des parties distinctes sur des faits également distincts, fussent-ils connexes, n'est pas contraire à l'exigence d'impartialité énoncée par l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Que, dès lors, le moyen doit être écarté ;
Sur le deuxième moyen de cassation : (sans intérêt) ;
Sur le troisième moyen de cassation : (sans intérêt) ;
Sur le cinquième moyen de cassation pris de la violation des articles 6 § 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 31, 35 alinéa 3 de la loi du 29 juillet 1881, 6 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a débouté la partie civile de ses demandes à l'encontre de MM. Y... et Z..., et de la SARL le Monde, civilement responsable ;
" aux motifs que l'absence de poursuite à l'encontre d'une personne diffamée, pour les faits qui lui sont imputés, alors même qu'ils constitueraient une infraction pénale, ne saurait faire obstacle à la mise en oeuvre et à l'exercice de l'action en diffamation fondée sur les dispositions de la loi du 29 juillet 1881 ; qu'il est constant que la vérité des faits diffamatoires pouvait toujours être prouvée, sous réserve du respect des formes prévues par l'article 55 de ladite loi, à l'exception des cas limitativement énoncés par l'article 35 alinéa 3, étrangers à l'espèce ; que le jugement du 22 novembre 1991 dont il n'a pas été relevé appel avait déclaré régulière et recevable l'offre de preuve présentée par les prévenus et constaté qu'aucun des faits dont la preuve était offerte n'était atteint par l'une des prohibitions énoncées à l'article 35 alinéa 3 ;
" alors, d'une part, que l'article 35 de la loi du 29 juillet 1881 porte, en son alinéa 3, que la preuve des faits diffamatoires est interdite lorsque l'imputation se réfère à un fait constituant une infraction pénale amnistiée ou prescrite ; qu'il en est ainsi même si les faits imputés n'ont reçu aucune qualification pénale et qu'il appartient alors aux juges du fond de rechercher la qualification qu'ils auraient pu recevoir afin de vérifier si leur prescription est ou non acquise et la preuve s'y rapportant recevable ; qu'en se bornant à affirmer que les faits imputés à la partie civile étaient étrangers aux cas énoncés par l'article 35 alinéa 3 sans rechercher s'ils pouvaient ou non constituer une infraction pénale ni s'expliquer, le cas échéant, sur la qualification pénale qu'ils auraient pu recevoir, la cour d'appel a violé ce texte ;
" alors, d'autre part, que seul a l'autorité de la chose jugée le jugement qui juge une partie du principal ; que, dès lors que le jugement avant dire droit du 22 novembre 1991 a simplement affirmé, de façon vague, qu'aucun des faits dont l'offre de preuve était proposée n'apparaissait, en l'état, atteint par l'une des prohibitions de l'article 35 (3e alinéa) de la loi du 29 juillet 1881, sans exposer ni qualifier les faits qui n'auraient pas été atteints par la prescription, la partie civile était parfaitement recevable à faire constater, au jour où l'affaire a été examinée au fond, que certains des faits dont l'offre de preuve était proposée constituaient des délits qui étaient atteints par la prescription et dont la preuve tombait sous le coup de l'interdiction de l'article 35 susmentionné ; qu'en se déterminant par les motifs susrapportés, la cour d'appel a violé les articles 6 de la Convention précitée, et 35 de la loi du 29 juillet 1881 " ;
Attendu que, pour écarter les prétentions de Paul X... faisant grief aux premiers juges d'avoir rejeté l'exception d'irrecevabilité de l'offre faite par les prévenus de rapporter la preuve des imputations diffamatoires, la juridiction du second degré relève notamment que le jugement du 22 novembre 1991, par lequel le tribunal a constaté qu'aucun des faits dont la preuve était offerte n'était atteint par l'une des prohibitions énoncées à l'article 35, alinéa 3, c) de la loi du 29 juillet 1881, n'a pas été frappé d'appel ;
Attendu qu'en cet état, et dès lors que la décision incidente sur l'exception précitée était passée en force de chose jugée, la cour d'appel n'avait pas à examiner, comme elle l'a fait, ladite exception ;
D'où il suit que le moyen, qui critique le rejet de cette dernière, est irrecevable ;
Sur le quatrième moyen de cassation pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 35 et 55 de la loi du 29 juillet 1881, 427 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale, ensemble violation des droits de la défense :
" en ce que l'arrêt attaqué a rejeté l'exception tirée de la violation, par les premiers juges, du principe d'impartialité des juridictions de jugement édicté par l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, à raison de la production, par les prévenus, au titre de l'offre de preuve, de pièces et documents en l'espèce des albums de photos et des cassettes qui n'ont pas été communiqués à la partie civile ;
" aux motifs que la décision des premiers juges n'était fondée ni sur la production par les prévenus et par le civilement responsable de pièces qui n'auraient pas été notifiées dans le cadre de l'offre de preuve, ni sur l'audition de témoin dont le nom, la profession et le domicile n'auraient pas fait l'objet d'une signification conforme aux dispositions de l'article 55 de la loi du 29 juillet 1881 ; qu'il n'apparaissait pas que les premiers juges aient examiné et tiré argument d'un quelconque document dans des conditions qui n'auraient pas permis aux parties d'en discuter librement et contradictoirement la teneur, la valeur et la portée ;
" alors que l'article 55 de la loi du 29 juillet 1881 impose au prévenu, qui veut être admis à prouver la vérité des faits diffamatoires, de faire signifier au plaignant la copie des pièces dont il entend se prévaloir ; que cette signification s'entend aussi bien des pièces qui seraient produites par le prévenu lui-même que de celles qui seraient produites par les témoins dont il a demandé l'audition ; qu'en l'espèce, le témoin J...a produit à l'audience un album de photographies et une cassette qui n'avaient pas été communiqués à la partie civile dans le cadre de l'offre de preuve de la vérité des faits diffamatoires et qui ont, de surcroît, au terme du témoignage de ce témoin, été remis, à sa demande, au président qui les a conservés ; que cette façon de procéder qui constituait une violation à la fois de l'article 55 de la loi du 29 juillet 1881 et de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales qu'il appartenait à la cour d'appel de sanctionner, a été dénoncée dans la note adressée par le conseil de la partie civile au président de la juridiction par une note en date du 7 septembre 1992 ; que, dès lors, peu important que le tribunal ait ou non examiné ou tiré argument de ces documents non régulièrement communiqués à la partie civile, la procédure était entachée d'une nullité que la cour d'appel devait constater ;
" alors, en tout état de cause, que la cour qui admet que le témoin J..., signifié à la partie civile, a produit aux débats un article de l'Evènement du Jeudi relatant la représentation à E... des photographies des armes et des pièces à conviction trouvées à Vincennes, lequel n'avait pas été signifié à la partie civile conformément à l'article 55 de la loi susmentionnée, devait constater que les dispositions de ce texte avaient été violées et que cette violation constituait une atteinte au principe de l'impartialité des juridictions " ;
Attendu qu'il n'importe que, lors de son audition par le tribunal, un des témoins, régulièrement dénoncés en application de l'article 55 de la loi du 29 juillet 1881, ait produit divers documents non signifiés et que ceux-ci aient été versés au dossier, dès lors que, ainsi que la Cour de Cassation est en mesure de s'en assurer, les juges n'ont pas fait état de ces pièces dans leur appréciation de la preuve de la vérité des faits diffamatoires ;
Qu'ainsi, le moyen doit être écarté ;
Sur le sixième moyen de cassation pris de la violation des articles 29, 30, 31, 32, 53 et 55 de la loi du 29 juillet 1881, 437, 512 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale :
" en ce que l'arrêt a déclaré que la preuve de la vérité des faits diffamatoires était rapportée et a débouté la partie civile de ses demandes ;
" aux motifs que E... avait été poursuivi, puis condamné au vu de ses propres explications et que sa version des faits formait un tout ; que l'irrégularité avérée des conditions de la perquisition opérée le 28 août 1982 au domicile de F... ne pouvait s'expliquer que par une grave anomalie dans la conception et l'organisation mêmes de l'interpellation des Irlandais, étant rappelé que l'affaire a eu pour origine l'obtention de renseignements par le capitaine X... ; que les documents produits et les témoignages recueillis au titre de l'offre de preuve constituaient des sources diversifiées d'informations complémentaires amplement concordantes et fiables, d'où il résultait que la preuve de la vérité de l'imputation diffamatoire était rapportée ;
" alors, d'une part, que seuls peuvent être retenus comme rapportant la preuve des faits diffamatoires les éléments que l'auteur de la diffamation étaient en mesure de produire au moment où les faits diffamatoires ont été rendus publics ; qu'en retenant, pour déclarer rapportée la preuve des faits diffamatoires, la condamnation prononcée contre E... qui n'est intervenue que le 24 septembre 1991 et que les prévenus ne pouvaient connaître à la date de la publication (21 mars 1991) de l'article incriminé, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
" alors, d'autre part, que, aux termes de l'article 35 de la loi du 29 juillet 1881, la preuve de la vérité du fait diffamatoire pourra être établie par les voies ordinaires ; que, à peine de nullité des témoignages reçus, les témoins doivent préalablement à leur déposition prêter serment ; qu'en l'espèce, il résulte du jugement du 17 septembre 1992 que ni M. E..., ni M. A..., ni M. J..., entendus par les premiers juges en qualité de témoins et sur les déclarations desquels se fonde la décision de relaxe, n'ont prêté serment ; qu'il s'ensuit que ces témoignages qui étaient entachés de nullité et devaient être écartés des débats ne pouvaient permettre de retenir que la preuve de la vérité des faits diffamatoires était rapportée ; qu'ainsi, la cour d'appel a violé l'ensemble des textes susvisés " ;
Attendu que, pour écarter l'argumentation de la partie civile, qui contestait la fiabilité des déclarations de Bernard E..., entendu au titre de l'offre de preuve de la vérité des faits diffamatoires, la juridiction du second degré énonce que, lors de son audition par les fonctionnaires de la DST, ce témoin a fait une relation précise et détaillée des propos tenus par Paul X... et du comportement de celui-ci à son domicile ; qu'il a décrit minutieusement les armes, documents et objets remis par lui à l'officier de gendarmerie et dont il a toujours affirmé la correspondance avec les pièces à conviction saisies dans l'appartement de l'un des Irlandais ; que la cour d'appel ajoute que ses déclarations concordent avec plusieurs données extrinsèques qu'elle énumère ; qu'elle en déduit que " la remise au capitaine X..., par E..., des armes, explosifs et documents qu'il détenait, constituait l'aboutissement logique de son revirement et de ses démarches tendant à l'information des autorités compétentes sur ses activités antérieures et ses liens avec les milieux terroristes " et ajoute que, comme l'a indiqué le tribunal, " E... a été poursuivi et condamné au vu de ses propres explications et que sa version des faits forme un tout " ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, dont il résulte que la condamnation pénale prononcée contre Bernard E... le 24 septembre 1991 n'a pas été retenue par les juges du fond comme un élément de preuve de la vérité des faits diffamatoires, mais a été prise en considération uniquement pour justifier la crédibilité du témoin, l'arrêt attaqué n'encourt pas les griefs allégués à la première branche du moyen ;
D'où il suit que celui-ci, irrecevable en sa seconde branche, qui invoque pour la première fois devant la Cour de Cassation le défaut de prestation de serment des témoins entendus au titre de l'offre de preuve de la vérité des imputations diffamatoires, ne saurait être accueilli ;
Sur le septième moyen de cassation pris de la violation de l'article 6 § 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, de l'article 55 de la Constitution du 4 octobre 1958 et de l'article 593 du Code de procédure pénale :
" en ce que l'arrêt attaqué a rejeté l'exception de violation du principe de la présomption d'innocence édictée par l'article 6 de la Convention européenne et confirmé le jugement déféré en ce qu'il a débouté Paul X..., partie civile, de ses demandes en réparation du préjudice que lui avait causé un article diffamatoire à son égard paru dans le journal Le Monde du 21 mars 1991 ;
" aux motifs que les premiers juges dont la Cour confirme elle-même les appréciations de fond ont relevé, après avoir analysé les imputations figurant dans l'article litigieux, " qu'il s'agit là d'une accusation capitale, qui porte très gravement atteinte à l'honneur et à la considération de Paul X... " et qu'il " s'agit incontestablement de l'une des plus graves accusations qui puisse se concevoir contre un fonctionnaire public, militaire de surcroît " ; que les premiers juges ont également énoncé " que certains obstacles de droit, comme la difficulté d'appliquer une qualification pénale appropriée aux circonstances de l'espèce, ou de fait, comme l'inaction du parquet ou l'inertie du juge d'instruction, peuvent s'opposer à la poursuite et au jugement de l'auteur d'un comportement répréhensible qui, dès lors, ne saurait tirer de son impunité un brevet d'innocence " ; que les premiers juges répondaient ainsi à l'argument de " l'ex-capitaine X... " (sic) qui faisait valoir que son absence d'inculpation dans le délai de prescription suffisait à interdire à quiconque de l'impliquer dans les faits que lui impute l'article litigieux ; que cependant le jugement de première instance et par suite l'arrêt confirmatif attaqué lui-même n'a pas pour autant condamné Paul X... ni ne l'a déclaré coupable de quelque infraction que ce soit par une motivation qui se situe essentiellement dans le cadre des dispositions de la loi sur la presse ; qu'au demeurant Paul X... n'a pas la qualité d'accusé au sens de l'article 6 § 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que l'absence de poursuite à l'encontre d'une personne diffamée pour les faits qui lui sont imputés, alors même qu'ils constitueraient une infraction pénale, ne saurait faire obstacle à la mise en oeuvre et à l'exercice de l'action en diffamation fondée sur les dispositions de la loi du 29 juillet 1881 et qu'il est constant que la vérité des faits diffamatoires peut toujours être prouvée, sous réserve du respect des formes prévues par l'article 55 de ladite loi, à l'exception des cas limitativement énoncés par l'article 35 alinéa 3, étrangers à l'espèce ;
" alors, d'une part, qu'au sens de l'article 6 § 2 de la Convention européenne, qui est un texte de droit international, la qualification d'accusé ne doit pas être restreinte au sens qu'elle revêt en droit pénal interne français et que la présomption d'innocence qui est un aspect du droit fondamental de l'homme à l'honneur s'impose à toute juridiction, répressive ou non, et ce quelle que soit la qualité dans laquelle la personne à qui est imputée une infraction se trouve mise en cause ;
" et alors, d'autre part, que l'article 55 de la Constitution du 4 octobre 1958 assure la primauté du droit conventionnel sur le droit interne, que la présomption d'innocence garantie par la Convention européenne doit donc prévaloir sur les dispositions de la loi du 29 juillet 1881 dans tous les cas où il existerait une incompatibilité entre les deux textes et qu'en l'espèce, la présomption d'innocence interdit à la juridiction répressive saisie d'une action en diffamation et qui reconnaît le caractère diffamatoire d'une grave accusation formulée contre la partie civile dans un article de presse, de débouter cette partie civile de sa demande au motif, qui constitue le soutien nécessaire du dispositif et qui revêt donc l'autorité de chose jugée, que les accusations diffamatoires sont l'expression de la vérité, ce qui implique nécessairement de la part de l'autorité judiciaire interne, à l'encontre de la partie civile, présomption qu'elle est coupable d'avoir commis les infractions dont elle a été accusée sans que sa culpabilité ait été légalement établie " ;
Attendu que, pour rejeter les conclusions de la partie civile faisant valoir que le tribunal, en la déboutant de ses demandes par les motifs rappelés au moyen, avait méconnu la présomption d'innocence édictée par l'article 6 § 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la cour d'appel relève que le plaignant n'a pas été condamné, ni même déclaré coupable d'une quelconque infraction par le jugement entrepris, dont la motivation est cantonnée aux dispositions de la loi sur la liberté de la presse ; qu'elle ajoute que Paul X... n'avait pas la qualité d'accusé au sens de l'article précité ;
Attendu qu'en prononçant ainsi, la juridiction du second degré a justifié sa décision sans encourir les griefs allégués au moyen, lequel ne saurait, dès lors, être admis ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 93-84134
Date de la décision : 28/11/1995
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Criminelle

Analyses

1° CONVENTION EUROPEENNE DES DROITS DE L'HOMME - Article 6 - 1 - Tribunal indépendant et impartial - Juridictions correctionnelles - Composition - Cour d'appel - Magistrat ayant participé aux débats relatifs à deux procédures différentes opposant des parties distinctes sur des faits distincts.

1° JURIDICTIONS CORRECTIONNELLES - Composition - Incompatibilités - Cour d'appel - Magistrat ayant participé aux débats relatifs à deux procédures différentes opposant des parties distinctes sur des faits distincts (non).

1° La participation d'un même conseiller de la chambre des appels correctionnels aux débats relatifs à deux procédures différentes, opposant des parties distinctes sur des faits également distincts, fussent-ils connexes, n'est pas contraire à l'exigence d'impartialité énoncée par l'article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

2° PRESSE - Procédure - Appel - Jugement statuant sur le fond - Exception rejetée par un jugement incident passé en force de chose jugée - Pouvoirs des juges.

2° En l'absence d'appel d'un jugement ayant statué sur une exception, autre que celle d'incompétence, dans les conditions prévues par l'article 59, alinéa 2, de la loi du 29 juillet 1881, la juridiction du second degré, saisie de l'appel formé contre le jugement sur le fond, n'a pas à examiner l'exception écartée par la décision incidente passée en force de chose jugée(1).

3° PRESSE - Diffamation - Preuve de la vérité des faits diffamatoires - Moyens - Documents non signifiés à la partie civile - Portée.

3° La production, par un témoin dénoncé en application de l'article 55 de la loi du 29 juillet 1881, de documents non signifiés à la partie civile, n'affecte pas la régularité de la procédure, dès lors que les juges ne font pas état de ces pièces dans leur appréciation de la preuve de la vérité des faits diffamatoires.

4° PRESSE - Diffamation - Preuve de la vérité des faits diffamatoires - Moyens - Elément justifiant la crédibilité d'un témoin entendu au titre de l'offre de preuve de la vérité des faits diffamatoires (non).

4° PRESSE - Diffamation - Preuve de la vérité des faits diffamatoires - Moyens - Pièces portant sur des faits antérieurs à la diffamation - Nécessité.

4° Il résulte de l'article 55 de la loi du 29 juillet 1881 que, pour être admises au titre de l'offre de preuve de la vérité des faits diffamatoires, les pièces visées par l'article 55 de la loi du 29 juillet 1881 doivent, quelle que soit leur date, concerner des faits antérieurs à la perpétration de la diffamation. N'entrent pas dans cette catégorie les éléments pris en considération par les juges du fond uniquement pour justifier la crédibilité d'un témoin entendu au titre de l'offre de preuve(2).

5° CONVENTION EUROPEENNE DES DROITS DE L'HOMME - Article 6 - 2 - Présomption d'innocence - Presse - Diffamation - Preuve de la vérité des faits diffamatoires - Administration.

5° PRESSE - Diffamation - Preuve de la vérité des faits diffamatoires - Administration - Convention européenne des droits de l'homme - Article 6 - Présomption d'innocence.

5° Ne méconnaît pas le principe de présomption d'innocence édicté par l'article 6, paragraphe 2, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la cour d'appel qui décide que la preuve de la vérité des faits diffamatoires a été rapportée, dès lors que, à supposer ces faits constitutifs d'une infraction pénale et en l'absence de poursuites, la personne diffamée n'a pas la qualité d'accusé au sens de l'article précité.


Références :

1° :
2° :
4° :
5° :
Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 04 novembre 1950 art. 6 par. 1
Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 04 novembre 1950 art. 6 par. 2
Loi du 29 juillet 1881 art. 55
Loi du 29 juillet 1881 art. 59, al. 2

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 08 juillet 1993

CONFER : (2°). (1) A comparer: Chambre criminelle, 1967-05-30, Bulletin criminel 1967, n° 167, p. 396 (rejet)

arrêt cité ;

Chambre criminelle, 1976-02-12, Bulletin criminel 1976, n° 58, p. 136 (cassation), et les arrêts cités ;

Chambre criminelle, 1980-03-17, Bulletin criminel 1980, n° 92, p. 215 (rejet), et les arrêts cités. CONFER : (4°). (2) A rapprocher : Chambre criminelle, 1991-12-10, Bulletin criminel 1991, n° 468 (4), p. 1199 (cassation partielle), et les arrêts cités.


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 28 nov. 1995, pourvoi n°93-84134, Bull. crim. criminel 1995 N° 360 p. 1047
Publié au bulletin des arrêts de la chambre criminelle criminel 1995 N° 360 p. 1047

Composition du Tribunal
Président : Président : M. Le Gunehec
Avocat général : Avocat général : M. Libouban.
Rapporteur ?: Rapporteur : Mme Batut.
Avocat(s) : Avocats : la SCP Lesourd et Baudin, la SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez.

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:1995:93.84134
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