ARRÊT N° 2
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué, que le 10 février 1993, à la demande de M. Y..., avocat au barreau de Toulon, son collaborateur, M. X..., a déposé au greffe de la maison d'arrêt de Toulon une copie intégrale du dossier de l'instruction préparatoire ouverte à l'encontre d'un de ses clients, afin que ce dossier lui soit remis ; qu'estimant que ces deux avocats avaient violé les dispositions de l'article 114, alinéa 4, du Code de procédure pénale, le procureur général d'Aix-en-Provence a saisi, aux fins de poursuites disciplinaires, le conseil de l'Ordre des avocats au barreau de Toulon ;
Sur le premier moyen pris en ses deux branches :
Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt d'avoir prononcé à son encontre une sanction disciplinaire, alors que, d'une part, selon le pourvoi, il résulte des dispositions des articles 11 et 118, alinéa 4, du Code de procédure pénale (aujourd'hui remplacé par l'article 114, alinéa 5, du même Code), que l'avocat peut se faire délivrer durant le cours de l'instruction en copies les pièces et actes du dossier, pour son usage exclusif et sans qu'il puisse en établir de reproduction, et peut communiquer la teneur de ces copies à son client selon les besoins de la défense, ce qui ne fait pas obstacle à ce que l'avocat, exclusivement pour les nécessités de la défense et à sa prudence, puisse communiquer ces copies à son client, particulièrement si celui-ci est en détention, si bien que la cour d'appel a violé les textes en cause, ensemble l'article 160 du décret du 27 novembre 1991 et le principe de la contradiction ; et alors, d'autre part, qu'il résulte des dispositions de l'article 6.3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, que tout accusé a droit de disposer des facilités nécessaires à la préparation de sa défense, ce qui implique, pour rendre ce droit effectif, que soit reconnue la possibilité à l'avocat, pour les nécessités de la défense appréciées à sa prudence, de communiquer à son client les copies des pièces et actes du dossier à lui délivrées durant le cours de l'instruction, si bien que la cour d'appel a violé le texte en cause ;
Mais attendu qu'il résulte tant de l'article 114, alinéa 4, du Code de procédure pénale, dont les dispositions ne sont pas contraires à celles de l'article 6.3 b de la Convention précitée, que de l'article 160 du décret du 27 novembre 1991 organisant la profession d'avocat, que, si celui-ci, autorisé à se faire délivrer des copies du dossier d'instruction, peut procéder à leur examen avec son client pour les besoins de la défense de ce dernier, il ne saurait en revanche lui remettre ces copies qui ne lui sont délivrées que pour son " usage exclusif " et doivent demeurer couvertes par le secret de l'instruction ; que la cour d'appel, qui a constaté que les avocats de M. Z... avaient remis à ce dernier les copies du dossier d'instruction par l'intermédiaire d'un surveillant de la maison d'arrêt, en a justement déduit qu'ils avaient commis une faute professionnelle ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Sur le second moyen, pris en sa première branche :
Attendu qu'il est encore fait grief à l'arrêt d'avoir statué comme il l'a fait, alors, selon le pourvoi, qu'en ne recherchant pas, en réfutation des motifs du conseil de l'Ordre, si les avocats, qui, en raison du retard apporté dans la délivrance des copies des pièces du dossier pénal, n'avaient eu d'autres solutions, pour assurer la défense de leurs clients au mieux des intérêts de ceux-ci, de communiquer les copies à leur client en prévision de l'interrogatoire de l'après-midi, ne s'étaient pas trouvés dans l'" état de nécessité ", pour assurer le respect du principe supérieur du contradictoire, de commettre les manquements imputés, ce qui valait fait justificatif de ceux-ci, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 122-7 du nouveau Code pénal et de l'article 17 de la loi modifiée du 31 décembre 1971 ;
Mais attendu qu'il ne résulte ni de l'arrêt, ni des conclusions déposées au nom de M. X... devant la cour d'appel, que celui-ci ait invoqué l'état de nécessité à titre de fait justificatif ; que, nouveau, le moyen est mélangé de fait et de droit, partant, irrecevable ;
Mais sur le second moyen pris en sa seconde branche :
Vu les articles 160, 183 et 184 du décret du 27 novembre 1991 organisant la profession d'avocat ;
Attendu que, pour décider que les faits reprochés à M. X... constituaient un manquement à l'honneur et à la probité, l'arrêt retient que cet avocat, même s'il n'avait pas remis personnellement à son client les copies du dossier d'instruction par l'intermédiaire d'un surveillant de la maison d'arrêt, aurait violé les dispositions de l'ancien article 118, alinéa 4, du Code de procédure pénale et de l'article 160 du décret du 27 novembre 1991, ce manquement à l'honneur et à la probité ne pouvant être excusé par la circonstance que les copies demandées étaient parvenues le matin du jour où le client devait être entendu par le magistrat instructeur ;
Attendu qu'en statuant ainsi, par des motifs qui ne caractérisent pas un manquement à l'honneur et à la probité, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS :
DONNE acte à M. X... de son désistement partiel du pourvoi formé à l'encontre du conseil de l'Ordre des avocats au barreau de Toulon et de M. Y... ;
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ses dispositions concernant M. X..., l'arrêt rendu le 24 février 1995, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Lyon.
MOYENS ANNEXES
Moyens produits par Me Choucroy, avocat aux Conseils pour M. X....
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
:Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir prononcé à l'égard de Me X... un blâme ;
AUX MOTIFS QUE si l'avocat, autorisé à se faire communiquer les pièces du dossier d'instruction, pouvait en communiquer la teneur à son client pour les besoins de la défense, il ne pouvait lui remettre les copies qui étaient délivrées pour son usage exclusif, ces pièces devant rester secrètes tant que dure l'instruction ; que l'article 118, alinéa 4, du Code de procédure pénale devait être interprété de manière stricte ; que ce texte ne donnait pas à l'avocat le pouvoir d'apprécier s'il pouvait donner ces copies à son client ; qu'en effet en employant les termes " pour son usage exclusif ", le texte indiquait sans ambiguïté que l'avocat devait rester le seul détenteur des copies qui lui avaient été délivrées ; qu'en vertu de l'article 160 du décret du 27 novembre 1991, l'avocat devait respecter le secret de l'instruction, en s'abstenant de communiquer sauf à son client pour les besoins de la défense, des renseignements extraits du dossier ou de publier des éléments intéressant une information en cours ; qu'ainsi l'avocat ne devait transmettre à son client que des " renseignements " extraits du dossier ; que d'ailleurs l'avocat, en laissant à la disposition de son client des copies des pièces du dossier n'était plus en mesure de contrôler l'usage de ces documents susceptible de constituer un risque ;
ET QUE l'article 6.3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme qui précisait que l'accusé avait le droit de " disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ", n'imposait pas la remise à une personne poursuivie des copies des pièces du dossier d'instruction pendant la durée de celle-ci ; que l'article 118, alinéa 4, du Code de procédure pénale n'était pas incompatible avec ces dispositions conventionnelles car il permettait à l'avocat d'avoir accès aux pièces du dossier et d'obtenir des copies pour son usage exclusif ce qui lui permettait de préparer la défense de son client ; qu'en se dessaisissant des copies du dossier de l'instruction par l'intermédiaire d'un surveillant de la maison d'arrêt, Me Y... et Me X... avaient commis un manquement à l'honneur et à la probité qui ne pouvait être excusé par la circonstance que les copies demandées par Me Y... lui étaient parvenues le matin du jour où son client devait être entendu par le magistrat instructeur ; que cette transmission avait eu des conséquences, puisque M. Z... avait, après lecture des documents, exercé des pressions sur ses coïnculpés et sur leurs familles, et mis " la pagaille " dans la maison d'arrêt, en montrant les dépositions à tout le monde dans la cour de cet établissement ;
ALORS QUE, D'UNE PART, il résulte des dispositions des articles 11 et 118, alinéa 4, du Code de procédure pénale (aujourd'hui remplacé par l'article 114, alinéa 5, du même Code) que l'avocat peut se faire délivrer durant le cours de l'instruction en copies les pièces et actes du dossier, pour son usage exclusif et sans qu'il puisse en établir de reproduction, et peut communiquer la teneur de ces copies à son client selon les besoins de la défense, ce qui ne fait pas obstacle à ce que l'avocat, exclusivement pour les nécessités de la défense et à sa prudence puisse communiquer ces copies à son client, particulièrement si celui-ci est en détention, si bien que la cour d'appel a violé les textes en cause, ensemble l'article 160 du décret du 27 novembre 1991 et le principe de la contradiction ;
ET ALORS, D'AUTRE PART, QU'il résulte des dispositions de l'article 6.3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme que tout accusé a droit de disposer des facilités nécessaires à la préparation de sa défense, ce qui implique, pour rendre ce droit effectif, que soit reconnue la possibilité à l'avocat, pour les nécessités de la défense appréciées à sa prudence, de communiquer à son client les copies des pièces et actes du dossier à lui délivrées durant le cours de l'instruction, si bien que la cour d'appel a violé le texte en cause ;
SECOND MOYEN DE CASSATION :
:Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir prononcé à l'égard de Me X... un blâme ;
AUX MOTIFS QU'en se dessaisissant des copies du dossier par l'intermédiaire d'un surveillant de la maison d'arrêt, Me Y... et Me X... avaient commis un manquement à l'honneur et à la probité qui ne pouvait être excusé par la circonstance que les copies demandées par Me Y... lui étaient parvenues le matin du jour où son client devait être entendu par le magistrat instructeur ; que cette transmission avait eu des conséquences, puisque M. Z... avait, après lecture des documents, exercé des pressions sur ses coïnculpés et sur leurs familles, et mis " la pagaille " dans la maison d'arrêt, en montrant les dépositions à tout le monde dans la cour de cet établissement ;
ALORS QUE, D'UNE PART, en ne recherchant pas, en réfutation des motifs du conseil de l'Ordre, si les avocats, qui, en raison du retard apporté dans la délivrance des copies des pièces du dossier pénal, n'avaient eu d'autres solutions, pour assurer la défense de leurs clients au mieux des intérêts de ceux-ci, de communiquer les copies à leur client en prévision de l'interrogatoire de l'après-midi, ne s'étaient pas trouvée dans l'" état de nécessité ", pour assurer le respect du principe supérieur du contradictoire, de commettre les manquements imputés, ce qui valait fait justificatif de ceux-ci, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 122-7 du nouveau Code pénal et de l'article 17 de la loi modifiée du 31 décembre 1971 ;
ALORS, D'AUTRE PART, QU'en ne justifiant pas, en réfutation des motifs de la décision du conseil de l'Ordre, en quoi l'avocat, qui, selon les constatations mêmes de l'arrêt, avait reçu seulement le matin même de l'interrogatoire de son client détenu les copies du dossier pénal demandées, et qui, dans le souci des nécessités de la défense de son client, n'avait eu d'autres solutions que de faire transmettre, par l'intermédiaire de l'administration de la maison d'arrêt, les copies du dossier pénal à son client, aurait pu avoir conscience de commettre un acte contraire à l'honneur et à la probité, la cour d'appel n'a pas légalement caractérisé l'élément moral du manquement disciplinaire retenu, et, en conséquence, n'a pas justifié légalement sa décision au regard de l'article 17 de la loi modifiée du 31 décembre 1971 et de l'article 160 du décret du 27 novembre 1991.