Sur le moyen unique, pris en ses cinq branches :
Vu l'article 177 du Traité instituant la Communauté européenne ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Chambéry, 15 juin 1993), que la banque de droit néerlandais H. Albert de X... and Co NV (la banque Albert de X...) a consenti le 29 novembre 1984 un prêt hypothécaire à la société civile immobilière Parodi ; que, le 13 mars 1990, celle-ci a assigné la banque Albert de X... en nullité du prêt, au motif que la banque n'avait pas, lors de l'octroi du prêt, reçu l'agrément exigé par la loi bancaire du 24 janvier 1984 et réclamé le remboursement d'une somme de 1 251 390 francs correspondant au trop-perçu sur ce prêt ;
Attendu que la SCI Parodi fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande, alors, selon le pourvoi, d'une part, que la libération dans la Communauté des services de banques liés à des mouvements de capitaux devait être réalisée en harmonie avec la libération progressive de la circulation des capitaux et nécessitait une coordination des législations nationales, qui n'ont été décidées respectivement que par les directives 88-361 du 24 juin 1988 et 89-646 du 15 décembre 1989 ; qu'en considérant que la banque néerlandaise H. Albert de X... et Cie avait pu librement consentir à la SCI Parodi un prêt hypothécaire par acte du 29 novembre 1984, sans remplir à cette date les exigences posées par la loi française pour l'exercice d'une activité bancaire, la cour d'appel a violé les articles 61-2 du traité de Rome et les directives 88-361 du 24 juin 1988 et 89-646 du 15 décembre 1989 ; alors, d'autre part, que les principes de liberté d'établissement et de prestations des services impliquent qu'un établissement de crédit ressortissant de la CEE ne peut exercer en France l'activité bancaire que dans les mêmes conditions que les établissements nationaux ; qu'en considérant que la loi bancaire française qui impose à tout établissement bancaire l'obtention d'un agrément particulier serait inopposable ou inapplicable à une banque néerlandaise exerçant son activité bancaire en France, la cour d'appel a violé la loi du 24 janvier 1984 et les articles 52 et suivants, 60 et suivants du traité de Rome ; alors, en outre, qu'il peut être apporté à certaines prestations de services des limitations justifiées par l'intérêt général et s'appliquant sans distinction de nationalité, à toute personne ou entreprise exerçant une activité sur le territoire de l'Etat destinataire ; qu'est donc légitime une législation édictée par un Etat et destinée à réglementer le secteur bancaire ; qu'en considérant que la banque néerlandaise pouvait accorder un prêt en France le 29 novembre 1984 sans avoir reçu l'agrément nécessaire à l'activité bancaire en France, la cour d'appel a violé les articles 59 et suivants du Traité instituant la Communauté économique européenne du 17 avril 1957 et 15 et suivants de la loi n° 84-46 du 24 janvier 1984 ; alors, de surcroît, que la directive n° 73-183 de non-discrimination du 28 juin 1973 a seulement reconnu le droit au traitement national des banques désireuses de créer sur le sol des Etats membres des agences, succursales ou filiales au sens de l'article 52 du Traité de la CEE ou d'y exercer leur activité au sens de l'article 59 du même Traité ; qu'en déduisant de ce texte qu'était valable le prêt octroyé le 29 novembre 1984 sur le territoire français par une banque néerlandaise, n'ayant pas reçu l'agrément prévu pour les banques nationales, la cour d'appel a violé la directive susvisée de 1973 et la loi bancaire du 24 janvier 1984 ; et alors, enfin, que seule la directive n° 89-117 du 19 février 1989, transposée en droit interne par la loi n° 92-665 du 16 juillet 1992, a établi que l'agrément bancaire donné par le seul Etat d'origine vaut " licence communautaire unique ", qu'en décidant que dès le 29 novembre 1984, le prêt accordé en France par la banque néerlandaise H. Albert de X... dont il n'était pas allégué que son agrément aux Pays-Bas n'avait pas été obtenu, était valable sans que cette banque ait d'agrément du Comité des établissements de crédit français, la cour d'appel a violé la directive et la loi susvisées par fausse
application ;
Mais attendu que, par arrêts du 25 juillet 1991, la Cour de justice des Communautés européennes a jugé que l'article 59 du Traité exige non seulement l'élimination de toute discrimination à l'encontre du prestataire de services en raison de sa nationalité, mais également la suppression de toute restriction, même si elle s'applique indistinctement aux prestataires nationaux et à ceux des autres Etats membres, lorsqu'elle est de nature à prohiber ou gêner autrement les activités du prestataire établi dans un autre Etat membre où il fournit légalement des services analogues (Säger et Dennemeyer, Gouda, Commission contre Pays-Bas) ; que, dans ses arrêts du 4 décembre 1986 (Commission contre Allemagne, Commission contre Pays-Bas, Commission contre France, Commission contre Irlande), la Cour de justice a jugé que les articles 59 et 60 du Traité sont devenus d'application directe sans que leur applicabilité soit subordonnée à l'harmonisation ou à la coordination des législations des Etats membres et que, dans le secteur de la coassurance, l'exigence d'un agrément était contraire au droit communautaire et qu'une telle exigence pouvait être instituée, sous certaines conditions, dans le secteur des assurances directes ; que l'article 61, paragraphe 2, du Traité dispose que la libération des services des banques et des assurances qui sont liées à des mouvements de capitaux doit être réalisée en harmonie avec la libération progressive de la circulation des capitaux ; que la directive 89-646 du Conseil du 15 décembre 1989 a supprimé l'exigence d'un agrément pour la libre prestation des services en matière bancaire ; qu'il n'est pas contesté que la banque Albert de X... bénéficie d'un agrément aux Pays-Bas et qu'elle n'exerçait pas, lors de l'octroi du prêt, une activité permanente en France ; que la solution du présent litige soulève une contestation sérieuse sur le point de savoir si, pour la période précédant l'entrée en vigueur de la directive du 15 décembre 1989, les articles 59 et 61, alinéa 2, du Traité doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à une législation nationale exigeant un agrément pour prester des services en matière bancaire, notamment pour consentir un prêt hypothécaire, lorsque la banque, établie dans un autre Etat membre, y bénéficie d'un agrément ;
PAR CES MOTIFS :
RENVOIE à la Cour de justice des Communautés européennes aux fins de dire si pour la période précédant l'entrée en vigueur de la directive 89-646 CEE du Conseil du 15 décembre 1989, visant à la coordination des dispositions législatives réglementaires et administratives concernant l'accès à l'activité des établissements de crédit et son exercice et modifiant la directive 77-780 CEE, les articles 59 et 61, paragraphe 2, du Traité CEE doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à une législation nationale exigeant un agrément pour prester des services en matière bancaire, notamment pour consentir un prêt hypothécaire, lorsque la banque, établie dans un autre Etat membre, y bénéficie d'un agrément.
SURSOIT à statuer sur le pourvoi jusqu'à la décision de la Cour de justice.