ARRÊT N° 1
Attendu, selon le jugement attaqué, que la société Sofral Sombac (la société Sofral) et la société Etablissements Demay (la société Demay) ont assigné le directeur des services fiscaux de l'Indre en remboursement des sommes versées par elles au titre de la taxe de stockage des céréales pour les campagnes 1976-1977 à 1984-1985, en soutenant que cette taxe était irrégulière au regard du droit interne et incompatible avec diverses dispositions du droit communautaire ;
Sur le premier moyen, pris en ses trois branches :
Attendu que les sociétés Sofral et Demay reprochent au jugement d'avoir rejeté leur demande en remboursement d'une taxe parafiscale instituée par un décret annulé par le Conseil d'Etat et dont les prélèvements ont été validés par une loi du 6 janvier 1986, alors, selon le pourvoi, d'une part, que le juge national, juge communautaire de droit commun, doit assurer le plein effet des normes communautaires ; qu'en ne recherchant pas si une loi de validation ne faisait pas obstacle à l'exercice du droit à restitution reconnu par l'ordre juridique communautaire, et notamment par un arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes du 11 juin 1992 porté à sa connaissance, le Tribunal a méconnu ses pouvoirs et violé les articles 183 et 95 du Traité instituant la Communauté économique européenne ; alors, d'autre part, que la rétroactivité d'une loi de validation faisant obstacle à la restitution d'un impôt indûment perçu, droit de nature purement civile, est contraire à l'article 6.1 de la Convention européenne des droits de l'homme et à l'article 1er, alinéa 2, du protocole additionnel ; alors, enfin, qu'elles demandaient remboursement de la taxe de stockage perçue pour les campagnes céréalières de 1976-1977 à 1984-1985 ; que la loi du 6 janvier 1986 n'a validé que les prélèvements dus en application des décrets du 24 septembre 1980 et 23 août 1982 ; qu'ainsi, les prélèvements dus en application du décret du 10 août 1977 n'ont pas été validés et qu'il appartenait au juge judiciaire d'apprécier la légalité des textes réglementaires en vertu desquels la perception a eu lieu ; qu'en s'abritant derrière la loi de validation, le juge a méconnu son office en violation des articles L. 199 du Livre des procédures fiscales et 49, 50 et 51 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu, en premier lieu, que, par son arrêt du 11 juin 1992, la Cour de justice des Communautés européennes n'a pas déclaré que la taxe litigieuse constituait une imposition discriminatoire interdite mais a dit dans quelles conditions une taxe parafiscale serait incompatible avec les exigences de l'article 95 du traité de Rome ; que le moyen manque en fait ;
Attendu, en second lieu, que lorsque les demandes ont été formées, les prélèvements opérés au cours des campagnes ouvertes par les décrets du 24 septembre 1980 et du 23 août 1982 avaient été validés par la loi du 6 janvier 1986, jugée nécessaire pour assurer le paiement de ces impositions ; qu'en donnant une base légale aux prélèvements opérés, cette loi a mis fin à l'expectative d'un remboursement mais n'a pas privé les sociétés demanderesses du droit de faire décider par un tribunal indépendant si un droit leur était acquis au remboursement des sommes versées ; qu'en appliquant cette loi, le Tribunal n'a pas méconnu les textes visés au pourvoi ;
Attendu, en troisième lieu, que les sociétés demanderesses ont soutenu devant les juges du fond qu'en annulant le décret du 24 septembre 1980, le Conseil d'Etat a consacré l'illégalité de l'ensemble des décrets instituant et prorogeant la taxe de stockage pour les campagnes antérieures et que les dispositions de la loi de validation du 6 janvier 1986 ne pouvaient faire obstacle au droit à répétition en résultant et devaient rester sans effet ; que le moyen, selon lequel le juge du fond n'a pas rempli son office en s'abritant derrière la loi de validation, est inconciliable avec cette position ; qu'elles ne sont pas recevables à le présenter à l'appui de leur pourvoi ;
D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli en aucune de ses trois branches ;
Mais sur le second moyen, pris en sa seconde branche :
Vu les articles 38 et 39 du traité de Rome et le règlement CEE n° 2727-75 du Conseil du 29 octobre 1975, portant organisation commune des marchés dans le secteur des céréales ;
Attendu que la Cour de justice des Communautés européennes a dit pour droit, dans ses arrêts du 19 novembre 1991 (société Aliments Morvan/directeur des services fiscaux du Finistère) et du 11 juin 1992 (sociétés Sanders-Adour et Guyomarc'h Orthez/directeur des services fiscaux des Pyrénées-Atlantiques), que les mécanismes de la politique agricole commune, tels qu'ils résultent notamment du règlement CEE n° 2727-75 précité, " s'opposent à la perception d'une taxe, par un Etat membre, frappant un nombre restreint de produits agricoles pendant une longue période, dès lors que cette taxe est susceptible d'inciter les opérateurs économiques à modifier la structure de leur production ou de leur consommation " et qu'" il appartient à la juridiction nationale d'apprécier si la taxe sur laquelle porte un litige dont elle est saisie a eu de tels effets " ;
Attendu que pour décider que la taxe n'a pas eu de tels effets, le jugement déduit du seul fait que le taux d'incorporation de céréales dans les aliments composés est resté très inférieur pour l'année 1990, pendant laquelle la taxe n'a pas été perçue, à ce qu'il était dans les années 1984 à 1987, qu'elle n'aurait pas eu d'influence sur l'évolution de cette demande particulière ;
Attendu qu'en se déterminant ainsi, sans vérifier, concrètement, en procédant à une analyse de la situation économique invoquée par les sociétés demanderesses en remboursement, si la taxe était susceptible d'inciter les opérateurs économiques à modifier la structure de leur production ou de leur consommation, ce qui devait être apprécié à partir de son taux, de son incidence en pourcentage sur le prix des produits taxés, de la comparaison de l'évolution de la production et de la consommation des céréales taxées, des autres céréales et de divers produits de substitution, en France et dans des pays voisins, le Tribunal n'a pas donné de base à sa décision au regard du traité de Rome et du règlement susvisé ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la première branche du second moyen :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a rejeté les demandes des sociétés Sofral et Demay invoquant l'incompatibilité de la taxe litigieuse avec les règles du marché commun agricole, le jugement rendu le 15 décembre 1992, entre les parties, par le tribunal de grande instance de Châteauroux ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit jugement et, pour être fait droit, les renvoie devant le tribunal de grande instance de Toulouse .