CASSATION PARTIELLE sur le pourvoi formé par :
- X..., partie civile,
contre l'arrêt de la cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion, chambre correctionnelle, en date du 2 décembre 1993, qui, dans la procédure suivie contre Y... et Z..., a prononcé la nullité de la citation du chef de diffamation, et relaxé les prévenus du chef d'infraction à la loi du 2 juillet 1931.
LA COUR,
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le second moyen de cassation pris de la violation des articles 2 de la loi du 2 juillet 1931, 1382 du Code civil, 593 du Code de procédure pénale :
" en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a déclaré non établie l'infraction fondée sur la violation de l'article 2 de la loi du 2 juillet 1931 et relaxé Y... et Z... des fins de la poursuite ;
" au motif que la loi du 2 juillet 1931 interdit la publication de toute information relative à des constitutions de partie civile ; que la qualité de partie civile s'analyse en un élément constitutif de l'infraction et qu'en l'espèce le texte critiqué ne mentionnait à aucun moment le terme de partie civile ;
" alors que l'article 2 de la loi du 2 juillet 1931 interdit toute information ; dès lors qu'elle est relative à une constitution de partie civile ; que les termes en sont généraux et absolus et que le délit est constitué quelle que soit la forme de l'information publiée ; qu'en particulier, la loi ne prévoit pas que la publication incriminée indique expressément que la plainte est assortie d'une constitution de partie civile, dès lors qu'elle l'est effectivement ; qu'en l'espèce, la citation rappelait que la plainte, objet de l'information incriminée, était une plainte avec constitution de partie civile ; que l'arrêt attaqué ne le conteste pas ; que, dès lors, en déclarant que le délit n'était pas constitué, au seul motif que l'information critiquée ne mentionnait pas le terme de partie civile, l'arrêt attaqué, qui ajoute à la loi une condition qui n'y figure pas, a violé l'article 2 de la loi du 2 juillet 1931 " ;
Vu lesdits articles ;
Attendu que l'article 2 de la loi du 2 juillet 1931 interdit la publication, avant une décision judiciaire, de toute information relative à des constitutions de partie civile faites en application de l'article 85 du Code de procédure pénale ;
Attendu que pour relaxer les prévenus, sur leurs appels et celui du ministère public, du chef de publication relative à une constitution de partie civile, l'arrêt énonce que le terme de partie civile n'est pas mentionné par l'écrit incriminé, publié dans le journal A... daté du 21 octobre 1992 ;
Mais attendu qu'en statuant ainsi, alors que ledit article rendait compte d'une plainte déposée auprès du doyen des juges d'instruction, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée du texte susvisé ;
Que la cassation est encourue de ce chef ;
Sur le premier moyen de cassation pris de la violation des articles 53 et suivants de la loi du 29 juillet 1881, et 1382 du Code civil :
" en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a annulé pour vice de forme la partie de la procédure afférente au délit de diffamation et a relaxé Y... et Z... des fins de la poursuite ;
" au motif que la citation ne qualifiait pas le fait incriminé, dès lors qu'elle ne déterminait pas avec précision si la partie civile entendait agir comme personne dépendant d'un intérêt privé ou en tant que maire ou candidat aux élections municipales de B... ;
" alors qu'il résulte de l'arrêt attaqué que la citation visait exclusivement l'article 32 de la loi du 29 juillet 1881, relatif à la diffamation envers des personnes privées ; qu'aucune allusion à une quelconque fonction publique ou à un quelconque mandat électif n'y figurait ; que seul le texte de l'article incriminé, reproduit mot pour mot et entre guillemets, contenait les mots "avantages électoraux" ; que la reproduction, obligatoire pour que soit précisé le fait incriminé, de l'article diffamatoire, ne saurait, à elle seule, conférer à la citation un caractère équivoque et en entraîner la nullité, dès lors, qu'outre le fait que ces avantages pouvaient concerner des tiers ou une future élection, la citation elle-même était le fait d'une personne privée exclusivement, se présentant en tant que telle et dans le cadre de son activité professionnelle ; que la référence à la qualité de maire ou de candidat aux élections municipales de B... est le fait de l'arrêt seul, qui ajoute ainsi à la citation ; que dans ces conditions, en déclarant celle-ci nulle, l'arrêt attaqué a violé les dispositions de l'article 53 de la loi du 29 juillet 1881 " ;
Vu lesdits articles ;
Attendu qu'il n'appartient pas aux juges d'annuler une citation qui, conformément aux exigences de l'article 53 de la loi du 29 juillet 1882, précise et qualifie le fait incriminé, et indique le texte applicable à la poursuite ;
Attendu qu'il appert de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure, que par actes d'huissier des 13 et 26 janvier 1993, X..., agissant en qualité de directeur de société, a fait citer directement devant la juridiction correctionnelle Y..., directeur de la publication du journal A..., et Z..., journaliste, des chefs de " délit de diffamation prévu et réprimé par les articles 29, alinéa 1, et 32 de la loi du 29 juillet 1881 ", et complicité de ce délit ; que la citation a incriminé la publication, dans ledit journal daté du 22 octobre 1992, d'un article intitulé " Incompétence et avantages politiques ", mentionnant, à propos d'une plainte déposée par le Centre national des caisses d'épargne et de prévoyance contre X..., ancien directeur de la Caisse d'épargne de la Réunion :
" cette affaire est sûrement un mélange d'incompétence et de volonté de tirer des avantages politiques d'une certaine situation " ;
Attendu que pour infirmer le jugement ayant écarté l'exception de nullité de la citation soulevée avant toute défense au fond par les prévenus, et les ayant déclarés coupables, l'arrêt attaqué énonce que la partie civile n'a pas qualifié le fait incriminé dans le sens voulu par l'article 53 de la loi du 29 juillet 1881 ; que selon les juges, elle n'a pas déterminé avec la précision requise si elle entendait agir comme simple directeur de caisse d'épargne, défendant un intérêt purement privé, ou " en tant que maire ou candidat aux élections municipales de B..., c'est-à-dire dans le cadre d'une fonction aussi bien élective que publique " ;
Mais attendu qu'en prononçant ainsi la nullité de la citation, alors que celle-ci répondait en la forme aux exigences de l'article 53 de la loi susvisée, et qu'il appartenait aux juges de statuer sur la prévention dont la nature et l'objet étaient suffisamment précisés, la cour d'appel a méconnu les textes et le principe ci-dessus rappelés ;
Que la cassation est également encourue de ce chef ;
Et attendu que si aux termes des articles 58 de la loi du 29 juillet 1881 et 567 du Code de procédure pénale, la partie civile ne peut se pourvoir que quant à ses intérêts civils, cette restriction aux effets de son pourvoi n'a pas lieu lorsqu'il n'a été statué que sur la validité de la poursuite ;
Par ces motifs :
CASSE ET ANNULE, l'arrêt de la cour d'appel de Saint-Denis de La Réunion, en date du 2 décembre 1993, en ses seules dispositions civiles, du chef de l'infraction à l'article 2 de la loi du 2 juillet 1931, et en toutes ses dispositions du chef de diffamation publique envers un particulier, et pour qu'il soit à nouveau jugé conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée ;
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Saint-Denis de La Réunion, autrement composée.