ARRÊT N° 2
Vu leur connexité, joint les pourvois n° 93-12.299 formé par la société Crédit de l'Est, et n° 93-12.408, formé par Mme X..., ès qualités, qui attaquent le même arrêt ;
Sur les deux moyens du pourvoi de la société Crédit de l'Est, le second pris en ses trois branches, et sur le moyen unique du pourvoi de Mme X..., ès qualités, réunis :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Caen, 7 janvier 1993, n° 43) , que la Société européenne de location de véhicules et de matériels industriels (la Société européenne de location) ayant été mise en redressement judiciaire, un préposé de la société anonyme Crédit de l'Est a adressé, dans les délais, au représentant des créanciers plusieurs déclarations de créances ; que le juge-commissaire a admis au passif les créances ainsi déclarées par 5 ordonnances qui ont été frappées d'appel par la société débitrice et l'administrateur de son redressement judiciaire ;
Attendu que la société Crédit de l'Est et Mme X..., ès qualités, reprochent à l'arrêt d'avoir infirmé ces ordonnances et décidé que les créances étaient éteintes comme ayant été déclarées irrégulièrement et n'ayant pas fait l'objet d'une action en relevé de forclusion dans le délai d'un an à compter de la décision d'ouverture alors, selon les pourvois, d'une part, qu'en soumettant la déclaration de créances au régime de l'action en justice et en déduisant que le débiteur serait recevable à contester le défaut de pouvoir de la personne physique préposée de la personne morale déclarante et à exiger de celle-ci avant l'expiration de tout délai de forclusion qu'elle produise un pouvoir ayant date certaine, la cour d'appel a violé par fausse application ensemble les articles 53, alinéa 3, de la loi du 25 janvier 1985, ainsi que les articles 30, 31, 53 et 54 du nouveau Code de procédure civile qui définissent l'action et la demande en justice ; alors, d'autre part, que la représentation des personnes morales dépend exclusivement des règles qui les gouvernent et que la preuve d'un pouvoir peut en être faite par tous moyens en matière commerciale, de sorte qu'en imposant en l'espèce au représentant de la société Crédit de l'Est de justifier soit de sa qualité d'organe, soit d'une délégation de pouvoir spéciale et ayant date certaine, l'arrêt qui applique ainsi les règles de la représentation ad litem devant les juridictions commerciales telles qu'elles sont prévues par l'article 853, alinéa 2, du nouveau Code de procédure civile, méconnaît et viole l'alinéa 1er du même texte qui autorise les personnes morales à agir elles-mêmes et donc par la déclaration d'un préposé désigné à cette fin selon les règles propres de l'être moral ; alors, en outre, qu'aucun texte ne définit les modalités en vertu desquelles les organes des sociétés commerciales déléguent et subdéléguent à leurs subordonnés les pouvoirs nécessaires à la réalisation de l'objet social, de sorte qu'en autorisant le représentant des créanciers, qui est certes un tiers à l'égard de la société prise sous toutes ses formes, mais non un tiers dans les rapports des organes et des subordonnés, à exiger le respect de certaines conditions de forme et de délai pour des transmissions de pouvoir internes, la cour d'appel fait une fausse application de l'article 1328 du Code civil ; qu'il en est d'autant plus ainsi que lesdites conditions de forme ou de délais ne pourraient en tout état de cause être imposées par les statuts que pour la protection de la société ou de ses ayants cause ; alors, au surplus, que le défaut de pouvoir d'une personne figurant au procès comme représentant d'une personne morale constitue une irrégularité de fond affectant en permanence et en dehors de toute forclusion la régularité de l'acte ainsi que le prévoient les articles 117 et 118 du nouveau Code de procédure civile ; qu'en contrepartie, la nullité est susceptible d'être couverte jusqu'au moment où le juge statue, de sorte qu'en décidant que la forclusion de deux mois prévue par l'article 53, alinéa 3, de la loi du 25 janvier 1985 ferait obstacle à toute régularisation, la cour d'appel a violé par refus d'application les textes susvisés ; et alors, enfin, que ne constitue pas une irrégularité de fond le seul défaut de justification, à l'appui d'une déclaration de créance, du pouvoir de la personne physique figurant comme représentant de la personne morale créancière ; qu'en décidant le contraire la cour
d'appel a violé les articles 114 et 117 du nouveau Code de procédure civile, ensemble les articles 50 et 51 de la loi du 25 janvier 1985 ;
Mais attendu que la déclaration des créances au passif du redressement judiciaire du débiteur équivaut à une demande en justice que le créancier peut former lui-même ; que, dans le cas où le créancier est une personne morale, cette déclaration faite à titre personnel, si elle n'émane pas des organes habilités par la loi à la représenter, peut encore être effectuée par tout préposé titulaire d'une délégation de pouvoirs lui permettant d'accomplir un tel acte, sans que ce pouvoir soit soumis aux règles applicables au mandat de représentation en justice dont un tiers peut être investi ; qu'il peut enfin être justifié de l'existence de la délégation de pouvoirs, jusqu'à ce que le juge statue sur l'admission de la créance, par la production des documents établissant la délégation, ayant ou non acquis date certaine ; qu'ayant relevé que le préposé qui avait déclaré les créances de la société Crédit de l'Est n'était pas identifié, ce dont il résulte que ne pouvait être vérifiée l'existence à son profit de la délégation de pouvoirs dont fait état, par ailleurs, l'arrêt, la cour d'appel a, par ce seul motif non critiqué, légalement justifié sa décision ; que le moyen ne peut être accueilli en aucune de ses branches ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE les pourvois.