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18/05/1994 | FRANCE | N°92-86386

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 18 mai 1994, 92-86386


REJET des pourvois formés par :
- X... Richard,
- la société Sodevi France,
- Y... Claude,
- la société Télérama,
contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, 13e chambre, en date du 10 novembre 1992, qui, pour publicité illicite en faveur de l'alcool, a condamné Richard X... à une amende de 200 000 francs, Claude Y... à une amende de 70 000 francs, a déclaré les sociétés précitées solidairement tenues au paiement de ces amendes, a ordonné la cessation de la publicité incriminée, et a prononcé sur les intérêts civils.
LA COUR,
Vu la connexité,

joignant les pourvois ;
I. Sur le pourvoi de Claude Y... et de la société Télérama :
Atten...

REJET des pourvois formés par :
- X... Richard,
- la société Sodevi France,
- Y... Claude,
- la société Télérama,
contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, 13e chambre, en date du 10 novembre 1992, qui, pour publicité illicite en faveur de l'alcool, a condamné Richard X... à une amende de 200 000 francs, Claude Y... à une amende de 70 000 francs, a déclaré les sociétés précitées solidairement tenues au paiement de ces amendes, a ordonné la cessation de la publicité incriminée, et a prononcé sur les intérêts civils.
LA COUR,
Vu la connexité, joignant les pourvois ;
I. Sur le pourvoi de Claude Y... et de la société Télérama :
Attendu qu'aucun moyen n'est produit ;
II. Sur le pourvoi de Richard X... et de la société Sodevi France :
Vu le mémoire produit ;
Sur le second moyen de cassation pris de la violation des articles 30, 36 et 177 du Traité instituant la Communauté économique européenne, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a dit que les articles L. 17 et L. 18 du Code des débits de boissons ne sont pas contraires aux dispositions du Traité instituant la Communauté économique européenne ;
" aux motifs, d'une part, que ces textes, ne faisant aucune distinction sur l'origine des boissons, ne sont pas discriminatoires et ne peuvent donc être considérés comme instituant des restrictions quantitatives à l'importation de ces produits ou des mesures d'effet équivalent ;
" alors que constitue une mesure d'effet équivalent toute réglementation susceptible d'entraver, directement ou indirectement, le commerce intra-communautaire, notamment la limitation apportée aux possibilités de publicité de certains produits, peu important à cet égard que la réglementation en cause n'opère aucune distinction entre produits nationaux et produits importés ;
" et, aux motifs, d'autre part, que la protection de la santé publique est mentionnée parmi les motifs d'intérêt général énumérés à l'article 36 du Traité susceptibles de permettre à un Etat membre d'échapper à la prohibition de l'article 30 ; que la publicité en faveur des boissons alcooliques, constituant manifestement une incitation à la consommation, une réglementation tendant à restreindre cette publicité et, par ce moyen, à lutter contre l'alcoolisme, répond à l'évidence à des préoccupations de santé publique ; que la réglementation française, qui ne comporte aucune prohibition générale de la publicité en faveur de ces boissons, mais la réglemente quant à son contenu et aux supports susceptibles de la véhiculer, n'apparaît pas disproportionnée au but poursuivi de modération de la consommation de l'alcool et de protection de la jeunesse ;
" alors, d'une part, que les dispositions de l'article L. 18 ne sauraient être considérées comme proportionnées à l'objectif à atteindre, à savoir la modération de la consommation de l'alcool et la protection de la jeunesse, dès lors qu'il est de l'essence même de la publicité de rendre attrayant le produit vanté, et qu'en n'autorisant, selon l'interprétation qu'en donne la cour d'appel, qu'une information limitée aux seules indications et références nécessaires à la présentation objective du produit et à son identification par le consommateur, elles s'analysent en une prohibition générale de toute publicité ;
" alors, d'autre part, qu'il appartenait à la cour d'appel de rechercher si, comme il l'était soutenu, l'objectif poursuivi, n'était pas susceptible d'être atteint par des mesures moins restrictives des échanges intra-communautaires ;
" alors, enfin qu'en autorisant des références relatives au " terroir de production ", notion non significative pour la plupart des alcools importés mais propre à la production vinicole, l'article L. 18 comporte une discrimination arbitraire entre les produits vinicoles et les alcools, en situation de concurrence, et une restriction déguisée dans le commerce entre les Etats membres qui exclut sa justification par les dispositions de l'article 36 du Traité " ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que Richard X..., et la société Sodevi qu'il dirige, distributeur en France de la marque de whisky J et B, sont poursuivis pour avoir fait paraître sur plusieurs pages d'un hebdomadaire du mois d'août 1991 une publicité en faveur de cet alcool en méconnaissance de l'article L. 18 du Code des débits de boissons, dans sa rédaction résultant de la loi du 10 janvier 1991 ;
Attendu que, pour rejeter l'exception présentée par le prévenu, qui excipait de l'incompatibilité de ce texte avec les articles 7, 30 et 36 du Traité CEE, la cour d'appel relève, d'une part, que la notion de terroir visée à l'article L. 18 n'est pas spécifique aux seuls produits vinicoles et concerne également les autres boissons alcooliques, qu'il s'agisse d'alcools français ou étrangers ; que les restrictions, apportées par la loi française à la publicité en faveur des boissons alcooliques, frappant aussi bien les produits nationaux que les produits importés d'autres Etats membres de la Communauté, sans aucune distinction d'origine, ne sont donc pas des mesures discriminatoires ;
Attendu que les juges retiennent, d'autre part, que, ne comportant aucune prohibition générale de la publicité en faveur de ces boissons, mais la réglementant quant à son contenu et aux supports susceptibles de la diffuser, les dispositions légales françaises ne sont pas disproportionnées à l'objectif poursuivi de modération de la consommation d'alcool et de la protection de la jeunesse ;
Attendu que les juges constatent enfin que la publicité dont s'agit constituant manifestement une incitation à la consommation, la loi nationale, qui tend à limiter cette publicité et, par ce moyen, à lutter contre l'alcoolisme, répond à des préoccupations de protection de la santé publique, telles que visées à l'article 36 du Traité CEE ;
Attendu qu'en prononçant ainsi, la cour d'appel, qui a répondu comme elle le devait aux conclusions dont elle était saisie, a justifié sa décision sans encourir aucun des griefs allégués ;
D'où il suit que le moyen ne peut qu'être écarté ;
Sur le premier moyen de cassation pris de la violation des articles L. 18 et L. 21 du Code des débits de boissons, 591 et 593 du Code de procédure pénale, manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré les prévenus coupables du délit de publicité illicite en faveur de l'alcool ;
" aux motifs que l'article L. 18 limite la publicité des boissons alcoolisées " à l'indication du degré volumique d'alcool, de l'origine, de la dénomination, de la composition du produit, du nom et de l'adresse du fabricant, des agents et des dépositaires ainsi que du mois d'élaboration, des modalités de vente et du mode de consommation du produit " ; qu'elle " peut comporter en outre des références relatives aux terroirs de production et aux distinctions obtenues " ; que le message délivré par la publicité ne peut être licite que s'il ne comporte pas d'autres indications que celles que la loi autorise ; qu'en l'espèce, la publicité incriminée reproduisant, page après page, des vues nocturnes de grandes capitales avec une déchirure du ciel pour aboutir en page finale du magazine à la reproduction de l'étiquette de la bouteille J et B dont la déchirure reproduit le ciel nocturne des grandes villes alors que les déchirures des ciels de ces villes reproduisaient une découpe de l'étiquette de cette boisson, ne peut être considéré comme une simple référence au mode de consommation ou aux modalités de vente ; qu'en effet, le message délivré par cette publicité, loin de se limiter aux indications autorisées, insiste sur les valeurs fortes associées à la consommation du J et B, universalité, cosmopolitisme, évasion, rêve, et donne de cette boisson une image valorisante en la présentant comme participant à un mode de vie élitiste lié à la réussite sociale attribuée dans l'imaginaire à la vie dans les grandes capitales ; qu'en conséquence, l'infraction est caractérisée, la publicité étant nettement bien que subtilement incitative ;
" alors que la loi, si elle énumère limitativement les indications, relatives à la boisson en cause, que peut comporter le message publicitaire, n'impose pas l'emploi d'un fond ou d'un support neutre ; que le recours à un fond attrayant n'est pas en soi illicite dès lors que la publicité ne comporte aucune mention autre que celles prévues par l'article L. 18 ; qu'ainsi, le fait d'avoir associé à des vues nocturnes des grandes capitales, dépourvues de toute indication de quelque ordre que ce soit, la reproduction d'une étiquette d'une bouteille de J et B, laquelle ne comporte que les indications autorisées, ne suffisait pas à conférer à la publicité incriminée un caractère illicite " ;
Attendu que, pour déclarer Richard X..., président de la société Sodevi France coupable du délit de publicité illicite en faveur de l'alcool et retenir cette société comme solidairement responsable, la cour d'appel relève que la publicité incriminée représente page après page, des vues nocturnes de grandes capitales avec une déchirure du ciel reproduisant une découpe de l'étiquette d'une bouteille de whisky J et B pour parvenir, en page finale du magazine, à la reproduction de cette étiquette agrémentée d'une déchirure représentant un ciel nocturne ; que les juges énoncent que la publicité ne peut être considérée comme une simple référence au mode de consommation et aux modalités de vente ; qu'ils ajoutent que le message publicitaire délivré, loin de se limiter aux indications autorisées par la loi, " insiste sur des valeurs, telles l'universalité, le cosmopolitisme, l'évasion et le rêve, associées à la consommation de ce whisky et donne de cet alcool une image valorisante en le présentant comme participant à un mode de vie lié à la réussite sociale attribuée dans l'imaginaire à la vie dans les grandes capitales " ;
Attendu qu'en se prononçant ainsi, par une appréciation souveraine des faits et circonstances de la cause, la cour d'appel n'a pas encouru le grief allégué ;
Qu'en effet, lorsqu'elle est autorisée, la publicité pour les boissons alcooliques est limitée à l'indication du degré volumique d'alcool, de l'origine, de la dénomination de la composition du produit, du nom et de l'adresse du fabricant, des agents et des dépositaires ainsi que du mode d'élaboration, des modalités de vente et du mode de consommation du produit ;
Que le moyen doit, dès lors, être écarté ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE les pourvois.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 92-86386
Date de la décision : 18/05/1994
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Criminelle

Analyses

1° COMMUNAUTE ECONOMIQUE EUROPEENNE - Libre circulation des marchandises - Restrictions quantitatives au commerce entre les Etats membres - Mesure d'effet équivalent - Exception - Interdictions ou restrictions justifiées par des raisons de protection de la santé et de la vie des personnes - Publicité en faveur des boissons alcooliques.

1° Les restrictions apportées à la publicité des boissons alcooliques par l'article L. 18 du Code des débits de boissons, dans sa rédaction résultant de la loi du 10 janvier 1991, qui frappent aussi bien les produits nationaux que ceux importés des autres Etats membres de la Communauté, sont justifiées par des raisons de protection de la santé publique et relèvent dès lors de l'exception prévue par l'article 36 du Traité instituant la Communauté économique européenne(1).

2° SANTE PUBLIQUE - Alcoolisme - Lutte contre l'alcoolisme - Propagande ou publicité - Publicité autorisée en faveur des boissons alcooliques - Conditions - Indications autorisées.

2° Lorsqu'elle est autorisée, la publicité pour les boissons alcooliques est limitée à l'indication du degré volumique d'alcool, de l'origine, de la dénomination, de la composition du produit, du nom et de l'adresse du fabricant, des agents et des dépositaires ainsi que du mode d'élaboration, des modalités de vente et du mode de consommation du produit.


Références :

1° :
2° :
Code des débits de boissons L18 (rédaction loi 91-32 du 10 janvier 1991)
Traité de Rome du 25 mars 1957 art. 36

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 10 novembre 1992

CONFER : (1°). (1) A comparer: Chambre criminelle, 1983-06-16, Bulletin criminel 1983, n° 187, p. 458 (rejet et cassation partielle : arrêt n° 1 ;

cassation partielle : arrêt n° 2 ;

cassation : arrêt n° 3).


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 18 mai. 1994, pourvoi n°92-86386, Bull. crim. criminel 1994 N° 190 p. 434
Publié au bulletin des arrêts de la chambre criminelle criminel 1994 N° 190 p. 434

Composition du Tribunal
Président : Président : M. Le Gunehec
Avocat général : Avocat général : M. Monestié.
Rapporteur ?: Rapporteur : Mme Ferrari.
Avocat(s) : Avocat : M. Jacoupy.

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:1994:92.86386
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