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10/05/1994 | FRANCE | N°93-82553

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 10 mai 1994, 93-82553


REJET des pourvois formés par :
- X...,
- Y...,
contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, 11e chambre, en date du 13 mai 1993, qui, sur renvoi après cassation, dans la procédure suivie contre eux des chefs de diffamation publique envers un fonctionnaire public et complicité, les a condamnés aux peines respectives de 20 000 francs d'amende et 3 000 francs d'amende avec sursis, et a prononcé sur les intérêts civils.
LA COUR,
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu le mémoire produit en demande et le mémoire personnel de la partie civile en défense

;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 23, 29, ...

REJET des pourvois formés par :
- X...,
- Y...,
contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, 11e chambre, en date du 13 mai 1993, qui, sur renvoi après cassation, dans la procédure suivie contre eux des chefs de diffamation publique envers un fonctionnaire public et complicité, les a condamnés aux peines respectives de 20 000 francs d'amende et 3 000 francs d'amende avec sursis, et a prononcé sur les intérêts civils.
LA COUR,
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu le mémoire produit en demande et le mémoire personnel de la partie civile en défense ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 23, 29, alinéa 1er, 30, 31, 41, alinéa 3, 43, 48.3° de la loi du 29 juillet 1881, 9, 10, 14 du préambule de la Constitution (article 11), de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (article 10), des articles 485, 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale :
" en ce que l'arrêt confirmatif attaqué a déclaré X... (directeur de publication du journal Z...) coupable du délit de diffamation publique envers un fonctionnaire public, et Y..., journaliste audit journal, coupable de complicité de diffamation envers un fonctionnaire public (Mme A..., prise en qualité de magistrat présidente de la cour d'assises de la Moselle) à raison de la publication d'un article portant compte rendu d'audience et les a condamnés respectivement à des peines de 20 000 francs et 3 000 francs d'amende (avec sursis) outre 1 franc à titre de dommages-intérêts, une publication et 15 000 francs au titre de l'article 475-1 du Code de la procédure pénale ;
" aux motifs que, si la fidélité du compte rendu judiciaire, condition du bénéfice de l'immunité du journaliste doit s'apprécier au regard de l'article incriminé dans son ensemble, et si le journaliste peut émettre des réflexions personnelles sur le climat général de l'audience et l'attitude de chacun des participants, il a le devoir de veiller à ne pas trahir la réalité des débats par une sélection tendancieuse ou par trop subjective ; que, si l'on ne peut tenir pour diffamatoire l'allusion à "l'omniprésence vocale" de la présidente, en revanche doit être tenue pour une diffamation l'affirmation selon laquelle Mme A... se serait "muée en procureur général" et "aurait quitté son habit de président pour endosser celui d'accusateur" ; qu'une telle assertion, fut-elle due à l'inexpérience de la journaliste, traduit un défaut d'objectivité et d'impartialité si on compare cet écrit au compte rendu d'un autre journaliste et au procès-verbal des débats, aucun moyen de cassation n'ayant été d'ailleurs formé par le condamné pour violation de l'article 328 du Code de procédure pénale ; qu'aucun des deux témoignages recueillis le second émanant d'un autre journaliste reflétant mieux la réalité des débats ne justifie l'assertion incriminée ; qu'en bref, si Y... n'a pas agi dans l'intention délibérée de nuire à Mme A..., elle a manqué de prudence et d'une attention suffisante pour transmettre au public une information sincère, loyale et exacte sur la réalité du débat judiciaire auquel elle avait assisté ; qu'en forçant le trait sans aucune délicatesse et en procédant par voie d'affirmation péremptoire, elle a donné une vision déformée du déroulement de l'audience et de la manière dont la présidente s'acquittait de sa tâche dans des conditions singulièrement difficiles, que l'immunité de l'article 41 doit donc être exclue et la culpabilité de la journaliste retenue ainsi que celle du directeur de la publication tenu de contrôler celle-ci ;
" alors que l'immunité de l'article 41 ne peut être exclue parce que d'autres journalistes n'ont pas formulé leurs impressions dans les mêmes termes ou que le condamné n'a pas formulé de moyen de cassation sur le fondement de l'article 328 du Code de procédure pénale ; que l'arrêt, qui fait indûment abstraction de la déclaration de Me B... non contestée sur ce point selon laquelle Mme A... "a déclaré qu'elle était bien obligée de faire le travail du ministère public à sa place puisqu'il ne disait rien" n'établit nullement le caractère diffamatoire de l'unique propos qu'il sanctionne ; qu'il dénature de surcroît gravement le seul propos sanctionné, la journaliste n'ayant pas écrit que Mme A... "aurait quitté son habit de président pour celui d'accusateur mais ce qui est tout différent ne devrait pas donner l'impression de quitter son habit pour un autre"; qu'enfin et en toute hypothèse ne constitue pas une diffamation exclue du bénéfice de l'immunité de l'article 41, alinéa 3, de la loi du 29 juillet 1881 le fait de rapporter comme une impression, fut-elle critique, dans le cadre d'un récit d'audience reconnue difficile, qu'on a vu la présidente se muer au fil de la journée en procureur général ; que, même si elle ne comprend pas ou n'accepte pas le système de défense de l'accusé, elle ne devrait pas donner l'impression de quitter son habit pour un autre, l'arrêt sanctionnant en dernier lieu un délit d'opinion malgré la liberté de la presse affirmée par le préambule de la Constitution et réaffirmée par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales " ;
Attendu qu'il appert de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que le journal quotidien régional Z... a publié, dans son numéro 33 888 du jeudi 13 décembre 1990, en page Région Lorraine, un article de Y..., intitulé " C..., encore un chantage au suicide ", et en sous-titre, " Hier, c'était une lame de taille-crayon dans la bouche pour se mutiler. La cour d'assises de la Moselle ne supporte plus " ; que l'article rendait compte de la troisième journée du procès de C..., accusé de vols avec port d'arme devant la cour d'assises présidée par A... ; qu'après avoir reproduit une déclaration de l'accusé, affirmant " ceci n'a rien d'un interrogatoire, c'est un réquisitoire ", l'article ajoutait : " La présidente A... était la cible de ses propos. On l'a vue se muer au fil de la journée en procureur général " ; que l'article concluait :
" Mais ce qui est certainement regrettable, c'est l'omniprésence vocale de la présidente qui ne peut manquer de savoir quel poids elle a sur les jurés. Même si elle ne comprend pas ou n'accepte pas le système de défense de l'accusé, elle ne devrait pas donner l'impression de quitter son habit pour un autre " ;
Attendu que, pour les deux passages précités mettant en cause un magistrat, en raison de sa qualité et d'actes de sa fonction, le Garde des Sceaux a porté plainte, le 20 février 1991, contre le directeur de la publication du journal et contre l'auteur de l'article, des chefs de diffamation publique envers un fonctionnaire public, et complicité, sur le fondement des articles 30, 31, 43, 47 et 48.3° de la loi du 29 juillet 1881 ;
Que, par citations des 6 et 8 mars 1991, X..., directeur de la publication, et Y..., journaliste, ont été attraits directement devant la juridiction correctionnelle, devant laquelle A... s'est constituée partie civile ;
Que, par jugement du 19 avril 1991, le tribunal correctionnel, après avoir refusé l'audition de témoins, a déclaré les prévenus coupables ;
Attendu que, pour retenir les prévenus dans les liens de la prévention, la cour d'appel de renvoi énonce notamment que si l'allégation relative à " l'omniprésence vocale de la présidente " ne comporte l'imputation d'aucun fait précis, attentatoire à l'honneur de A..., il n'en est pas de même de l'imputation d'un changement d'habit de celle-ci et de sa mutation en procureur général, que rien ne permettait d'affirmer ;
Que les juges, après avoir souverainement apprécié la teneur des dépositions des témoins cités par la défense, et examiné le procès-verbal des débats de la procédure criminelle soumis par le ministère public à la libre discussion des parties, ajoutent que Y... n'est pas fondée à prétendre à la fidélité d'un compte rendu rédigé de bonne foi, de nature à lui conférer le bénéfice de l'immunité prévue par l'article 41 de la loi sur la liberté de la presse ; que l'arrêt précise que la journaliste a manqué de mesure, de prudence, d'objectivité, et d'une attention suffisante pour transmettre au public une information sincère, loyale et exacte sur la réalité du débat judiciaire auquel elle avait assisté ; que, selon l'arrêt, " en forçant le trait sans aucune délicatesse, et en procédant par voie d'affirmation péremptoire ", Y... a donné " une vision déformée du déroulement de l'audience et de la manière dont la présidente s'acquittait de sa tâche, dans des conditions singulièrement difficiles " ;
Attendu qu'en l'état de ces constatations et énonciations, desquelles il se déduit que l'article incriminé a outrepassé les limites d'un véritable compte rendu judiciaire, et que les propos incriminés contenaient une imputation de partialité qui portait atteinte à l'honneur et à la considération de A..., à raison de sa qualité et de ses fonctions de présidente de cour d'assises, la cour d'appel, abstraction faite de motifs surabondants, voire erronés, a justifié sa décision sans encourir les griefs allégués ;
Que le compte rendu, ouvrant droit à l'immunité prévue par l'article 41, alinéa 3, de la loi du 29 juillet 1881, consiste à mettre en regard les prétentions contraires des parties et à permettre, par une narration générale ou partielle, d'apprécier l'ensemble des débats judiciaires, en s'abstenant de toute dénaturation des faits et de toute imputation malveillante, spécialement à l'égard des membres de la juridiction ; que tel n'a pas été le cas en l'espèce ;
Que si l'exercice de la liberté de communication est garanti par l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme de 1789, et par l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, il peut être l'objet de restrictions ou sanctions dans les cas déterminés par la loi du 29 juillet 1881 ; que s'il est légitime d'informer le public sur le fonctionnement de la justice, le but ainsi poursuivi ne dispense pas le journaliste des devoirs de prudence, de circonspection, d'objectivité et de sincérité dans l'expression de la pensée ;
D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE les pourvois.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 93-82553
Date de la décision : 10/05/1994
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Criminelle

Analyses

1° PRESSE - Immunités - Compte rendu des débats judiciaires - Définition.

1° Le compte rendu, ouvrant droit à l'immunité prévue par l'article 41, alinéa 3, de la loi du 29 juillet 1881 consiste à mettre en regard les prétentions contraires des parties et à permettre, par une narration générale ou partielle, d'apprécier l'ensemble des débats judiciaires, en s'abstenant de toute dénaturation des faits et de toute imputation malveillante, spécialement à l'égard des membres de la juridiction(1).

2° PRESSE - Immunités - Compte rendu des débats judiciaires - Appréciation fidèle et de bonne foi - Contrôle de la Cour de Cassation.

2° PRESSE - Immunités - Compte rendu des débats judiciaires - Teneur des dépositions des témoins cités par la défense - Appréciation souveraine 2° PRESSE - Immunités - Compte rendu des débats judiciaires - Eléments de preuve extrinsèques à l'écrit incriminé - Appréciation souveraine.

2° S'il appartient à la Cour de Cassation de contrôler les appréciations des juges du fond relatives à la fidélité et la bonne foi d'un compte rendu, ces appréciations sont souveraines quant à la teneur des dépositions de témoins cités par la défense, ou celle des éléments de preuve extrinsèques à l'écrit incriminé(2).

3° PRESSE - Diffamation - Personnes et corps protégés - Fonctionnaire public - Magistrat - Président de cour d'assises - Imputation de partialité.

3° L'imputation de partialité, faite à un magistrat, à raison de sa qualité et de ses fonctions de président de cour d'assises, caractérise le délit de diffamation envers un fonctionnaire public(3).

4° PRESSE - Diffamation - Eléments constitutifs - Elément intentionnel - Mauvaise foi - Preuve contraire - Conditions.

4° CONVENTION EUROPEENNE DES DROITS DE L'HOMME - Article 10 - Liberté d'expression - Restrictions de l'article 10 - paragraphe 2 - Presse - Droit d'informer - Restrictions et sanctions.

4° Si l'exercice de la liberté de communication est garanti par l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme de 1789, et par l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, il peut être l'objet de restrictions ou sanctions dans les cas déterminés par la loi du 29 juillet 1881. S'il est légitime d'informer le public sur le fonctionnement de la justice, le but ainsi poursuivi ne dispense pas le journaliste des devoirs de prudence, de circonspection, d'objectivité et de sincérité, dans l'expression de la pensée(4).


Références :

2° :
3° :
4° :
Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 04 novembre 1950 art. 10
Loi du 29 juillet 1881 art. 30, 31, 43, 47, 48 al3
Loi du 29 juillet 1881 art. 41 al3

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 13 mai 1993

CONFER : (1°). (1) Cf. Chambre criminelle, 1906-02-09, Bulletin criminel 1906, n° 66, p. 112 (rejet) ;

Chambre criminelle, 1911-05-27, Bulletin criminel 1911, n° 277, p. 526 (rejet) ;

Chambre criminelle, 1962-12-18, Bulletin criminel 1962, n° 378, p. 776 (rejet) ;

Chambre criminelle, 1978-01-16, Bulletin criminel 1978, n° 18 (2), p. 39 (rejet) ;

Chambre criminelle, 1986-11-04, Bulletin criminel 1986, n° 322, p. 820 (rejet). CONFER : (2°). (2) Cf. Chambre criminelle, 1962-12-18, Bulletin criminel 1962, n° 378, p. 776 (rejet) ;

Chambre criminelle, 1992-10-06, Bulletin criminel 1992, n° 304 (1), p. 825 (cassation). CONFER : (3°). (3) Cf. Chambre criminelle, 1993-01-26, Bulletin criminel 1993, n° 42 (1), p. 98 (rejet), et les arrêts cités ;

Chambre criminelle, 1993-07-06, Bulletin criminel 1993, n° 242 (3), p. 603 (rejet). CONFER : (4°). (4) Cf. Chambre criminelle, 1993-03-16, Bulletin criminel 1993, n° 115, p. 294 (rejet) ;

Chambre criminelle, 1993-07-06, Bulletin criminel 1993, n° 242 (4), p. 603 (rejet).


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 10 mai. 1994, pourvoi n°93-82553, Bull. crim. criminel 1994 N° 181 p. 412
Publié au bulletin des arrêts de la chambre criminelle criminel 1994 N° 181 p. 412

Composition du Tribunal
Président : Président : M. Dumont, conseiller le plus ancien faisant fonction.
Avocat général : Avocat général : M. Perfetti.
Rapporteur ?: Rapporteur : M. Guerder.
Avocat(s) : Avocat : la SCP Rouvière et Boutet.

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:1994:93.82553
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