Met hors de cause, sur sa demande, la Caisse des dépôts et consignations, qui n'est pas concernée par les moyens du pourvoi ;
Attendu qu'en décembre 1972 l'ordre des avocats au barreau de Versailles a souscrit auprès de la Compagnie nouvelle d'assurance, devenue société Cigna France, une police d'assurance garantissant la responsabilité civile professionnelle des avocats membres de ce barreau, conformément aux dispositions de l'article 27 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 et de l'article 1° du décret n° 72-783 du 25 août 1972 ; qu'une clause de cette police garantissait en particulier la responsabilité civile des avocats du fait de toute personne dont ils sont civilement responsables et résultant de " vols, malversations, détournements, escroqueries ou abus de confiance commis au préjudice de la clientèle des avocats " ; que, de son côté, M. Y..., avocat membre de ce barreau, est, en application des articles 6 et suivants du décret précité du 25 août 1972, convenu avec la Caisse des dépôts et consignations d'une garantie financière à concurrence de 500 000 francs et qu'il a ouvert, conformément à l'article 42 du même décret, un compte de dépôt spécialement affecté à la réception des fonds qu'il recevait à l'occasion de l'exercice de son activité professionnelle ;
Attendu que des préposés de M. Y... s'étant livrés entre 1974 et 1977 à des détournements sur ce compte de dépôt, la Caisse des dépôts et consignations a remboursé les clients de cet avocat à concurrence du montant de son engagement de caution, soit 500 000 francs, et d'une somme complémentaire de 300 000 francs qu'elle avait prêtée à M. Y... afin de compléter les remboursements ; qu'en février 1981 la Caisse a assigné M. Y... en remboursement de ces deux sommes, outre les intérêts, et que ce dernier a demandé la garantie de la société Cigna France en application de la clause précitée de la police d'assurance responsabilité civile professionnelle, qui avait été résiliée le 1er janvier 1981 ;
Sur le premier moyen pris en sa première branche :
Vu les articles 1131 du Code civil, et L. 124-1 du Code des assurances ;
Attendu que pour écarter la garantie de l'assureur l'arrêt attaqué a retenu qu'une clause de la police d'assurance la limitait aux réclamations faites pendant la durée du contrat, ce qui n'était pas le cas en l'espèce dés lors que l'appel en garantie de M. Y... contre la société Cigna France était postérieur à la résiliation de la police ;
Attendu, cependant, que le versement de primes pour la période qui se situe entre la prise d'effet du contrat d'assurance et son expiration a pour contrepartie nécessaire la garantie des dommages qui trouvent leur origine dans un fait qui s'est produit pendant cette période ; que la stipulation de la police selon laquelle le dommage n'est garanti que si la réclamation a été formulée au cours de la période de validité du contrat aboutit à priver l'assuré du bénéfice de l'assurance en raison d'un fait qui ne lui est pas imputable et à créer un avantage illicite comme dépourvu de cause au seul assureur qui aurait alors perçu des primes sans contrepartie ; que cette stipulation, en l'absence de texte l'autorisant, doit en conséquence être réputée non écrite ;
Sur le même moyen pris en sa seconde branche :
Vu les articles L. 112-4 et L. 113-2 du Code des assurances ;
Attendu que la cour d'appel a également fondé sa décision d'écarter la garantie de l'assureur sur le fait qu'en vertu d'une autre clause de la police l'assuré était tenu de communiquer à l'assureur au plus tard dans les 30 jours à partir du moment où il en avait eu connaissance toutes les réclamations constituant une demande pécuniaire en dommages ou remboursements ;
Attendu, cependant, qu'il résulte, d'une part, de l'article L. 113-2 du Code des assurances que la déclaration tardive du sinistre n'entraîne déchéance des droits de l'assuré qu'à la condition que cette déchéance ait été prévue au contrat, et, d'autre part, de l'article L. 112-4 du même Code que l'attention de l'assuré doit être spécialement attirée sur ce type de clause ; d'où il suit que la cour d'appel, qui n'a relevé l'existence d'aucune clause de déchéance résultant de la tardiveté de la déclaration de sinistre, n'a pas donné de base légale à sa décision ;
Et sur le second moyen pris en ses deux branches :
Vu l'article 1134 du Code civil, ensemble, l'article L. 124-1 du Code des assurances, l'article 27 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 et les articles 1, 6, 8 et 42 du décret n° 72-783 du 25 août 1972 relatif à l'assurance, à la garantie financière, aux règlements pécuniaires et à la comptabilité des avocats ;
Attendu que la cour d'appel a encore retenu que la société Cigna France ne devait pas sa garantie en raison du fait que les clients de M. Y... n'avaient pas subi de dommages puisqu'ils avaient été remboursés par la Caisse des dépôts et consignations, que les préposés de cet avocat avaient été pénalement condamnés pour détournement de fonds à son préjudice et que l'assurance litigieuse avait uniquement pour objet de garantir les dommages causés à des tiers par la faute de l'assuré ou de ses préposés et non le préjudice de l'avocat consécutif à l'indélicatesse de ses préposés ;
Attendu, cependant, que les détournements réalisés par les préposés de M. Y... ont porté sur le compte de dépôt exclusivement affecté à la réception des fonds perçus à l'occasion de son activité professionnelle ; que c'est en raison de ces détournements que la Caisse des dépôts et consignations a remboursé aux clients de cet avocat les fonds leur appartenant, soit au titre de son cautionnement, soit au moyen de la somme de 300 000 francs qu'elle avait prêtée à cet effet à M. X... ; que dés lors, en l'état d'une police d'assurance qui prévoyait la garantie des détournements de fonds commis par les préposés au préjudice de la clientèle de l'assuré, ni la circonstance que les clients avaient été remboursés par la Caisse des dépôts et consignations ni celle que les préposés avaient été condamnés pour abus de confiance au préjudice de M. Y..., ne pouvait justifier la mise hors de cause de l'assureur ; d'où il suit que la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a statué sur la garantie de la société Cigna France, l'arrêt rendu le 16 janvier 1992, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris.