REJET des pourvois formés par :
- X... Bernard,
- Y... Guy, partie civile,
- la Mutuelle assurances des commerçants et industriels de France (MACIF), partie intervenante,
contre l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, 7e chambre, du 5 mars 1993, qui, dans la procédure suivie contre Bernard X... pour blessures involontaires, a prononcé sur les intérêts civils.
LA COUR,
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation proposé pour Bernard X... et la MACIF et pris de la violation des articles 1382 du Code civil, 2, 485 et 593 du Code de procédure pénale :
" en ce que l'arrêt attaqué a fixé le préjudice corporel de la victime à la somme de 1 287 061, 18 francs ;
" aux motifs que l'expert Z... a estimé que le syndrome du canal carpien droit et le ressaut du troisième doigt notamment sont des conséquences de l'arthrose mais que les séquelles de l'accident du 13 mars 1987 ont sensiblement " pesé " sur l'évolution de ladite arthrose ; que la situation professionnelle de M. Y..., placé sous le régime de l'inaptitude totale avec une retraite anticipée à compter du 1er janvier 1993 en raison de son état arthrosique, est nécessairement rattachable directement à l'accident du 13 mars 1987 ; que la victime d'un accident a droit à réparation de la totalité de son préjudice dès lors que l'accident n'a pas eu seulement pour effet d'aggraver une incapacité antérieure mais a transformé radicalement la nature de l'invalidité préexistante ; qu'il s'ensuit que M. Y... a droit à la réparation intégrale de son préjudice économique du fait de son accident du 13 mars 1987 en raison de la perte de la motricité de sa main et des tremblements de cette articulation, l'état arthrosique antérieur à l'accident n'ayant jamais empêché le blessé de travailler normalement ;
" 1° alors que l'expert Z..., en conclusion de son rapport, a précisé que l'intervention chirurgicale sur le troisième doigt à ressaut " n'est en rien une conséquence de l'accident du 13 mars 1987 " (rapport p. 11) ; qu'en déclarant que ce ressaut était une conséquence de l'arthrose et que les séquelles de l'accident du 13 mars 1987 ont sensiblement pesé sur l'évolution de ladite arthrose, la cour d'appel a entaché sa décision d'une contradiction de motifs, violant ainsi les textes visés au moyen ;
" 2° alors que l'auteur d'une faute ne peut être condamné qu'à réparer les dommages directement provoqués par son comportement ; qu'il résulte des mentions mêmes de l'arrêt attaqué que la victime souffrait dès avant l'accident d'une arthrose ; qu'en prononçant dès lors une condamnation à la réparation intégrale du préjudice économique de M. Y... sans tenir compte de cette affection préexistante, la cour d'appel a violé les textes visés au moyen ;
" 3° alors que, et en toute hypothèse, les conséquences d'une affection inéluctable et liée au vieillissement de la personne ne peuvent donner lieu à réparation ; que l'expert a souligné la nécessaire poursuite de l'évolution de l'état arthrosique de M. Y... ; qu'en condamnant cependant X... à réparer l'intégralité du préjudice économique de M. Y... sans tenir compte des conséquences d'un processus physiologique inéluctable, qui se fût réalisé sans l'accident du 13 mars 1987, la cour d'appel a violé les textes visés au moyen " ;
Attendu que, pour évaluer le préjudice économique subi par Guy Y..., chirurgien-dentiste, blessé lors d'un accident dont Bernard X... a été déclaré responsable, la juridiction du second degré retient que la victime, qui jus-qu'alors exerçait normalement sa profession, a été reconnue inapte à la suite du traumatisme subi dont les séquelles " ont très sensiblement influencé " l'évolution d'un état arthrosique antérieur et qu'elle a été placée sous le régime de la retraite anticipée ;
Attendu qu'en cet état, l'arrêt attaqué n'encourt pas les griefs allégués ; qu'en effet, le droit de la victime d'une infraction à obtenir l'indemnisation de son préjudice corporel ne saurait être réduit en raison d'une prédisposition pathologique lorsque l'affection qui en est issue n'a été provoquée ou révélée que du fait de l'infraction ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le moyen unique de cassation proposé par Guy Y... et pris de la violation des articles 2, 3, 591 et 593 du Code de procédure pénale, 29 et 33 de la loi du 5 juillet 1985 et 1382 du Code civil, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a dit avoir fixé le préjudice corporel de M. Y... à 1 297 061, 18 francs en ce compris les débours de la Caisse autonome de retraite des chirurgiens-dentistes d'un montant de 328 645 francs et limité l'indemnisation lui étant due à ce titre par X... et la MACIF, en imputant sur la somme de 1 297 061 francs celle de 328 645 francs ;
" aux motifs qu'il convient d'évaluer comme suit les chefs de préjudice : préjudice corporel soumis au recours des organismes sociaux : incapacité totale temporaire 52 jours = 63 030 francs, incapacité permanente partielle à 25 % pendant 2 mois = 18 181, 18 francs, incapacité permanente partielle 5 % = 30 000 francs, préjudice économique = 1 175 850 francs dont 300 000 francs de la consolidation à l'arrêt d'activité : soit un total de 1 287 061, 18 francs, créance de la Caisse autonome de retraite des chirurgiens-dentistes : indemnités journalières = 134 200 francs, prestations de retraite à verser = 194 445 francs, soit un total de 328 645 francs ;
" alors, d'une part, que seules doivent être imputées sur l'indemnité réparant l'atteinte à l'intégrité physique de la victime d'un accident de la circulation, les prestations limitativement énumérées à l'article 29 de la loi du 5 juillet 1985 et qui ouvrent droit au profit des tiers payeurs à un recours subrogatoire contre la personne tenue à réparation ; que les prestations de retraite par la Caisse autonome de retraite des chirurgiens-dentistes, laquelle ne figure pas parmi les organismes admis à exercer un recours contre le responsable, n'ouvraient droit à aucune action subrogatoire ; qu'en les imputant pourtant sur l'indemnité réparant le préjudice de M. Y..., la cour d'appel a violé les articles visés au moyen ;
" alors, d'autre part, qu'à supposer que le préjudice de M. Y... ait été soumis au recours de la Caisse autonome de retraite des chirurgiens-dentistes, il devait néanmoins être évalué en tous ses éléments ; qu'en omettant pourtant d'inclure dans l'évaluation du préjudice le montant des indemnités journalières et des prestations de retraite pour inaptitude versées à M. Y... avant d'en effectuer le prélèvement, la cour d'appel, qui a mis à la charge de la victime ces prestations, a de nouveau violé les articles susvisés ;
" alors enfin que toute insuffisance de motif entraîne la cassation de la décision qu'elle entache ; qu'en procédant par simple affirmation pour fixer le montant du préjudice subi par M. Y... du fait de la perte de chiffre d'affaires consécutive à l'accident, la cour d'appel a derechef violé les articles visés au moyen et privé sa décision de base légale " ;
Sur la première branche :
Attendu qu'après avoir fixé l'indemnité réparant le préjudice découlant de l'atteinte à l'intégrité physique de Guy Y..., les juges d'appel imputent sur cette somme le montant des prestations de la Caisse autonome de retraite des chirurgiens-dentistes, se rapportant aux indemnités journalières et au versement d'un pension de retraite anticipée, et allouent à la victime une indemnité complémentaire ;
Attendu que cette décision est justifiée ; qu'en effet, selon l'article 29. 1 de la loi du 5 juillet 1985, ouvrent droit à recours subrogatoire, et dès lors doivent être imputées sur l'indemnité mise à la charge du tiers responsable, toutes les prestations sans distinction versées en conséquence du fait dommageable par les organismes, établissements et services gérant un régime obligatoire de sécurité sociale ; que, contrairement à ce que soutient le demandeur, entre dans cette catégorie la Caisse autonome de retraite des chirurgiens-dentistes, laquelle relève de l'organisation autonome d'assurance vieillesse des professions libérales instituée par les articles L. 621-1 à L. 621-3 du Code de la sécurité sociale et régie notamment par les articles L. 642-1 et suivants et R. 641-1 et suivants dudit Code ;
D'où il suit que le moyen, en sa première branche, ne peut être accueilli ;
Sur les deuxième et troisième branches :
Attendu, d'une part, qu'il est vainement fait grief à l'arrêt attaqué de n'avoir pas inclus dans le préjudice de la victime soumis au recours subrogatoire du tiers payeur les dépenses de celui-ci afférentes aux indemnités journalières et au service de la pension prématurée de retraite, dès lors que les juges ont apprécié le dommage, comme ils le devaient, en tous ses éléments, notamment au regard des périodes d'incapacité temporaire et partielle de travail ainsi que des préjudices physiologique et économique, indépendamment des prestations du tiers payeur qui ont contribué à sa réparation ;
Attendu, d'autre part, que, pour le surplus, le moyen revient à remettre en discussion devant la Cour de Cassation l'appréciation des juges du fond qui, par des motifs exempts d'insuffisance, ont souverainement fixé l'indemnité propre à réparer le dommage né de l'infraction ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE les pourvois.