CASSATION PARTIELLE sur le pourvoi formé par :
- l'association Alliance générale contre le racisme et pour le respect de l'identite francaise et chrétienne (AGRIF), partie civile,
contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, 11e chambre correctionnelle, en date du 8 janvier 1992, qui, dans la procédure suivie contre Jean-François X..., Jacques Y..., et la société l'Evènement du Jeudi, civilement responsable, des chefs de diffamation raciale et complicité, a rejeté l'exception d'irrecevabilité de l'action civile, relaxé les prévenus et débouté la partie civile.
LA COUR,
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation pris de la violation des articles 29, alinéa 1, 32, alinéa 2, 48-1, alinéa 2 de la loi du 29 juillet 1881 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré que le délit de diffamation religieuse n'était pas constitué ;
" aux motifs que les propos incriminés contiennent des " allégations présentant un caractère diffamatoire " mais que " ce n'est pas l'Eglise catholique dans son universalité qui est visée mais le carmel d'Auschwitz, géographiquement localisé et cela en raison d'un contexte polémique particulier " et que " le carmel d'Auschwitz, personne morale considérée individuellement,... n'a, en l'espèce, ni entrepris d'action ni autorisé l'AGRIF à agir pour lui " ;
" 1) alors que, pour justifier l'amalgame qu'il fait entre le carmel d'Auschwitz et le cartel de Medellin, Jacques Y... cite ce qui constitue, selon lui, un précédent dans l'Eglise catholique, à savoir que Z..." était planqué dans un couvent " alors que celui-ci était l'" adjoint " de A..., lequel " s'est occupé de la drogue " en Colombie, que la déduction qu'il tire de ce prétendu précédent quant au carmel d'Auschwitz suppose nécessairement qu'il en existe suffisamment d'autres pour que l'on puisse, selon lui, soupçonner des religieuses d'être mêlées au trafic international de la drogue du seul fait qu'elles sont catholiques, que Jacques Y... insinue donc clairement que l'Eglise catholique est compromise dans des activités criminelles liées à la drogue et que, dès lors, c'est l'Eglise catholique dans son ensemble, en tant que groupe de personnes, qui se trouve diffamée en raison de sa religion par les propos incriminés ;
" 2) alors qu'en toute hypothèse, sont explicitement visés par les propos diffamatoires à la fois les religieuses du carmel d'Auschwitz et les religieux du couvent dans lequel était " planqué " Z..., religieuses et religieux qui constituent bien un groupe de personnes diffamées à raison de leur appartenance à une religion déterminée ;
" 3) alors que le carmel d'Auschwitz, pas plus d'ailleurs que le couvent dans lequel était " planqué " Z..., ne constituent une personne considérée individuellement au sens de l'article 48-1, alinéa 2, de la loi du 29 juillet 1881, mais un groupe de personnes dont la demanderesse n'avait pas à justifier avoir reçu l'accord pour être recevable en son action " ;
Vu lesdits articles ;
Attendu, d'une part, qu'en matière de diffamation raciale, il appartient à la Cour de Cassation de contrôler le sens et la portée des écrits incriminés, ainsi que l'identification de la victime de l'infraction ;
Attendu, d'autre part, que tout jugement ou arrêt doit contenir les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;
Attendu qu'il appert de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que dans le journal hebdomadaire l'Evènement du Jeudi, daté des 23 au 29 novembre 1989, a été publié un article annoncé en page de couverture par le titre " Ce qu'il faut jeter d'ici l'an 2000 ", et intitulé en page 80, " A vos poubelles " ; que parmi les propos de diverses personnalités interrogées, l'article cite Jacques Y..., en ces termes : " En priorité, je jette le cartel de Medellin, et le carmel d'Auschwitz. A moins que ce ne soit le contraire : le cartel d'Auschwitz et le carmel de Medellin ! Souvenons-nous, A... était en Colombie, il s'est occupé de la drogue, alors que Z..., son adjoint, était planqué dans un couvent ! " ;
Attendu qu'à raison de cette publication, l'association Alliance générale contre le racisme et pour le respect de l'identité française et chrétienne (AGRIF), agissant en application de l'article 48-1 de la loi du 29 juillet 1881, a, par exploit du 22 décembre 1989, fait citer directement devant le tribunal correctionnel Jean-François X..., directeur de la publication, et Jacques Y..., sous la prévention de diffamation raciale et complicité, en visant l'article 32, alinéa 2, de la loi précitée ;
Attendu que les prévenus ont contesté la recevabilité de l'action civile de l'association, sur le fondement du second alinéa de l'article 48-1 précité, en faisant valoir que l'AGRIF ne justifiait pas, pour agir, de l'accord de la congrégation du carmel d'Auschwitz, groupement religieux doté de la personnalité morale, à considérer individuellement, au sens dudit article ;
Attendu qu'après avoir joint l'incident au fond, les juges déclarent l'action civile recevable ; que pour relaxer les prévenus, et débouter la partie civile, l'arrêt énonce que si les propos incriminés ont un caractère diffamatoire, ils ne visent pas l'Eglise catholique dans son universalité, mais le groupement que constitue " le carmel d'Auschwitz, géographiquement localisé, et cela en raison d'un contexte polémique particulier " ; que l'arrêt ajoute que " le carmel d'Auschwitz, personne morale considérée individuellement, atteint par les propos diffamatoires, a fait savoir, par lettre du 10 mai 1990 du préposé général des carmes, sous l'autorité duquel il est placé, qu'il ne reconnaissait pas à quelque association que ce soit le droit de défendre ses intérêts, lequel, écrit-il, n'appartient strictement qu'à l'autorité interne de l'ordre " ; que l'arrêt déduit la relaxe des prévenus de l'absence d'action du groupement concerné, et du défaut d'autorisation de la partie civile ;
Mais attendu, d'une part, que la cour d'appel n'a pu, sans se contredire, admettre l'action civile, et se fonder sur une fin de non-recevoir de ladite action pour prononcer la relaxe ;
Attendu, d'autre part, que la Cour de Cassation est en mesure de s'assurer que les propos diffamatoires incriminés visent non seulement la congrégation religieuse d'Auschwitz, à la supposer dotée de la personnalité morale, mais encore le groupe des personnes physiques membres de ladite congrégation, auxquelles est imputé un comportement criminel en relation avec leur appartenance religieuse, ainsi que l'ensemble des religieux susceptibles d'être associés à ce comportement, et que la partie civile pouvait donc agir sans avoir reçu l'accord des victimes de l'infraction prévue par l'alinéa 2 de l'article 48-1 précité ;
D'où il suit que la cassation est encourue ; qu'en l'absence de recours du ministère public, l'action publique est définitivement éteinte ;
Par ces motifs :
CASSE ET ANNULE l'arrêt de la cour d'appel de Paris, en date du 8 janvier 1992, mais seulement en ses dispositions concernant les intérêts civils, et pour qu'il soit à nouveau jugé conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée :
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Rouen.