REJET du pourvoi formé par :
- le comité d'entreprise de L'Européenne de Banque, partie civile,
contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, 11e chambre, en date du 6 décembre 1991, qui l'a débouté de ses demandes après avoir relaxé Roger X... du chef d'entrave au fonctionnement régulier du comité d'entreprise.
LA COUR,
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation proposé et pris de la violation des articles L. 431-5, L. 432-1 et L. 483-1 du Code du travail, de l'article 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale :
" en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a déclaré un chef d'entreprise (M. Roger X...) non coupable du délit d'entrave au fonctionnement du comité d'entreprise poursuivi, constitué par le défaut de communication à ce comité de documents nécessaires à son appréciation dans une opération de restructuration de l'entreprise, et, de ce chef, a débouté le comité d'entreprise exposant de son action civile ;
" aux motifs que depuis 1988, L'Européenne de Banque avait mis à l'étude un projet visant à confier au Crédit commercial de France, banque dont elle est la filiale, la sous-traitance de certaines opérations réalisées dans ses services centraux et avait, par la suite, été amenée à envisager, au cours des études préparatoires, deux contrats de sous-traitance distincts, l'un avec le CCF pour le service " recettes " de sa caisse centrale, et l'autre avec une entreprise extérieure, la société Sertec, pour le traitement des chèques ; qu'en ce qui concerne le premier des projets, l'entreprise a soumis, le 28 mars 1989, à la commission économique du comité d'entreprise une note écrite exposant les données essentielles et les conséquences de ce projet ; que la commission économique avait débattu de ce projet et que le comité d'entreprise avait refusé, à deux reprises, de se prononcer avant que ne lui aient été communiqués une étude de marché comparative, le projet de contrat avec le CCF et une étude sur l'aspect commercial, documents que M. X... a refusé de communiquer ; que s'agissant du sort de cinq agents dont les emplois étaient supprimés, il a été dit que ceux-ci avaient déjà été entendus en vue d'un reclassement dans d'autres services de la banque qui serait décidé en fonction de leurs souhaits et aptitudes ; que le comité d'entreprise avait refusé d'exprimer son avis ; que le même jour avait été abordée la discussion de la note écrite remise à propos du deuxième projet, concernant le traitement des chèques ; que le comité d'entreprise a décidé de se faire assister d'un expert ; que, par référence à l'avis de cet expert, il avait été demandé à M. X... de communiquer divers documents ; que, le 7 juin 1989, il avait satisfait à cinq demandes sur six mais précisait n'avoir pas à communiquer un projet de contrat ni des offres reçues ; qu'à deux reprises, le comité d'entreprise a refusé de délibérer ; qu'il est établi que les deux contrats de sous-traitance qui sont entrés en application le 1er juin 1989 pour le premier et au début du mois de juillet 1989 pour le second ont été signés seulement les 15 novembre 1989 pour le premier et le 19 juillet 1989 pour le second ; que l'article L. 431-5 du Code du travail ne prévoit pas la communication des conventions susceptibles d'intervenir avec des tiers, lesquelles ne sont pas nécessairement rédigées à l'avance en la forme écrite ; qu'une observation plus générale mérite de retenir l'attention : une convention n'existe pas avant d'être approuvée par les deux parties ; que la communication d'un tel écrit à l'avance au comité d'entreprise risquerait d'être dépourvue de toute utilité puisque le contenu de la convention définitive pourrait ne pas être celui annoncé initialement ; qu'en outre, cette communication pourrait gêner ou même empêcher la conclusion d'un contrat, le tiers ne pouvant être forcé d'admettre la divulgation du détail des pourparlers ; que la comparaison des contrats conclus et des notes explicatives remises ne fait apparaître aucune différence notable ; que le comité d'entreprise s'est abstenu de citer un seul exemple concret et précis de renseignement dont l'absence ou l'insuffisance l'auraient privé de la possibilité d'exprimer utilement son avis ; que parmi ses demandes certaines portaient sur des documents dont il lui a été dit qu'ils n'existaient pas (étude de marché comparative, offres émanant d'entreprises autres que le CCF ou la société Sertec) et d'autres sur des informations qui lui ont été effectivement communiquées ; qu'il fait enfin état du caractère trop vague des réponses qui lui ont été faites à propos des mesures qui seraient prises à la suite des suppressions de postes entraînées par l'entrée en vigueur des contrats de sous-traitance mais qu'il lui a été indiqué que ce problème sera résolu le moment venu, les douze salariés concernés ayant déjà été avertis et reçus par la direction ;
" alors que le comité d'entreprise ne peut donner un avis éclairé sur une opération donnant lieu à un acte juridique que s'il a accès à l'acte juridique lui-même et non seulement à une note écrite de l'employeur ; qu'en écartant l'obligation de communiquer au comité d'entreprise le projet d'une convention susceptible d'intervenir avec un tiers, tels les contrats de sous-traitance litigieux, à raison de leur incertitude et du secret de la négociation, la cour d'appel a violé l'article L. 431-5 du Code du travail ;
" alors, en outre, qu'il n'a pas été de ce chef répondu aux conclusions du comité exposant selon lesquelles non seulement les documents réclamés ne lui avaient pas été communiqués mais, en outre, il ne lui avait pas été laissé le temps de recevoir le rapport de l'expert avant la mise en oeuvre du projet de restructuration ; que, de ce chef, l'arrêt attaqué n'est donc pas légalement justifié ;
" alors, enfin, qu'il résulte notamment de l'arrêt infirmatif attaqué qu'aux demandes du comité exposant quant aux mesures qui seraient prises à la suite des suppressions de postes entraînées par l'entrée en vigueur des contrats de sous-traitance, il avait été indiqué que ce problème serait résolu le moment venu, les douze salariés concernés ayant déjà été avertis et reçus par la direction ; qu'il résulte ainsi des constatations de l'arrêt attaqué que l'information ainsi donnée portait sur une décision d'ores et déjà en voie de réalisation ; que de ce chef encore, la cour d'appel n'a pas tiré de ses constatations les conséquences légales qui en résultaient nécessairement " ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que la société Européenne de Banque, en vue de réduire ses frais fixes de fonctionnement, a projeté de sous-traiter certaines opérations réalisées par ses services centraux et qu'elle a informé le comité d'entreprise de ses intentions lors de la réunion de cet organisme le 28 juin 1988 ; que des études préparatoires l'ont conduite à prévoir un contrat de sous-traitance avec le Crédit commercial de France (CCF), dont elle est la filiale, pour les opérations " recettes " de sa caisse centrale et un second contrat avec la société Sertec, extérieure au groupe du CCF, pour le traitement des chèques ;
Que, pour informer et consulter le comité d'entreprise sur le premier de ces projets, elle a soumis le 28 mars 1989 à la commission économique du comité d'entreprise une note écrite exposant les données essentielles du projet et les conséquences qu'il comportait sur les conditions et horaires de travail ainsi que sur le volume des effectifs ; qu'elle précisait, à cet égard, que cinq postes de caissiers devant être supprimés, la réaffectation de leurs titulaires serait prévue ; qu'après l'avis négatif formulé par cette commission, le comité d'entreprise, réuni le 27 avril, a refusé de se prononcer avant que ne lui soient communiqués le projet de contrat de sous-traitance ainsi qu'une étude de marché comparative et une étude sur l'aspect commercial ; que Roger X..., président du conseil d'administration de la banque, s'y est refusé en alléguant que le projet de contrat n'avait pas été rédigé par écrit, qu'aucune étude comparative n'avait été faite, et que les incidences commerciales étaient exposées dans la note explicative du 28 mars ; que lors d'une seconde réunion le 25 mai, le comité a renouvelé sa demande et s'est heurté à un nouveau refus ; qu'à ses questions sur le sort des cinq agents dont les postes devaient être supprimés, il lui a été répondu qu'ils seraient reclassés dans d'autres services de la banque en fonction de leurs souhaits et de leurs aptitudes ; que s'estimant insuffisamment informé le comité a refusé de se prononcer ; que le contrat est entré en application le 1er juin 1989 mais n'a été signé que le 15 novembre 1989 ;
Qu'une note écrite concernant le projet de contrat de sous-traitance avec la Sertec a été remise au comité d'entreprise qui l'a examinée lors de sa réunion du 28 mai 1989 et a décidé de se faire assister d'un expert ; que, se référant à l'avis de ce dernier, le président de la commission économique a, le 2 juin 1989, demandé à Roger X... la communication du projet de contrat et de plusieurs documents ; que si ces documents ont été remis au comité, le président du conseil d'administration a refusé de communiquer le projet de contrat en faisant valoir que l'économie générale du projet figurait dans la note écrite ; que le comité a, lors de sa réunion du 12 juin, puis lors de sa réunion du 29 juin, refusé de délibérer ; que le contrat de sous-traitance est entré en application au début du mois de juillet et a été signé le 19 juillet ;
Attendu que le comité d'entreprise, estimant qu'en refusant de communiquer les documents qui lui avaient été réclamés et notamment les contrats de sous-traitance, en se bornant à une réponse vague sur la réaffectation du personnel concerné et en refusant d'attendre le dépôt du rapport de l'expert sur le second contrat et de reporter la réunion du 29 juin, Roger X... l'avait empêché de donner, faute d'information suffisante, un avis motivé avant la mise en place de la restructuration, et avait ainsi commis le délit d'entrave, l'a cité de ce chef devant le tribunal correctionnel ;
Attendu que, pour infirmer le jugement de condamnation et rejeter les demandes de la partie civile, la juridiction du second degré énonce notamment que l'article L. 431-5 du Code du travail ne contient pas de disposition permettant au comité d'entreprise de prendre connaissance des conventions passées par l'entreprise avec des tiers ; qu'elle relève en outre, en comparant le texte des contrats avec les notes explicatives et les documents fournis au comité d'entreprise, qu'aucune différence notable n'apparaît entre ces notes et ces contrats et que le comité d'entreprise s'est abstenu au cours des débats de citer un seul exemple concret et précis de renseignement dont l'absence ou l'insuffisance l'auraient privé de la possibilité d'exprimer utilement son avis ;
Qu'en ce qui concerne les autres documents réclamés par le comité, elle énonce que ces documents ou bien n'existaient pas ou bien portaient sur des informations qui ont été effectivement communiquées ;
Qu'elle considère enfin que l'employeur a suffisamment répondu aux questions du comité sur le sort du personnel concerné par la restructuration en l'informant que les salariés avaient été avertis et reçus par la direction, et qu'à l'exception d'un départ volontaire, tous seraient reclassés dans l'entreprise en fonction de leurs préférences ou des besoins de chaque service, ce qui, selon ses constatations, s'est révélé exact, tous les reclassements prévus s'étant réalisés sans aucune difficulté ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, et abstraction faite de motifs erronés mais surabondants sur l'incertitude des projets et le secret des affaires, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ; que les dispositions de l'article L. 431-5 du Code du travail imposent seulement au chef d'entreprise qui consulte le comité d'entreprise sur un projet de décision de fournir des informations précises et écrites mais ne lui font pas obligation de communiquer le projet lui-même, sauf dispositions légales particulières ;
Que, d'autre part, les juges n'étaient pas tenus de répondre à des conclusions inopérantes relatives au dépôt du rapport de l'expert désigné par le comité en application de l'article L. 434-6, alinéa 7, du Code du travail, dès lors que le chef d'entreprise qui laisse au comité d'entreprise un délai suffisant pour émettre un avis n'est pas tenu de le prolonger pour les convenances de l'expert ;
Qu'enfin, le fait que l'employeur ait informé les salariés concernés, avant la fin de la consultation du comité d'entreprise, de la suppression éventuelle de leur poste et de la possibilité d'une réaffectation n'est pas de nature à entraver le fonctionnement régulier du comité d'entreprise ;
D'où il suit que le moyen ne peut être admis ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi.