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26/01/1993 | FRANCE | N°91-82400

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 26 janvier 1993, 91-82400


REJET du pourvoi formé par :
- X...,
contre l'arrêt de la cour d'appel de Metz, chambre correctionnelle, en date du 16 janvier 1991, qui l'a condamné, du chef de complicité de diffamation publique envers un fonctionnaire public, à la peine de 10 000 francs d'amende, et qui a prononcé sur les intérêts civils.
LA COUR,
Vu le mémoire produit ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 29, 31 de la loi du 29 juillet 1881, 592 et 593 du Code de procédure pénale :
" en ce que l'arrêt attaqué a condamné le demandeur du chef de complicité de

diffamation publique envers un magistrat à raison de ses fonctions ;
" aux moti...

REJET du pourvoi formé par :
- X...,
contre l'arrêt de la cour d'appel de Metz, chambre correctionnelle, en date du 16 janvier 1991, qui l'a condamné, du chef de complicité de diffamation publique envers un fonctionnaire public, à la peine de 10 000 francs d'amende, et qui a prononcé sur les intérêts civils.
LA COUR,
Vu le mémoire produit ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 29, 31 de la loi du 29 juillet 1881, 592 et 593 du Code de procédure pénale :
" en ce que l'arrêt attaqué a condamné le demandeur du chef de complicité de diffamation publique envers un magistrat à raison de ses fonctions ;
" aux motifs, adoptés des premiers juges, que le sous-titre selon lequel X... dénonce " la détention utilisée comme une technique de culpabilité " est déjà en lui-même un élément gravement diffamatoire dans la mesure où il affirme que le magistrat instructeur se sert de la détention comme moyen de pression pour parvenir à la démonstration de la culpabilité d'une inculpée sans se soucier de la lettre et de l'esprit de la loi ;
" alors, d'une part, que pour être diffamatoire, une allégation ou une imputation doit se présenter sous la forme d'une articulation précise de faits de nature à être sans difficulté l'objet d'une preuve et d'un débat contradictoire ; qu'en l'espèce, l'affirmation selon laquelle " la détention est utilisée par le juge comme une technique de culpabilité " n'a aucun sens intelligible et ne peut, de ce seul fait, être considérée comme l'articulation d'un fait précis susceptible d'une preuve ;
" alors, d'autre part, qu'à supposer que l'expression litigieuse signifie, comme l'affirment les juges du fond, que le magistrat ait utilisé la détention comme moyen de pression pour parvenir à la démonstration de la culpabilité de l'inculpée, une telle affirmation n'est en rien diffamatoire, la détention pouvant être légalement, aux termes de l'article 144 du Code de procédure pénale, " l'unique moyen " de conserver les preuves ou indices matériels, d'empêcher une pression sur les témoins ou victimes ou une concertation entre inculpés ou complices, soit, selon la loi elle-même, le moyen de parvenir à la démonstration de la culpabilité de l'inculpé ;
" et aux motifs, toujours adoptés des premiers juges, d'autre part, que les conditions de la détention de Y... sont décrites comme étant " déplorables et critiquables " ; qu'il est indiqué qu'elle a été " placée à l'isolement sans médicament " ; qu'on " lui a refusé une boisson chaude " ; que cette manière de la traiter " s'apparente à une torture morale " ; que cette question est posée : " Pourquoi infliger un tel traitement à une détenue de 59 ans présumée innocente ? " pour conclure " on veut briser sa résistance, on veut la punir avant le jugement " ; que le juge ne peut être que ce " on " qui revient avec insistance, l'amalgame étant délibérément fait entre ce qui participe de la dénonciation des lenteurs d'une détention abusive et l'attaque délibérée portée contre un magistrat nommément désigné et accusé de se comporter d'une manière indigne et intolérable à l'égard d'une femme détenue ;
" alors qu'un lecteur normalement doué de raison ne peut penser que le juge intervient directement, au lieu et place des surveillants ou du chef de la maison d'arrêt dans les conditions purement matérielles de la détention et ne peut faire un quelconque amalgame entre ceux-là et celui-ci ; que, dès lors, à les supposer diffamatoires, les allégations relatives aux conditions matérielles de la détention de Y... ne pouvaient, en aucun cas, viser le juge Z... " ;
Attendu qu'il appert de l'arrêt attaqué, du jugement qu'il confirme, et des pièces de la procédure, que sur la plainte avec constitution de partie civile de Z..., premier juge d'instruction au tribunal de grande instance de Nancy, A..., directeur de la publication du journal quotidien régional B..., C..., journaliste, et X..., avocat, ont été renvoyés devant la juridiction correctionnelle sous la prévention de diffamation publique envers un fonctionnaire public, et complicité, en raison de la parution, dans le numéro dudit quotidien daté du 24 octobre 1989, en page Région Lorraine, d'un article intitulé " L'affaire D... - Y... La défense attaque le juge Z... " ; que cet article, comportant, sous la signature de C..., la relation d'une conférence de presse donnée par X..., avocat de Y..., était incriminé, notamment à raison de ses sous-titres, " Me X..., l'un des avocats de l'inculpée, dénonce " la détention utilisée comme une technique de culpabilité... ", " Retournement de procédure ", " Une mort à petit feu ", ainsi que des passages suivants :
" Me X... a accusé : " Y... fait aujourd'hui l'objet d'une instruction menée par un magistrat qui travaille en fonction de son intime conviction " ; il a évoqué aussi les conditions de détention de sa cliente : " Déplorables et critiquables " ; il a expliqué :
" Tout récemment, Y... a été placée à l'isolement, sans médicaments. On lui a même refusé une boisson chaude alors qu'elle était enrhumée. Cette manière de la traiter s'apparente à une torture morale. Pourquoi infliger un tel traitement à une détenue de 59 ans, présumée innocente ? On veut briser sa résistance, on veut la punir avant le jugement. La détention est utilisée par le juge comme une technique de culpabilité " ;
" Me X... a encore parlé de " retournement de procédure ", en ce sens qu'il considère que le magistrat instructeur " demande à Y... de faire la preuve de son innocence, alors que c'est à lui de prouver la culpabilité " ;
" En guise de conclusion à sa conférence de presse, Me X... a encore eu quelques paroles très dures : " La défense se bat parce qu'elle ne veut pas être complice d'une mort à petit feu. Que le supplice cesse ! " ;
Attendu que les juges, après avoir relevé que X... ne contestait pas avoir tenu les propos reproduits par l'article incriminé, en sachant qu'ils devaient faire l'objet d'une publication, en ont retenu le caractère diffamatoire envers le magistrat instructeur, présenté comme abusant de la détention provisoire pour affaiblir une inculpée, briser sa résistance, démontrer sa culpabilité et la punir avant son jugement, à défaut d'en obtenir des aveux ; que la rigueur du régime pénitentiaire décrit par l'avocat est également imputée au juge d'instruction, qui en est présenté comme l'instigateur responsable, sinon l'exécutant ;
Attendu qu'en cet état, la cour d'appel a justifié sa décision sans encourir les griefs allégués ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 55 du Code pénal, 1382 du Code civil, 2, 592 et 593 du Code de procédure pénale :
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Me X..., reconnu complice de la diffamation, seul responsable du préjudice subi par la victime et l'a condamné à payer à cette dernière la somme de 10 000 francs à titre de dommages-intérêts ;
" alors qu'en cas de pluralité d'auteurs ou de complices condamnés pour une même infraction, ceux-ci aux termes de l'article 55 du Code pénal sont solidairement tenus de dommages-intérêts ; que, dès lors, le juge correctionnel, qui n'a pas compétence pour opérer un partage de responsabilité entre les coauteurs d'un même dommage, ne pouvait déclarer Me X..., complice de l'infraction pour laquelle étaient légalement condamnés les coauteurs, seul responsable du préjudice subi par la victime ;
" alors, d'autre part, et au surplus, que l'arrêt attaqué, qui n'expose aucune raison pour laquelle les auteurs principaux sont exonérés de toute responsabilité à l'encontre de la victime, n'est pas motivé " ;
Attendu que pour condamner X... à verser des dommages-intérêts à la partie civile, les juges relèvent que celle-ci a formé sa demande de réparations contre ce seul prévenu, déclaré responsable du préjudice occasionné à la victime de l'infraction ;
Attendu qu'en statuant ainsi, la cour d'appel n'a enfreint aucun des textes visés au moyen ;
Qu'en effet, d'une part, l'auteur ou complice d'une infraction est tenu à la réparation intégrale du dommage qui en résulte pour une victime, à laquelle aucune faute n'est imputée, même s'il n'en est pas le seul responsable ;
Que, d'autre part, si au sens de l'article 55 du Code pénal, tous les individus condamnés pour un même délit ou pour un délit connexe sont tenus solidairement des amendes, des restitutions, des dommages-intérêts et des frais causés par leur faute commune, les juges ne peuvent cependant, sans commettre un excès de pouvoir, statuer, du point de vue des réparations civiles, à l'égard de prévenus contre lesquels la partie civile n'a pas pris de conclusions ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 91-82400
Date de la décision : 26/01/1993
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Criminelle

Analyses

1° PRESSE - Diffamation - Personnes et corps protégés - Fonctionnaire public - Magistrat - Juge d'instruction - Imputations d'abus des fonctions.

1° Le délit de diffamation publique envers un fonctionnaire public est caractérisé contre l'avocat qui présente, à l'occasion d'une conférence de presse, un magistrat instructeur comme abusant de la détention provisoire, pour affaiblir une inculpée, briser sa résistance, démontrer sa culpabilité, la punir avant son jugement, à défaut d'en obtenir des aveux et qui impute à ce magistrat la rigueur du régime pénitentiaire de sa cliente(1).

2° PRESSE - Procédure - Action civile - Préjudice - Réparation - Pluralité de prévenus - Demande de condamnation formée contre un seul prévenu.

2° La victime de la diffamation peut former sa demande de dommages-intérêts contre un seul des prévenus, dès lors que cette demande, assortie du maintien de la plainte contre tous les prévenus, n'implique aucun désistement partiel. En effet, l'auteur ou complice d'une infraction est tenu à la réparation intégrale du dommage qui en résulte pour une victime, à laquelle aucune faute n'est imputée, même s'il n'en est pas le seul responsable(2).


Références :

1° :
2° :
Code civil 1382
Code de procédure pénale 2
Code pénal 55
Loi du 29 juillet 1881 art. 29, art. 31

Décision attaquée : Cour d'appel de Metz (chambre correctionnelle), 16 janvier 1991

CONFER : (1°). (1) Cf. Chambre criminelle, 1993-01-12, bulletin criminel 1993, n° 13, p. 27 (rejet), et les arrêts cités. CONFER : (2°). (2) Cf. Chambre criminelle, 1968-02-08, bulletin criminel 1968, n° 42 (2), p. 95 (rejet) ;

Chambre criminelle, 1970-01-07, bulletin criminel 1970, n° 16 (2), p. 36 (cassation partielle) ;

Chambre criminelle, 1973-12-12, bulletin criminel 1973, n° 463, p. 1163 (cassation partielle).


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 26 jan. 1993, pourvoi n°91-82400, Bull. crim. criminel 1993 N° 42 p. 98
Publié au bulletin des arrêts de la chambre criminelle criminel 1993 N° 42 p. 98

Composition du Tribunal
Président : Président : M. Zambeaux, conseiller le plus ancien faisant fonction.
Avocat général : Avocat général : M. Perfetti.
Rapporteur ?: Rapporteur : M. Guerder.
Avocat(s) : Avocat : la SCP Waquet, Farge et Hazan.

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:1993:91.82400
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