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16/07/1992 | FRANCE | N°89-16589

France | France, Cour de cassation, Assemblee pleniere, 16 juillet 1992, 89-16589


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Attendu que, selon l'arrêt attaqué, rendu sur renvoi après cassation, la marque Au Lotus a été déposée par la société Etablissements Agache (société Agache) le 8 juin 1959, en renouvellement de dépôts antérieurs ; que la société Cartonnerie Kaysersberg a demandé à la société Agache, par lettre du 15 septembre 1965, de lui confirmer qu'elle n'éléverait aucune objection contre l'utilisation de Lotus pour des articles en ouate et tissus de cellulose (mouchoirs, serviettes, napperons, papier hygiénique, couches pour bébé, etc..) ; que cette même lettre exposait q

u'à la suite d'une recherche d'antériorité, la société Cartonnerie de Kaysersbe...

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Attendu que, selon l'arrêt attaqué, rendu sur renvoi après cassation, la marque Au Lotus a été déposée par la société Etablissements Agache (société Agache) le 8 juin 1959, en renouvellement de dépôts antérieurs ; que la société Cartonnerie Kaysersberg a demandé à la société Agache, par lettre du 15 septembre 1965, de lui confirmer qu'elle n'éléverait aucune objection contre l'utilisation de Lotus pour des articles en ouate et tissus de cellulose (mouchoirs, serviettes, napperons, papier hygiénique, couches pour bébé, etc..) ; que cette même lettre exposait qu'à la suite d'une recherche d'antériorité, la société Cartonnerie de Kaysersberg avait constaté que la société Agache était titulaire de la marque Au Lotus pour désigner des fils de lin, chanvre, jute et autres fibres, vêtements confectionnés en tout genre, lingerie de corps et de ménage ; que par lettre du 7 novembre 1965, la société Agache a fourni la réponse suivante :

" Nous avons noté que vous aviez le désir d'utiliser la marque Lotus pour différents articles de votre fabrication. Désireux de créer entre nos sociétés un climat de collaboration, nous vous donnons volontiers l'assurance que nous n'éléverons aucune objection à l'utilisation de la marque Lotus par vous-même. Toutefois, il va de soi que de votre côté, vous vous engagez à ne pas faire opposition aux utilisations que nous pourrions faire de notre propre marque. " ; que la société Cartonnerie de Kaysersberg, par lettre du 12 octobre 1965, a remercié de l'accord donné pour l'utilisation de la marque Lotus pour les articles en tissu de cellulose ; que, le 15 décembre 1965, la société Cartonnerie Kaysersberg a acquis la marque Lotus déposée le 16 avril 1965 par la société Dorland et Grey ; que la société Kaysersberg, filiale de la société Béghin, devenue Compagnie de Kaysersberg le 17 mai 1966, a été absorbée par la société Béghin le 2 janvier 1969 qui, après absorption de la société Say, est devenue la société Béghin-Say le 10 juillet 1973 ; que le 22 juillet 1968, la société Agache a fait apport à la société Les Etablissements P. et E. Dufour de son actif avec énumération des marques incluses qui ne comprenait pas la marque Au Lotus ; que la dénomination sociale des Etablissements Dufour est successivement devenue Générale Textile, Consortium général textile et le 17 avril 1979, Boussac Saint-Frères avant qu'en soit prononcé le règlement judiciaire ; que la société Consortium général textile a déposé, à titre de renouvellement, selon elle, la marque Au Lotus le 9 mai 1974 sous le n° 173 224, donnant lieu à l'enregistrement sous le n° 901 830 ; que, par acte du 10 décembre 1974, se référant à l'acte du 22 juillet 1968, la société foncière et financière Agache-Willot et la société Consortium général textile ont indiqué qu'avait été omise parmi les marques apportées la marque Au Lotus enregistrée le 8 juin 1959 sous le numéro 22 288 ; que cet acte a été publié au registre national des marques le 16 janvier 1975 ; que la société Boussac a, le 11 mars 1977, fait demander à la société Béghin-Say de cesser d'utiliser la marque Lotus et a, le 17 avril 1979, assigné la société Béghin-Say pour lui faire interdire d'utiliser la marque Lotus ; que cette société a reconventionnellement demandé que soit déclaré nul le renouvellement

de la marque Au Lotus par la société Boussac et que celle-ci soit déchue des droits sur cette marque pour défaut d'exploitation publique et non équivoque pendant plus de 5 ans ;

Sur le troisième moyen :

Vu l'article 14 de la loi du 31 décembre 1964 ;

Attendu qu'aux termes du texte susvisé, toute modification au droit portant sur une marque ne sera opposable aux tiers que par mention au Registre national des marques ;

Attendu que pour décider que la société Béghin-Say avait utilisé la marque Au Lotus sans droit ni titre depuis le 16 janvier 1975 et admettre la validité du renouvellement de la marque auquel il a été procédé par la société Boussac le 9 mai 1974, l'arrêt énonce que ce texte " se borne à prévoir une inopposabilité d'ailleurs temporaire qui prend fin avec l'accomplissement de la formalité " et que l'obligation de renouvellement du dépôt d'une marque dans le délai légal " ne touche qu'au mode d'exercice du droit et non à sa création " ;

Attendu qu'en statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que l'acte de transmission de la marque Au Lotus avait été inscrit au Registre national des marques le 16 janvier 1975 et que le dépôt en renouvellement de cette marque avait été effectué, en application de la loi du 23 juin 1857, le 8 juin 1959, la cour d'appel, qui n'en a pas déduit que la société Boussac, n'ayant pas procédé valablement au renouvellement de ce dépôt dans le délai de 15 années à compter de cette date, ne pouvait plus se prévaloir, sur cette marque, d'un droit opposable aux tiers et n'était pas fondée à agir contre la société Béghin-Say pour usage illicite de cette marque, a violé le texte susvisé ;

Et sur le quatrième moyen, pris en sa deuxième branche :

Vu l'article 11 de la loi du 31 décembre 1964 ;

Attendu que, selon ce texte, est déchu de ses droits le propriétaire d'une marque qui ne l'a pas exploitée ou fait exploiter de façon non équivoque pendant 5 années ;

Attendu que pour écarter la déchéance de la marque Au Lotus invoquée par la société Béghin-Say, après avoir rappelé que l'article 5 C 2 de la convention d'Union de Paris permet au propriétaire d'une marque de l'utiliser sous une forme légèrement différente de celle de l'enregistrement, l'arrêt retient que l'usage de la marque Lotus, poursuivi par la société Béghin-Say jusqu'au 11 mars 1977, en vertu de l'autorisation donnée en septembre et octobre 1965, " doit être regardé comme une exploitation de la marque Au Lotus mettant en échec l'action en déchéance puisque la période de 5 ans visée par l'article 11 de la loi du 31 décembre 1964 commençait le 28 octobre 1975. " ;

Attendu qu'en statuant ainsi, alors que l'exploitation de la marque Lotus par la société Béghin-Say ne constituait pas, aux termes de l'accord intervenu entre les sociétés Kaysersberg et Agache, l'exploitation de la marque Au Lotus, que l'exploitation d'une marque enregistrée, analogue à une autre marque enregistrée, ne vaut pas exploitation de cette dernière et que l'article 5 C 2 de la convention d'Union de Paris ne trouve application que si une seule marque est en cause, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 29 mars 1989, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Rouen. MOYENS ANNEXES

Moyens produits par M. Barbey, avocat aux Conseils, pour les sociétés Béghin-Say et Kaysersberg.

PREMIER ET DEUXIEME MOYENS DE CASSATION : (sans intérêt) ;

TROISIEME MOYEN DE CASSATION :
:

IL EST REPROCHE à l'arrêt attaqué d'avoir " dit que le dépôt 173 224 effectué par le Consortium général textile le 9 mai 1974 et enregistré sous le n° 901 830 vaut comme dépôt en renouvellement du dépôt de la marque Lotus opéré le 8 juin 1959 et enregistré sous le n° 26 288 et que la société Boussac Saint-Frères, aux droits du Consortium général textile, peut s'en prévaloir en tant que tel " ;

AUX MOTIFS QUE si l'acte rectificatif du 10 décembre 1974 a permis l'inscription au Registre national des marques de la cession de la marque Au Lotus par Agache à Dufour, c'est en revanche l'acte d'apport du 22 juillet 1968 qui en a transféré la propriété, les mentions mêmes de l'acte rectificatif confirmant du reste que la vente de 1968 était parfaite, s'agissant de ladite marque :

- que le Consortium général textile (ex-Dufour) était donc bien titulaire de la marque lorsque le dépôt de 1959 a été renouvelé le 9 mai 1974 ;

- qu'aussi bien nul autre que lui n'aurait eu qualité pour opérer ce renouvellement qui l'a donc été par le véritable propriétaire, à bonne date et avec mention explicite du renouvellement ;

- que le droit sur la marque a sous l'empire de la législation en vigueur en 1974 une unique source : le dépôt, à condition qu'il soit enregistré ;

- que l'enregistrement confère à la marque sa validité dans la portée découlant des mentions du dépôt, qu'il s'agisse du point de départ de la validité, du domaine de protection ou du caractère de renouvellement, aucun élément extrinsèque au dépôt ne pouvant affecter le contenu du droit ainsi créé ;

ALORS QUE le dépôt effectué le 9 mai 1974 par le Consortium général textile n'avait pu constituer un renouvellement de la marque Au Lotus opposable à la société Béghin-Say, titulaire de la marque Lotus qui n'avait pas été annulée ; que la cour d'appel a donc violé l'article 14 de la loi du 31 décembre 1964 ;

QUATRIEME MOYEN DE CASSATION :
:

IL EST REPROCHE à l'arrêt attaqué d'avoir écarté la déchéance pour défaut d'exploitation de la marque Au Lotus par la société Boussac Saint-Frères,

1 - AUX MOTIFS QUE l'emploi de Lotus par Kaysersberg pour des mouchoirs, papiers hygiéniques et couches de bébés ayant reposé sur le consentement de Agache, il ne fait aucun doute qu'il constituait une exploitation d'une marque dénominative formée avec Lotus et l'article contracté " au " dépourvu, de même que " à la " et " à l' " de tout caractère distinctif et sans aucun recours à un graphisme particulier ; que l'autorisation gratuite accordée par Agache étant devenue caduque avec son absorption par Béghin le 2 janvier 1969, l'exploitation Lotus n'en a pas moins continué sans se heurter à une manifestation de volonté contraire des successeurs de Agache jusqu'au 11 mars 1977, date de la lettre prérappelée du cabinet Bugnion ; qu'une telle situation n'était pas le résultat d'une simple tolérance ; que l'autorisation, malgré sa caducité, déroulait ses effets dans la mesure où il n'avait pas été notifié avec préavis à Béghin puis Béghin-Say qu'elle n'était plus valable ; que Béghin-Say serait d'autant plus mal venue de le contester qu'elle avait jugé opportun en 1972 d'inscrire l'accord de 1965 ; qu'aux termes de l'article 5 C 2 de la convention d'Union de Paris, l'emploi d'une marque par le propriétaire sous une forme qui diffère par des éléments n'altérant pas le caractère distinctif de la marque dans la forme où elle a été enregistrée dans l'un des pays de l'Union n'entraînera pas l'invalidation de l'enregistrement et ne diminuera pas la protection accordée à la marque ; que par référence au texte ci-dessus, l'usage de la marque Lotus poursuivi jusqu'au 11 mars 1977 dans le cadre de l'autorisation de septembre-octobre 1965 doit être regardé comme une exploitation de la marque Au Lotus mettant en échec l'action en déchéance puisque la période de 5 ans visée et l'article 11 de la loi du 31 décembre 1964 commençait le 28 octobre 1975 ;

ALORS QUE, D'UNE PART, la cour d'appel ne pouvait énoncer que l'autorisation, devenue caduque selon elle le 2 janvier 1969, " déroulait ses effets " jusqu'en 1977 sans se contredire en violation de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;

ALORS QUE, D'AUTRE PART, en statuant ainsi, alors que la société Béghin-Say exploitait sa marque Lotus et non la marque Au Lotus de la société Boussac Saint-Frères et que l'exploitation d'une marque enregistrée analogue à une autre marque enregistrée ne vaut pas exploitation de cette dernière, la cour d'appel a violé l'article 11 de la loi du 31 décembre 1964 ;

2 - AUX MOTIFS QUE le défaut d'exploitation a une excuse légitime pour la période postérieure à 1977 eu égard au conflit entre les parties ;

ALORS QUE l'excuse légitime ne peut tenir qu'à un fait extérieur à la volonté du titulaire de la marque ; que la société Boussac Saint-Frères ayant exploité une autre marque (Peaudouce) pour développer sa propre activité sur les produits en cause, la cour d'appel ne pouvait retenir une excuse légitime à son profit sans violer l'article 11 de la loi du 31 décembre 1964.


Synthèse
Formation : Assemblee pleniere
Numéro d'arrêt : 89-16589
Date de la décision : 16/07/1992
Sens de l'arrêt : Cassation

Analyses

1° MARQUE DE FABRIQUE - Cession - Publicité - Défaut - Inopposabilité aux tiers.

1° Aux termes de l'article 14 de la loi du 31 décembre 1964, toute modification au droit portant sur une marque n'est opposable aux tiers que par mention au registre national des marques. Viole ce texte la cour d'appel qui donne effet à l'égard des tiers à un renouvellement de marque opéré par le cessionnaire de la marque avant exécution de la publicité.

2° MARQUE DE FABRIQUE - Déchéance - Défaut d'exploitation - Exploitation d'une marque voisine de la marque enregistrée.

2° MARQUE DE FABRIQUE - Objet - Marque Au Lotus.

2° Aux termes de l'article 11 de la loi du 31 décembre 1964, est déchu de ses droits le propriétaire d'une marque qui ne l'a pas exploitée ou fait exploiter de façon non équivoque pendant 5 années. Viole ce texte la cour d'appel qui pour écarter la déchéance d'une marque en l'absence d'exploitation par son titulaire, rappelle que l'article 5 C 2 de la convention d'Union de Paris permet au propriétaire d'une marque de l'utiliser sous une forme légèrement différente de celle de l'enregistrement, alors que l'exploitation d'une marque enregistrée, analogue à une autre marque enregistrée ne vaut pas exploitation de cette dernière, et que l'article 5 C 2 de la convention d'Union de Paris ne trouve application que si une seule marque est en cause.


Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 29 mars 1989

A RAPPROCHER : (1°). Chambre commerciale, 1986-06-24 , Bulletin 1986, IV, n° 142 (2), p. 118 (cassation). (2°). Chambre commerciale, 1984-07-17 , Bulletin 1984, IV, n° 238, p. 197 (rejet)

arrêt cité.


Publications
Proposition de citation : Cass. Ass. Plén., 16 jui. 1992, pourvoi n°89-16589, Bull. civ. 1992 A.P. N° 10 p. 21
Publié au bulletin des arrêts des chambres civiles 1992 A.P. N° 10 p. 21

Composition du Tribunal
Président : Premier président : M. Drai
Avocat général : Avocat général :Mme Le Foyer de Costil
Rapporteur ?: Rapporteur :M. Gomez
Avocat(s) : Avocats :MM. Barbey, Thomas-Raquin.

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:1992:89.16589
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