CASSATION PARTIELLE et REGLEMENT DE JUGES sur le pourvoi formé par :
- le directeur de la direction départementale de la prévention et de l'action sociale du Rhône, agissant en qualité d'administrateur ad hoc du mineur Emmanuel X..., partie civile,
contre l'arrêt de la chambre d'accusation de la cour d'appel de Lyon en date du 20 septembre 1991 qui, infirmant l'ordonnance de transmission des pièces du juge d'instruction, a disqualifié les faits retenus contre Raymond X... sous l'incrimination de viols aggravés et l'a renvoyé, ainsi que son épouse, née Y..., devant le tribunal correctionnel du chef d'attentats à la pudeur aggravés.
LA COUR,
Vu l'article 575, alinéa 2.6°, du Code de procédure pénale ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le moyen unique de cassation pris de la violation de l'article 332 du Code pénal, de l'article 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué, disqualifiant les faits commis par Raymond X... de viols aggravés en attentats à la pudeur sans violence, ni contrainte, ni surprise commis par ascendant légitime, a prononcé le renvoi devant le tribunal correctionnel et non devant la cour d'assises ;
" aux motifs que l'examen médical et l'examen médico-psychologique d'Emmanuel X... n'ont pas mis en évidence chez lui de lésion psychique ni de traces mnésiques d'une violence, d'une contrainte ou d'une surprise qui seraient à l'origine des pénétrations dont il a été la victime et l'agent ; qu'il apparaît plutôt que l'enfant, face aux demandes répétées, insistantes, persuasives et aux passages à l'acte progressifs de son père, s'est soumis aux exigences de celui-ci sans être en mesure d'en percevoir le caractère profondément déviant, d'autant que sa propre mère participait aux infractions ;
" alors, d'une part, qu'il résulte du dossier de l'instruction (cf. PV de confrontation des 30 juillet 1990, cote D. 48, et 15 mai 1991, cote D. 69 : Au début, j'étais pas d'accord (...) Il a gueulé et j'ai accepté à force qu'il gueule (...) Il ne m'a jamais frappé, mais j'avais peur de lui) que le mineur ne s'exécutait que sur ordre impératif du père (peu important à cet égard l'absence de violence physique et de menaces précises), et que le père réveillait son fils à minuit pour lui faire regarder des films pornographiques et pour ensuite le soumettre à ses exigences, de sorte que les actes de pénétration sexuelle (en l'espèce, des fellations) commis par Raymond X... sur la personne de son fils légitime, et subis par ce dernier sous l'effet de la surprise et sous la contrainte révérencielle du père, devaient être qualifiés de viols aggravés ; que dès lors l'arrêt attaqué a violé l'article 332 du Code pénal ;
" alors, d'autre part, que les manoeuvres du père - réveil à minuit, films suggestifs - pouvaient constituer l'élément de surprise, constitutif du viol ; que l'arrêt attaqué a derechef violé l'article 332 du Code pénal ;
" alors, enfin, que l'existence d'une contrainte morale résulte des propres énonciations de l'arrêt attaqué, selon lesquelles les différentes agressions sexuelles avaient été imposées au mineur par son père, l'enfant ayant dû se soumettre à ses exigences ; qu'en s'abstenant de tirer de ses constatations les conséquences légales qui s'imposent, l'arrêt attaqué a violé l'article 332 du Code pénal " ;
Vu lesdits articles ;
Attendu que si les chambres d'accusation apprécient souverainement les faits dont elles sont saisies, c'est à la condition qu'elles justifient leurs décisions par des motifs exempts de contradiction ou d'illégalité ;
Attendu qu'il appert des énonciations de l'arrêt attaqué que Raymond X..., inculpé notamment de viols sur mineur de 15 ans par ascendant légitime, a fait l'objet d'une ordonnance de transmission de pièces au procureur général, en vue de sa mise en accusation devant la cour d'assises ;
Que la chambre d'accusation, après avoir analysé les faits, objet de la poursuite, a jugé, qu'à supposer ceux-ci établis, ils ne pouvaient recevoir la qualification de viols, en énonçant les motifs exactement reproduits au moyen ;
Mais attendu que la juridiction d'instruction du second degré ne pouvait, sans contradiction, énoncer que les actes de pénétration sexuelle commis par X... sur la personne de son fils l'avaient été sans violence, contrainte ou surprise, alors qu'elle relève par ailleurs que l'enfant, confirmant les dires de sa mère, a expliqué que, depuis l'âge de 12 ans, son père l'obligeait à le masturber et à lui sucer la verge, et agissait de manière identique à son égard, notamment lorsqu'ils regardaient des films pornographiques télévisés ; qu'en 1989, alors âgé de 13 ans, il l'avait contraint à le sodomiser à quatre ou cinq reprises et, enfin, qu'il l'avait obligé à avoir avec sa mère cinq ou six rapports sexuels contre leur gré, alors qu'il se masturbait à côté d'eux ;
Attendu que ces faits, commis par un père qui, pour parvenir à ses fins contre la volonté de son fils, a profité du manque de discernement de ce dernier pour abuser de son autorité, caractérisent le crime de viol par contrainte ou par surprise commis par ascendant sur un mineur de 15 ans ;
Que, dès lors, la chambre d'accusation a méconnu le sens et la portée de l'article 332 du Code pénal et que la cassation est encourue ;
Par ces motifs :
CASSE ET ANNULE l'arrêt de la chambre d'accusation de la cour d'appel de Lyon, en date du 20 septembre 1991 mais en ses seules dispositions renvoyant Raymond X... devant le tribunal correctionnel et pour qu'il soit jugé à nouveau conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée :
RENVOIE la cause et les parties devant la chambre d'accusation de la cour d'appel de Dijon ;
REGLANT de juges, et pour le cas où ladite chambre d'accusation déclarerait qu'il y a lieu à accusation contre Raymond X...,
ORDONNE dès à présent que l'accusé sera renvoyé par elle devant la cour d'assises du Rhône.