CASSATION PARTIELLE sur les pourvois formés par :
- le Centre départemental des jeunes agriculteurs de la Marne (CDJA),
- la Fédération départementale des syndicats d'exploitants agricoles de la Marne (FDSEA),
parties civiles,
contre l'arrêt de la cour d'appel de Reims, chambre correctionnelle, du 7 mars 1991 qui, dans les poursuites engagées contre Guy X... et Patrick X... pour les délits d'exploitation de terres malgré un refus d'autorisation d'exploiter et d'omission de souscrire une demande d'autorisation d'exploiter, a constaté la prescription de l'action publique sur le premier chef de prévention, a relaxé les prévenus de la seconde infraction et a débouté les parties civiles de leurs demandes.
LA COUR,
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que Guy et Patrick X... ont été poursuivis pour avoir, d'une part, à Montbre, Champfleury, Villers-Allerand, Rilly-la-Montagne, de janvier 1986 à janvier 1989, exploité des terres constituant auparavant l'exploitation de MM. Emile et Jules Y... en dépit d'un refus d'autorisation d'exploiter pris par arrêté préfectoral en date du 19 décembre 1984 et, d'autre part, à Montbre, courant 1988 et jusqu'au 20 janvier 1989, omis de souscrire la demande d'autorisation d'exploiter prévue à l'article 188-2 du Code rural pour les terres situées à Montbre, et Villers-Allerand appartenant à Mme Z...et exploitées par Robert A..., infractions prévues et réprimées par l'article 188-9 du Code rural ;
En cet état :
Sur le second moyen de cassation : (sans intérêt) ;
Mais, sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 188-2, 188-7, 188-9. II et 188-9-1 du Code rural, dans leur rédaction alors en vigueur, 8 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motif, manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué, statuant sur le premier chef de la poursuite, a, par confirmation du jugement attaqué, constaté la prescription de l'action publique et de toutes actions de ce chef, à savoir l'exploitation de terres malgré refus d'autorisation ;
" aux motifs que suivant l'article 188-9-1 du Code rural, dans sa rédaction résultant de la loi du 4 juillet 1980, toutes les actions exercées en application du contrôle des structures des exploitations se prescrivent par 3 ans, cette prescription courant à partir du jour où a commencé l'exploitation irrégulière ou interdite ; que la citation fixe en janvier 1986 le début d'exploitation litigieuse ; que s'agissant d'une infraction instantanée, la prescription triennale était donc acquise lors des assignations délivrées le 3 mars 1990 ; qu'en effet les mises en demeure adressées le 5 octobre 1988 par le préfet ne constituaient pas des actes de poursuite qui eussent pu interrompre la prescription ; que le premier acte de poursuite est constitué par les instructions du Parquet avec transmission du dossier pour enquête le 2 février 1989 ; qu'à cette date l'action publique, relative à l'exploitation litigieuse commencée en janvier 1986, était déjà éteinte ;
" alors que, d'une part, le fait réprimé par l'article 188-9. II du Code rural, d'exploiter en dépit d'un refus d'autorisation d'exploiter devenu définitif constitue une infraction continue qui se renouvelle aussi longtemps que se maintient l'exploitation illicite, de sorte que la prescription ne peut courir que du jour où l'état délictueux a pris fin ; que dès lors en statuant comme elle l'a fait, et en retenant qu'il s'agissait d'une infraction instantanée, la cour d'appel a violé le texte susvisé et l'article 8 du Code de procédure pénale ;
" alors que, d'autre part, en vertu de l'article 188-9-1 du Code rural, la prescription court à partir du jour où a commencé l'exploitation irrégulière ou interdite ; que ce texte vise nécessairement la mise en valeur de l'ensemble des parcelles pour lesquelles une autorisation administrative de cumul ou d'exploiter a été sollicitée et refusée ou pour lesquelles le prévenu s'est abstenu de solliciter une quelconque autorisation ; qu'en l'espèce, il résulte des constatations mêmes de l'arrêt que les 52 hectares 69 ares ayant fait l'objet de l'arrêté de refus d'autorisation du 19 décembre 1984 ont été mis en valeur par Patrick X... dans le cadre de plusieurs baux que les consorts Y... lui ont successivement consentis, avec effet à compter respectivement des 1er septembre 1985, 1er septembre 1987 et 1er septembre 1988 ; que dès lors les terres visées par l'arrêté de refus d'autorisation visé à la poursuite n'ont été effectivement exploitées dans leur ensemble qu'à compter du 1er septembre 1988, de sorte qu'à la date du premier acte de l'instruction retenu par l'arrêt (2 février 1989), la prescription n'était pas acquise ;
" alors, enfin, que l'acte par lequel le préfet, ayant constaté que l'intéressé n'avait pas déféré à la mise en demeure de faire cesser l'infraction à la réglementation sur les cumuls ou le contrôle des structures, lui notifie qu'il transmet le dossier au procureur de la République est de nature à interrompre la prescription triennale ; que, dès lors en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel, de ce chef également, n'a pas justifié sa décision " ;
Vu lesdits articles ;
Attendu qu'il résulte de l'article 188-9-1. I du Code rural que le délit d'exploitation de terres malgré un refus d'autorisation d'exploiter est une infraction instantanée qui se prescrit par 3 années révolues à partir du jour où commence l'exploitation interdite, indépendamment de la permanence de ses effets ; que la détermination par les juges du fond de la date de début d'exploitation n'est souveraine que si les motifs sur lesquels ils se fondent ne contiennent ni insuffisance ni contradiction ;
Attendu que pour déclarer prescrite l'action publique du chef de la première infraction, les juges du second degré, après avoir rappelé les dispositions du texte précité, énoncent que " la citation fixe à janvier 1986 le début d'exploitation litigieuse " et que, " s'agissant d'une infraction instantanée, la prescription triennale était donc acquise lors des assignations délivrées le 3 mars 1990 ", le premier acte de poursuite portant la date du 2 février 1989, et les mises en demeure adressées le 5 octobre 1988 par le préfet de la Marne aux prévenus ne constituant pas un acte de poursuite susceptible d'interrompre la prescription ;
Attendu cependant que l'arrêt attaqué constate également que suivant notamment trois baux en date des 1er septembre 1987 et 5 septembre 1988, Patrick X..., auquel avait été refusée, par arrêté préfectoral du 19 décembre 1984, l'autorisation d'exploiter des terres mises en valeur par Emile et Jules Y..., a pris à ferme, à compter respectivement des 1er décembre 1987 et 1er septembre 1988, d'une part 9 hectares, 94 ares et 60 centiares de terres situées à Montbre et Champfleury et appartenant à Emile et Jules Y..., et, d'autre part, 18 hectares, 48 ares et 88 centiares de terres situées à Villers-Allerand et Montbre et appartenant à Jules Y..., ainsi que 5 hectares, 3 ares et 67 centiares de terres situées également à Montbre et Villers-Allerand et appartenant à Alice Y... ;
Mais attendu qu'en situant le début de l'exploitation litigieuse au mois de janvier 1986 tout en relevant qu'aux termes des baux précités, cette exploitation n'avait commencé, pour les terres qui en faisaient l'objet, que les 1er décembre 1987 et 1er septembre 1988, les juges d'appel ont méconnu le texte et le principe susénoncés et privé leur décision de base légale ;
D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;
Par ces motifs :
CASSE ET ANNULE, mais quant aux intérêts civils seulement, l'arrêt de la cour d'appel de Reims du 7 mars 1991, en ce qu'il a statué sur la prévention d'exploitation de terres malgré un refus d'autorisation d'exploiter, toutes autres dispositions dudit arrêt étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau jugé conformément à la loi, dans la limite de la cassation ainsi prononcée :
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Nancy.