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09/12/1991 | FRANCE | N°91-80297

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 09 décembre 1991, 91-80297


REJET des pourvois formés par :
- X... Daniel,
- Y... Jean-Louis,
contre l'arrêt de la cour d'appel de Besançon, chambre correctionnelle, en date du 18 décembre 1990, qui les a condamnés, le premier pour abus de biens sociaux, faux et usage de faux en écriture de commerce, à 24 mois d'emprisonnement dont 19 mois avec sursis et 10 000 francs d'amende, le second pour faux en écriture de commerce, à 8 mois d'emprisonnement avec sursis et 20 000 francs d'amende.
LA COUR,
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu les mémoire produits ;
Sur le premier

moyen de cassation proposé par Daniel X... et pris de la violation des articles...

REJET des pourvois formés par :
- X... Daniel,
- Y... Jean-Louis,
contre l'arrêt de la cour d'appel de Besançon, chambre correctionnelle, en date du 18 décembre 1990, qui les a condamnés, le premier pour abus de biens sociaux, faux et usage de faux en écriture de commerce, à 24 mois d'emprisonnement dont 19 mois avec sursis et 10 000 francs d'amende, le second pour faux en écriture de commerce, à 8 mois d'emprisonnement avec sursis et 20 000 francs d'amende.
LA COUR,
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu les mémoire produits ;
Sur le premier moyen de cassation proposé par Daniel X... et pris de la violation des articles 425. 4° et 357-1 et suivants de la loi du 24 juillet 1966 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, défaut de réponse à conclusions et manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a dit X... coupable en tant que gérant des sociétés SEI et SMI de faits constitutifs d'abus de biens sociaux ;
" aux motifs que la seule circonstance d'avoir fait établir un bilan consolidé entre les sociétés concernées et d'avoir effectué les déclarations de cessation de paiement de ces sociétés à la même époque est insuffisante pour établir l'existence d'un groupe de sociétés, notion qui n'est admise qu'avec beaucoup de précaution par la jurisprudence et qu'il n'est pas établi que les faits reprochés aient eu pour but d'apporter un résultat positif au prétendu groupe ;
" alors, d'une première part, que l'existence de comptes consolidés implique nécessairement que les sociétés concernées appartiennent à un même groupe ;
" alors, de deuxième part, qu'en se bornant, pour écarter la réalité d'un groupement de sociétés d'intérêt commun, dont l'existence avait été invoquée par les conclusions de la défense pour justifier les opérations incriminées au regard de l'ensemble des sociétés du groupe, à statuer par voie de disposition générale et en refusant de rechercher, comme l'y invitaient pourtant ces mêmes conclusions, au vu des circonstances concrètes de l'espèce si la consistance et la portée des relations entre les sociétés concernées étaient de nature à caractériser un groupement de sociétés, la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de base légale et d'un défaut de réponse à conclusions ;
" alors, enfin, que le délit d'abus des biens de la société implique, pour être caractérisé, à la fois, que l'usage incriminé soit contraire à l'intérêt social et qu'il soit effectué dans un but personnel intéressé ; qu'il implique, également, qu'au moment de l'accomplissement des faits, l'auteur ait eu conscience de leur caractère abusif et de l'avantage personnel qu'il en retirait ; que faute d'avoir relevé des circonstances de fait de nature à établir ces éléments constitutifs du délit poursuivi, l'arrêt attaqué n'est pas légalement justifié " ;
Attendu qu'il appert de l'arrêt attaqué que Daniel X..., gérant de deux sociétés à responsabilité limitée, dénommées Société d'équipements industriels (SEI) et Société de mécanique industrielle (SMI), est poursuivi notamment pour abus de biens de ces sociétés ; qu'il lui est essentiellement reproché d'avoir favorisé l'une au détriment de l'autre en opérant entre elles divers transferts de fonds sans justification, d'avoir utilisé les salariés de la SEI sur les chantiers de la SMI et d'une autre société (ACMI) dont il était également le gérant et d'avoir réglé, avec les fonds sociaux, des dépenses personnelles et des dettes d'un fonds de commerce qu'il exploitait ;
Attendu que pour écarter l'argumentation du prévenu, reprise au moyen, prétendant que le déséquilibre des échanges opérés entre ces diverses sociétés était justifié par l'intérêt du groupe qu'elles constituaient entre elles et dont l'existence était attestée par l'établissement d'un bilan consolidé et par la simultanéité des déclarations de leur cessation des paiements, les juges du second degré énoncent que les circonstances ainsi alléguées ne suffisent pas à établir l'existence d'un groupe de sociétés de nature à justifier les faits poursuivis ; que les opérations critiquées étaient effectuées, au profit d'une société et au préjudice d'une autre, au gré des circonstances, sans plan d'ensemble ni justification économique, à la faveur du désordre régnant dans les comptabilités respectives des entreprises ; qu'elles tendaient à masquer la réalité de leur situation désastreuse qui devait aboutir à la cessation de leurs paiements peu de temps après leur création malgré les aides publiques dont certaines avaient bénéficié ;
Que les juges ajoutent que la notion de groupe est manifestement étrangère aux règlements incriminés opérés dans l'intérêt personnel du prévenu ;
Attendu qu'en l'état de ces constatations et énonciations qui relèvent de leur pouvoir souverain d'appréciation des faits et circonstances de la cause, contradictoirement débattus, les juges ont donné une base légale à leur décision sans encourir aucun des griefs allégués ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Sur le second moyen de cassation proposé par le même demandeur et pris de la violation des articles 147 et 150 du Code pénal, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a reconnu établi, à l'encontre de X..., le délit de faux et usage de faux, tant en ce qui concerne les bilans des sociétés SEI, SMI et ACMI qu'en ce qui concerne les déclarations de TVA de la SARL ACMI ;
" alors, d'une part, que la cour d'appel ne pouvait, sans se contredire, affirmer que les facturations concernant des prestations de service effectuées par la société ACMI aux sociétés SEI et SMI et reprises ensuite dans le bilan constituaient des faux et constater, en même temps, qu'il résulte des éléments du dossier que les prestations entre les sociétés ont bien existé ;
" alors, d'autre part, qu'aussi bien en ce qui concerne les faux ayant trait au bilan, que ceux ayant trait aux déclarations de TVA, l'arrêt attaqué ne relève aucune circonstance de fait de nature à établir les éléments constitutifs tant matériels qu'intentionnel des délits poursuivis " ;
Et sur le moyen unique de cassation proposé par Jean-Louis Y... et pris de la violation des articles 147, 150 du Code pénal, 485 et 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Y... coupable du délit de faux en écriture privée, de commerce et de banque en falsifiant les chiffres des bilans des sociétés SEI, SMI et ACMI au 31 mai 1985, et de l'avoir en répression condamné à une peine de 8 mois d'emprisonnement avec sursis et 20 000 francs d'amende ;
" aux motifs que l'examen des comptes des trois sociétés démontre qu'il régnait une complète confusion dans leurs patrimoines respectifs et que le cabinet de comptabilité de Jean-Louis Y... avait été chargé d'établir et d'arrêter la comptabilité de chacune d'entre elles ; que Joël Z... a indiqué aux enquêteurs que le bilan arrêté au 31 mai 1985 avait été établi par ce cabinet d'expertise comptable ; qu'au cours de la réunion qui s'est tenue au cabinet Y..., les premiers résultats faisaient apparaître les postes suivants : pour la SEI, la somme de 174 000 francs, pour la société SMI, celle de 5 273 600 francs et pour la société ACMI celle de 6 653 000 francs ; que Daniel X... a voulu que le résultat ne soit pas trop catastrophique pour cette dernière société, et qu'il a décidé de facturer aux deux autres sociétés des prestations de service qui ont été en définitive de 1 875 000 francs pour la SEI et 270 000 francs pour la SMI ; que Jean-Louis Y... a reconnu être l'auteur d'un brouillon où figurent les opérations qui précèdent ; qu'il a d'ailleurs indiqué, le 11 août 1987 : " il ne s'agissait pas d'une facturation précise, à mon avis, il s'agissait d'avances ou d'acomptes sur facturation " ; que Daniel X... a précisé devant le juge d'instruction avoir cherché à se rapprocher le plus possible de la réalité, finissant toutefois par admettre que les bilans des trois sociétés contenaient des éléments comptables inexacts ; que, devant la Cour, Jean-Louis Y... a déclaré avoir arrêté les bilans des entreprises en question en prévision de leur dépôt devant la juridiction commerciale, qu'il devait régulariser les prestations inter-sociétés qui avaient été effectivement effectuées, mais que rien n'avait été arrêté lors de la réunion ; qu'il résulte des éléments du dossier que les prestations entre les sociétés ont bien existé, ce qui est, en outre, reconnu par les prévenus ; que, selon Daniel X... et Joël Z..., les comptabilités étaient mal tenues, ne retraçant pas les échanges intervenus entre elles ; que dans ces conditions, Jean-Louis Y..., qui, au cours de la réunion tenue dans son cabinet, avait compris que les chiffres fournis n'étaient pas certains, ne pouvait pas affirmer que le bilan était sincère et véritable ;
" alors, d'une part, que les seuls faits reprochés à Y... consistant à avoir établi les bilans des trois sociétés, en tenant compte des factures présentées par la société ACMI aux sociétés SEI et SMI pour les sommes respectives de 1 875 000 francs et 270 000 francs correspondant à des prestations dont l'arrêt lui-même constate qu'elles ont bien existé, la cour d'appel ne pouvait déclarer le délit de faux en écriture de commerce caractérisé dès lors que les facturations litigieuses ne constituaient pas, en l'absence de toute falsification matérielle, des mentions inexactes portées aux bilans ; qu'ainsi l'arrêt est entaché d'une violation des textes précités ;
" alors, d'autre part, que la cour d'appel ne pouvait, sans se contredire, considérer que le faux en écriture de commerce résultait de l'établissement des bilans, en tenant compte des factures présentées par la société ACMI aux sociétés SEI et SMI, tout en reconnaissant expressément par ailleurs que ces facturations correspondaient à des prestations réelles, ce qui impliquait qu'elles devaient impérativement figurer dans ces bilans ; qu'ainsi les condamnations prononcées reposent sur des motifs contradictoires ;
" alors, encore, que la cour d'appel ne pouvait retenir la culpabilité du prévenu en affirmant qu'il avait reconnu être l'auteur d'un brouillon où figurent les opérations qui précèdent (premiers résultats faisant apparaître pour la SEI la somme de 174 000 francs, pour la SMI, celle de 5 273 600 francs, pour la ACMI, celle de 6 653 000 francs et facturation par ACMI à SEI et SMI pour les sommes respectives de 1 875 000 francs et 270 000 francs), le brouillon litigieux (cote D. 212) dont Y... n'a jamais contesté être l'auteur, comportant des chiffres radicalement différents ; qu'ainsi l'arrêt est entaché d'une dénaturation des déclarations du prévenu ; qu'il en va d'autant plus ainsi, que l'affirmation de l'intéressé retenue par les juges du fond, et selon laquelle il ne s'agissait pas d'une facturation précise, à mon avis, il s'agissait d'avances ou d'acomptes sur facturation, ne concerne nullement les chiffres précités, mais est relative aux virements de fonds faits régulièrement par la SEI à la ACMI ; qu'ainsi les condamnations prononcées ne sont pas légalement justifiées ;
" alors par ailleurs, que la cour d'appel ne pouvait retenir la culpabilité de Y... sans répondre au préalable à ses conclusions faisant valoir, d'une part, que le brouillon retenu contre lui n'était pas démonstratif de sa culpabilité, puisqu'il ne comportait aucun élément repris dans la comptabilité définitive, et d'autre part, que les factures litigieuses par la société ACMI, et non par lui-même qu'il n'avait pas à vérifier, correspondaient à des chantiers qui avaient bien existé, ce qui était exclusif du délit ;
" alors, et en toute hypothèse, que la cour d'appel, qui se borne à fonder la culpabilité de Y... sur l'existence d'un brouillon dont il n'a pas contesté être l'auteur, ne pouvait estimer le délit caractérisé sans rechercher et constater que les chiffres des bilans, notamment le bilan ACMI, déposés devant le tribunal de commerce correspondaient à ceux figurant sur le brouillon litigieux ; qu'ainsi la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision ;
" alors, enfin, que l'arrêt ne caractérise aucune circonstance de fait de nature à établir les éléments constitutifs tant matériels qu'intentionnel du délit de faux bilans des SARL SEI, SMI et ACMI " ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu qu'il résulte des constatations de l'arrêt attaqué et du jugement dont il adopte les motifs que, pour l'établissement des bilans des trois sociétés dont il était le gérant, X... a fourni à Y..., expert-comptable, des données chiffrées qu'il a modifiées, à plusieurs reprises, pour minorer les pertes affectant l'une des sociétés ; que ces manipulations apparaissent dans un document manuscrit établi par Y... sur les indications de X... ;
Attendu que, pour déclarer Y... coupable de faux et X... de faux et usage de faux en écriture de commerce, l'arrêt attaqué retient que Y..., qui a reconnu avoir arrêté les bilans en prévision de leur dépôt devant la juridiction commerciale, savait que les chiffres fournis n'étaient pas certains ; que les juges relèvent que X... a admis, tant au cours de l'enquête de police que devant le juge d'instruction, que les chiffres avaient été manipulés de sorte que la situation d'une des sociétés apparût moins compromise et que les trois bilans contenaient des éléments comptables inexacts ;
Attendu qu'en l'état de ces constatations et énonciations, exemptes de contradiction, déduites d'une appréciation souveraine des faits de la cause et qui caractérisent en tous leurs éléments constitutifs tant matériels qu'intentionnel les délits retenus à la charge des prévenus, la cour d'appel a justifié sa décision, sans encourir aucun des griefs allégués ;
Que, dès lors, les moyens ne sauraient être accueillis ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE les pourvois.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 91-80297
Date de la décision : 09/12/1991
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Criminelle

Analyses

SOCIETE - Société à responsabilité limitée - Abus de biens sociaux - Eléments constitutifs - Usage des biens d'une société dans l'intérêt d'une autre - Fait justificatif - Intérêt du groupe - Conditions

L'établissement d'un bilan consolidé entre diverses sociétés à responsabilité limitée et la simultanéité des déclarations de cessation de leurs paiements ne suffisent pas à établir l'existence d'un groupe de sociétés de nature à justifier les opérations par lesquelles leur dirigeant commun a favorisé l'une au détriment des autres, dès lors que ces actes ont été effectués au gré des circonstances, sans plan d'ensemble ni intérêt économique, à la faveur du désordre régnant dans les comptabilités respectives des entreprises et qu'ils tendaient à masquer la réalité de leur situation compromise (1).


Références :

Loi 66-537 du 24 juillet 1966 art. 357-1, 425

Décision attaquée : Cour d'appel de Besançon (chambre correctionnelle), 18 décembre 1990

CONFER : (1°). (1) Cf. Chambre criminelle, 1985-02-04 , Bulletin criminel 1985, n° 54, p. 145 (rejet).


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 09 déc. 1991, pourvoi n°91-80297, Bull. crim. criminel 1991 N° 467 p. 1194
Publié au bulletin des arrêts de la chambre criminelle criminel 1991 N° 467 p. 1194

Composition du Tribunal
Président : Président :M. Le Gunehec
Avocat général : Avocat général :M. Perfetti
Rapporteur ?: Rapporteur :M. Souppe
Avocat(s) : Avocats :la SCP Rouvière, Lepître et Boutet, la SCP Waquet, Farge et Hazan

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:1991:91.80297
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