CASSATION sur le pourvoi formé par :
- la société industrielle et financière Bertin, partie civile,
contre l'arrêt de la chambre d'accusation de la cour d'appel de Paris, en date du 23 février 1990, qui a déclaré irrecevable sa plainte avec constitution de partie civile déposée contre Michel X... du chef d'infraction à la loi sur les sociétés.
LA COUR,
Vu l'article 575, alinéa 2.2°, du Code de procédure pénale ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le moyen unique de cassation pris de la violation de l'article 437.2° de la loi du 24 juillet 1966, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale :
" en ce que l'arrêt a déclaré irrecevable la constitution de partie civile de la SFIB ;
" aux motifs qu'aux termes de l'article 437.2° de la loi du 24 juillet 1966 modifiée par la loi du 30 avril 1983 est sanctionné, notamment, le président d'une société anonyme qui aura sciemment publié ou présenté aux actionnaires, en vue de dissimuler la véritable situation de la société, des comptes annuels inexacts ;
" que cette loi a pour but de protéger les associés ou les créanciers sociaux ; que cette protection ne saurait s'étendre à des tiers qui, au jour de la présentation ou de la publication des comptes annuels inexacts, n'auraient avec la société concernée aucun lien de droit ;
" qu'en l'espèce, SIFB n'est devenue actionnaire de la société Delattre-Levivier que le 20 novembre 1986, soit postérieurement à l'assemblée générale du 30 juin 1986 ; qu'il n'est même pas allégué qu'avant cette date, elle se soit trouvée créancière de la société Delattre-Levivier, ou ait été titulaire d'un droit opposable à celle-ci ;
" que dès lors, la société appelante ne peut invoquer un préjudice direct né de l'infraction visée par la plainte ;
" alors que le délit prévu par l'article 437.2° de la loi du 24 juillet 1966 prévoit non seulement la présentation aux actionnaires d'un bilan inexact, mais également la publication d'un tel bilan, laquelle peut être préjudiciable à des tiers par la dissimulation qui leur est faite de la véritable situation de la société ;
" qu'il résulte des énonciations de l'arrêt que la quasi-intégralité des actions de la société Delattre-Levivier a été cédée le 20 novembre 1986 par les syndics de la société Creusot-Loire qui en était la propriétaire ; qu'à l'appui de sa plainte, la SIFB faisait valoir que des investigations comptables postérieures à l'acquisition avaient révélé que les comptes sociaux publiés des exercices antérieurs à la cession des actions, et notamment le bilan de l'exercice 1985, étaient inexacts et minimisaient le passif de la société ;
" que la publication antérieure de la cession de bilans inexacts pouvant être préjudiciable à l'acquéreur des actions de la société Delattre-Levivier dès lors que les comptes annuels de la société Delattre-Levivier publiés antérieurement à la cession des actions de cette société avaient été nécessairement pris en considération pour la détermination du prix des actions, la cour d'appel ne pouvait déclarer la plainte irrecevable sans violer les textes visés au moyen " ;
Vu lesdits articles, ensemble les articles 2, 3 et 87 du Code de procédure pénale ;
Attendu que, pour qu'une constitution de partie civile soit recevable devant la juridiction d'instruction, il suffit que les circonstances sur lesquelles elle s'appuie permettent au juge d'admettre comme possible l'existence du préjudice allégué et la relation directe de celui-ci avec une infraction à la loi pénale ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que la société industrielle et financière Bertin, dite SIFB, actionnaire de la société Delattre-Levivier, a déposé plainte avec constitution de partie civile du chef de présentation et publication de bilan inexact contre Michel X..., ancien président du conseil d'administration de la société Delattre-Levivier ; que le juge d'instruction a déclaré cette plainte irrecevable ;
Attendu que, pour confirmer cette décision, la chambre d'accusation, après avoir énoncé que la loi sur les sociétés avait pour but de protéger " les associés et les créanciers sociaux " et que cette protection " ne saurait s'étendre à des tiers qui, au jour de la présentation ou de la publication des comptes annuels inexacts, n'auraient eu avec la société concernée aucun lien de droit ", relève qu'en l'espèce la SIFB n'est devenue actionnaire que le 20 novembre 1986, soit postérieurement à l'assemblée générale du 30 juin 1986 où avait été présenté le bilan critiqué, et que, dès lors, elle ne pouvait invoquer un préjudice " direct, né de l'infraction visée dans la plainte " ;
Mais attendu qu'en statuant ainsi alors que, dans sa plainte, la SIFB faisait état de ce que le bilan qu'elle critiquait avait servi de base à l'évaluation des actions qu'elle était sur le point d'acheter, la chambre d'accusation a méconnu le principe ci-dessus rappelé ;
D'où il suit que l'arrêt encourt la censure ;
Par ces motifs :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions l'arrêt de la chambre d'accusation de la cour d'appel de Paris du 23 février 1990 ;
Et pour qu'il soit à nouveau jugé conformément à la loi :
RENVOIE la cause et les parties devant la chambre d'accusation de la cour d'appel d'Amiens.