CASSATION sur le pourvoi formé par :
- X... Lucienne, épouse Y...,
contre l'arrêt de la cour d'appel de Chambéry, chambre correctionnelle, en date du 14 mars 1990, qui, pour infractions à l'article L. 221-17 du Code du travail, l'a condamnée à 22 amendes d'un montant de 5 000 francs chacune et à 13 amendes d'un montant de 6 000 francs chacune.
LA COUR,
Vu le mémoire produit ;
Sur le premier moyen de cassation pris de la violation des articles 30, 85 et 177 du traité de Rome, L. 221-17, alinéa 1er, du Code du travail, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a condamné la demanderesse à 22 amendes de 5 000 francs et 13 amendes de 6 000 francs et a refusé de surseoir à statuer sur les questions préjudicielles posées ;
" aux motifs que la Cour n'estime pas devoir poser de questions préjudicielles, compte tenu de l'application immédiate sur le territoire français des dispositions de la législation européenne ; que la Cour recherche elle-même si cette législation est susceptible de s'opposer aux dispositions de l'article 30 ; que cet article fait état des restrictions quantitatives à l'importation, ainsi que de toutes mesures équivalentes, lesquelles sont interdites entre Etats membres ; qu'il apparaît évident que l'impossibilité pour la prévenue d'ouvrir son magasin le dimanche, et donc de vendre, ne l'empêche pas d'importer ce qu'elle entend ; qu'indépendamment du fait que la législation violée, d'origine sociale, est en parfaite harmonie avec les textes communautaires de même origine (puisqu'il s'agit en l'espèce de repos hebdomadaire et non d'activité commerciale) le texte taxé d'illégalité n'est nullement porteur de discrimination, et ne peut donc être soumis à la censure des textes communautaires ;
" alors que, selon l'article 177 du traité de Rome, le juge français est incompétent pour interpréter le Traité et les actes pris par les organes de la Communauté européenne, et doit surseoir à statuer chaque fois qu'il est saisi d'un litige, dont la solution suppose une telle interprétation ; qu'en refusant de surseoir à statuer et de saisir la Cour de justice des Communautés européennes par voie préjudicielle, sans procéder à l'interprétation des articles 30 et 85 du traité de Rome et sans rechercher si les textes, qui posaient une difficulté sérieuse, étaient compatibles avec la législation française, la Cour n'a pas légalement justifié sa décision " ;
Attendu que, contrairement à ce que soutient la demanderesse, c'est à bon droit que la cour d'appel, saisie des poursuites exercées sur le fondement de l'article L. 221-17 du Code du travail contre Lucienne X..., épouse Y..., gérante d'un magasin d'ameublement, a estimé qu'il n'y avait pas lieu de saisir la Cour de justice des Communautés européennes du recours en interprétation visé au moyen ; qu'en effet, le texte précité n'est pas incompatible avec les dispositions de l'article 30 du traité de Rome qui interdisent les restrictions quantitatives à l'importation ainsi que les mesures d'effet équivalent ;
Qu'il s'ensuit que le moyen ne saurait être admis ;
Mais sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 5 du Code civil, L. 221-17 et R. 262-1 du Code du travail, de l'arrêté du 5 janvier 1982 du préfet de la Haute-Savoie, de l'article 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a condamné Mme Y... du chef d'infraction à la législation concernant le repos hebdomadaire ;
" au seul motif que la Cour se réfère à ses précédents arrêts du 9 octobre 1986 et aux arrêts de la chambre criminelle de la Cour de Cassation du 22 novembre 1988, rejetant les pourvois formés par la demanderesse ;
" alors que, d'une part, il est défendu aux juges de se prononcer par voie de disposition générale et réglementaire sur les causes qui lui sont soumises ; que méconnaît ce principe la cour d'appel qui se borne à invoquer une précédente décision, et s'abstient de toute motivation sur la légalité de l'arrêté du 5 janvier 1982 ; qu'ainsi la cour d'appel a violé l'article 5 du Code civil ;
" alors que, d'autre part, la cour d'appel n'a pas répondu au chef péremptoire des conclusions d'appel de la demanderesse, soulignant que l'infraction n'était pas constituée dans la mesure où la demanderesse exerce non seulement la profession de négociant de meubles, mais également celle d'ébéniste qui n'est pas visée par l'arrêté préfectoral " ;
Vu lesdits articles ;
Attendu, d'une part, qu'il est fait défense aux juges de se prononcer par voie de disposition générale et réglementaire sur les causes qui leur sont soumises ;
Attendu, d'autre part, que tout jugement ou arrêt doit contenir les motifs propres à justifier la décision ; que les juges sont tenus de répondre aux chefs péremptoires des conclusions dont ils sont saisis ;
Attendu qu'il ressort de l'arrêt attaqué que Lucienne X..., épouse Y... a été poursuivie pour avoir, en 1988, contrevenu à un arrêté du préfet du département de la Haute-Savoie, en date du 5 janvier 1982, prescrivant la fermeture, au public, le dimanche, de tous les établissements du département, spécialisés dans la vente de meubles, d'articles d'ameublement et de literie ;
Attendu que la prévenue a régulièrement contesté la légalité de cet arrêté, lui faisant grief de n'avoir pas entériné un accord intersyndical régulièrement conclu entre professionnels de l'ameublement ; qu'elle a aussi soutenu que l'arrêté en cause ne lui était pas opposable, dès lors que dans son établissement étaient effectués des travaux d'ébénisterie qui n'entraient pas dans l'énumération des activités professionnelles visées par l'acte réglementaire en cause ;
Attendu que, pour écarter cette argumentation et dire la prévention établie, la cour d'appel se borne à énoncer que la légalité de l'arrêté préfectoral du 5 janvier 1982 ne peut être contestée et à se référer, sur cette question, " à ses précédentes décisions du 9 octobre 1986 " et " aux arrêts de la chambre criminelle en date du 22 novembre 1988 " ;
Mais attendu qu'en se déterminant par ces motifs, les juges du second degré, qui se sont abstenus de répondre aux chefs péremptoires des conclusions dont ils étaient saisis, ont méconnu les principes ci-dessus rappelés ;
Qu'il s'ensuit que la cassation est encourue de ce chef ;
Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu d'examiner le troisième moyen de cassation proposé :
CASSE ET ANNULE en toutes ses dispositions l'arrêt de la cour d'appel de Chambéry en date du 14 mars 1990, et pour qu'il soit à nouveau jugé conformément à la loi :
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Lyon.