CASSATION sur le pourvoi formé par :
- X... Gilles,
contre l'arrêt de la cour d'appel de Douai, chambre correctionnelle, en date du 31 janvier 1990 qui, pour abus de confiance, l'a condamné à 15 mois d'emprisonnement et à 50 000 francs d'amende, et a statué sur les intérêts civils.
LA COUR,
Vu le mémoire produit ;
Sur le moyen unique de cassation pris de la violation des articles 406 et 408 du Code pénal, 1984 du Code civil, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut et insuffisance de motifs, manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré X... coupable d'abus de confiance et l'a condamné à 15 mois d'emprisonnement et à 50 000 francs d'amende ;
" aux motifs que X... avait utilisé à des fins personnelles les sommes versées par ses clients au titre des contrats-obsèques ; que ces contrats, ayant pour objet l'accomplissement d'un certain nombre d'actes spécifiques lors du décès du client et consistant notamment à procéder pour son compte à diverses opérations expressément définies au contrat et à en rémunérer le coût au moyen de la somme qui avait été remise à cet effet, constituaient des mandats ; que la circonstance qu'aucun souscripteur ou aucun de ses ayants droit n'aurait invoqué un quelconque préjudice, ne saurait empêcher le délit d'être constitué, un préjudice éventuel suffisant à caractériser l'infraction ; qu'il est acquis qu'à la date à laquelle ses engagements ont été repris par une entreprise cessionnaire, X... était dans la totale impossibilité de restituer, ne fût-ce que pour partie, les sommes qu'il était censé devoir encore détenir en vertu des mandats ;
" alors que les contrats-obsèques conclus entre X... et ses clients s'analysaient non en des mandats mais en des contrats d'entreprise, les sommes versées par les clients constituant le paiement à l'avance de la prestation de services, objet du contrat ; que, dès lors, X... pouvait disposer librement de ces sommes dont il était propriétaire ; qu'en le déclarant néanmoins coupable d'abus de confiance, la cour d'appel a violé les textes visés au moyen ;
" alors, au surplus, que l'abus de confiance suppose que le prévenu ait manqué à ses obligations contractuelles ; qu'en l'espèce il est constant que tous les contrats conclus par X... ont été honorés soit par lui-même, soit par son successeur ; que, dès lors, aucune infraction ne saurait lui être reprochée ; qu'en le condamnant néanmoins pour abus de confiance, la cour d'appel a violé les textes visés au moyen ;
" alors, en toute hypothèse, qu'à supposer que X... ait manqué à ses obligations envers deux clients, en omettant de payer à une entreprise de marbrerie des travaux déjà réglés par eux, un tel manquement n'aurait pu constituer un abus de confiance, que s'il avait été délibéré ; qu'en s'abstenant de relever qu'il en avait été ainsi, la cour d'appel n'a pas caractérisé l'élément intentionnel du délit et a privé sa décision de base légale au regard des textes visés au moyen " ;
Vu lesdits articles ;
Attendu, d'une part, que le délit d'abus de confiance n'est légalement constitué que s'il est constaté que les objets, effets ou deniers ont été remis au prévenu en exécution d'un des contrats énumérés à l'article 408 du Code pénal ;
Attendu, d'autre part, que la détermination de la nature du contrat, base des poursuites pour abus de confiance, lorsqu'elle repose sur la dénaturation des clauses d'une convention, est soumise au contrôle de la Cour de Cassation ;
Attendu qu'il appert de l'arrêt attaqué que Gilles X..., exploitant à titre individuel d'une entreprise de pompes funèbres, a fait signer à ses clients, pendant une période d'une dizaine d'années, un " contrat-obsèques " par lequel il s'engageait à régler les frais, évalués approximativement de leurs futures funérailles ; qu'il a ainsi perçu une somme globale de 2 000 000 francs qu'il a dilapidée ainsi qu'il le reconnaît ; qu'après une action en redressement judiciaire, son entreprise a été cédée à une société qui s'est engagée à exécuter les contrats souscrits ; que X... a été poursuivi dans ces conditions pour avoir dissipé des fonds qui ne lui avaient été remis qu'à titre de mandat ;
Attendu que, pour caractériser ce mandat, la cour d'appel relève que les contrats avaient pour objet l'accomplissement d'un certain nombre d'actes spécifiques ressortissant à la profession du prévenu lors du décès des clients et consistaient à exécuter pour le compte de ces derniers ne pouvant agir eux-mêmes diverses prestations expressément définies au devis joint au contrat et à en rémunérer le coût au moyen de la somme remise à cet effet ;
Mais attendu qu'en statuant ainsi, alors que, selon les constatations de l'arrêt, les sommes perçues par le prévenu constituaient une avance sur sa rémunération et que les sanctions édictées par l'article 408 du Code pénal sont inapplicables en cas de dissipation de salaires, honoraires ou rémunérations payées d'avance pour exécuter un travail, la cour d'appel n'a pas donné une base légale à sa décision ;
D'où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions l'arrêt de la cour d'appel de Douai du 31 janvier 1990,
Et pour qu'il soit à nouveau jugé conformément à la loi :
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris.