REJET du pourvoi formé par :
- X...,
- Y...,
- la société Z...,
contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, 11e chambre, en date du 10 mai 1990, qui a condamné les deux premiers à 5 000 francs d'amende chacun ainsi qu'à des réparations civiles pour diffamation publique envers un particulier et complicité et a déclaré la troisième civilement responsable.
LA COUR,
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le premier moyen de cassation pris de la violation des articles 510 et 592 du Code de procédure pénale, R. 213-8 du Code de l'organisation judiciaire, manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué indique que la cour d'appel était composée notamment de : " M. Clavelier, conseiller, maintenu en fonctions (loi du 7 janvier 1988) appelé du service de la bibliothèque, pour composer la Cour, en l'absence du conseiller empêché " ;
" alors que ces mentions, qui ne précisent pas si M. Clavelier a été désigné par ordonnance du premier président de la cour d'appel et s'il était régulièrement affecté au service d'une chambre de la cour d'appel, ne permettent pas à la chambre criminelle de s'assurer de la régularité de la composition de la juridiction qui a rendu la décision attaquée " ;
Attendu que la mention de l'arrêt attaqué, exactement reprise au moyen, implique que le magistrat, membre de la cour d'appel, a été régulièrement appelé pour compléter la juridiction de jugement en l'absence d'un conseiller, affecté à la chambre ;
D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;
Sur le deuxième moyen de cassation pris de la violation des articles 29 de la loi du 19 juillet 1881 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré X... et Y... coupables de diffamation publique envers un particulier et les a condamnés solidairement avec la société Z... à payer à M. A... la somme de 15 000 francs de dommages-intérêts ;
" alors que le seul fait, pour un journaliste, correspondant d'un quotidien français à l'étranger, de donner l'écho d'une polémique agitant le milieu cycliste néerlandais, à l'occasion de laquelle des accusations avaient été préalablement rendues publiques par la presse et la télévision néerlandaise, portant sur des contrôleurs médicaux français du Tour de France accusés d'avoir triché en faveur de certains coureurs cyclistes français, dont la partie civile, en leur conseillant d'abandonner la course pour ne pas être convaincus de dopage, ne saurait être considéré comme une imputation à caractère diffamatoire ; qu'en effet, l'auteur de cet article n'a ni imputé ni allégué un fait attentatoire à l'honneur ou à la considération de la partie civile en ne faisant qu'exercer sa mission d'information du public français sur une polémique mobilisant l'opinion publique néerlandaise, de sorte qu'en statuant comme elle l'a fait la cour d'appel a violé les textes susvisés " ;
Sur le troisième moyen de cassation pris de la violation des articles 29, alinéa 1, et 42 de la loi du 29 juillet 1881, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs :
" en ce que l'arrêt attaqué a condamné X... et Y... solidairement avec la société à payer à M. A... la somme de 15 000 francs à titre de dommages-intérêts ;
" alors que l'imputation diffamatoire est justifiée lorsque son auteur a entendu, sans exagération ni agressivité ou présentation tendancieuse, rapporter des faits à la connaissance des lecteurs, en les ayant préalablement vérifiés dans un souci de prudence ; qu'en révélant, dans l'article litigieux, qu'une polémique intéressant la vie cycliste sportive néerlandaise avait de larges répercussions médiatiques dans ce pays et qu'à cette occasion certaines accusations avaient été publiquement portées contre des coureurs cyclistes français, dont la partie civile, les prévenus n'ont commis ni imprudence ni faute en se bornant à rapporter exactement et sans faire aucun commentaire cette information qu'ils avaient pris soin de vérifier auprès de plusieurs journalistes néerlandais qui l'avaient préalablement rendue publique, mais ont accompli leur strict devoir de journaliste ; qu'en refusant de leur reconnaître le bénéfice de la bonne foi, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision " ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu qu'il appert de l'arrêt attaqué et du jugement qu'il confirme que A... a fait citer devant le tribunal correctionnel X..., directeur de publication du quotidien Libération, et Y..., journaliste, des chefs de diffamation publique envers un particulier et complicité à la suite de la parution du numéro 2350 daté du 9 décembre 1988 dudit périodique d'un article retenu à raison du passage suivant : " De sources sûres, nous savons que E... ne s'est pas conformé au règlement. Son rôle est douteux. Il est clair pour nous qu'il a protégé des coureurs comme A..., B..., C... et D... Il leur a conseillé d'abandonner la course car ils allaient être déclarés positifs lors de prochains contrôles " ;
Attendu que, pour retenir X... et Y... dans les liens de la prévention, les juges énoncent que ces propos insinuent incontestablement que A... se serait dopé pendant la course du Tour de France et portent atteinte à son honneur ou à sa considération ; qu'il n'importe qu'Y... n'ait fait que reproduire les écrits d'autrui, la loi incriminant la publication par voie de reproduction de toute allégation de faits diffamatoires à l'encontre d'une personne ; que les juges observent en outre que si le journaliste avait le droit de relater une controverse entretenue à l'étranger et touchant les contrôles médicaux dans les épreuves sportives, la nécessité d'informer le public ne le dispensait pas du devoir de ne livrer à ses lecteurs que des faits vérifiés et contrôlés ; qu'Y... qui n'a assorti d'aucune réserve le texte qu'il reproduisait et qui a omis d'indiquer que A... avait abandonné le Tour de France pour des raisons médicales précises, a échoué dans l'administration de la preuve de sa bonne foi ;
Attendu qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a fait l'exacte application de la loi ;
Qu'en effet, d'une part, l'imputation ou l'allégation d'un fait déterminé portant atteinte à l'honneur ou à la considération d'une personne entre dans les prévisions de l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881 même si elle est présentée par voie d'insinuation ; que, d'autre part, selon les mêmes dispositions, la reproduction dans un écrit rendu public d'allégations diffamatoires déjà publiées constitue elle aussi une diffamation punissable qui ne saurait être justifiée par le prétendu souci chez le journaliste d'informer le public, dès lors que celui-ci, ainsi que les juges du fond l'ont relevé, n'a pas rapporté la preuve de faits justificatifs de nature à établir sa bonne foi ;
Que les moyens doivent, dès lors, être écartés ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi.