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14/05/1991 | FRANCE | N°90-13135

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 1, 14 mai 1991, 90-13135


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Attendu, selon les énonciations des juges du fond, que Stéphanie, Anna Y..., veuve X..., est décédée le 22 avril 1977, laissant pour seule héritière, Mme Aurélie Y..., sa soeur, mais ayant fait un testament olographe, daté du 14 octobre 1975 et comportant les dispositions suivantes : " Mon intention ferme et définitive est que ma succession soit dévolue à une fondation qui s'intitulera Fondation M. et Mme Dupré. Cette fondation doit, à mes yeux, être reconnue d'utilité publique ; il faut qu'elle soit constituée avant mon décès, afin que je puisse la présider et ass

ister à son organisation et à son fonctionnement ; si, contre toute atten...

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Attendu, selon les énonciations des juges du fond, que Stéphanie, Anna Y..., veuve X..., est décédée le 22 avril 1977, laissant pour seule héritière, Mme Aurélie Y..., sa soeur, mais ayant fait un testament olographe, daté du 14 octobre 1975 et comportant les dispositions suivantes : " Mon intention ferme et définitive est que ma succession soit dévolue à une fondation qui s'intitulera Fondation M. et Mme Dupré. Cette fondation doit, à mes yeux, être reconnue d'utilité publique ; il faut qu'elle soit constituée avant mon décès, afin que je puisse la présider et assister à son organisation et à son fonctionnement ; si, contre toute attente, cette fondation n'était pas créée au moment de mon décès, j'exprime l'intention la plus ferme et la plus précise, pour qu'elle soit constituée à l'issue de mon décès ; qu'elle obtienne la reconnaissance d'utilité publique, et qu'elle accomplisse l'objectif ci-dessus très succinctement défini... ; en conséquence, j'institue pour ma légataire universelle la Fondation M. et Mme François Dupré existant à mon décès ou à créer après celui-ci... " ; que la testatrice a désigné six personnes physiques en qualité d'administrateurs de la fondation et disposé que celle-ci, en sa qualité de légataire universelle, aurait à délivrer les legs particuliers d'immeubles et de sommes d'argent consentis par le même testament ; qu'au décès d'Anne Y..., veuve X..., la fondation n'avait pas été créée ; que le 6 janvier 1978, Mme Aurélie Y... a assigné les six administrateurs désignés par le testament et l'administrateur provisoire de la succession pour faire constater la nullité du legs universel, fait à une fondation non existante au jour du décès de la testatrice, et s'entendre déclarer saisie, de la totalité de la succession en sa qualité de seule héritière du sang, à charge par elle de délivrer les legs particuliers ; que la Fondation de France est intervenue dans l'instance en faisant valoir qu'elle était le seul établissement doté de tous les attributs juridiques et techniques permettant de donner sa pleine efficacité, à la volonté exprimée par la testatrice, et qu'elle était ainsi habile à recevoir le legs universel ; qu'un arrêt du 13 décembre 1984 accueillant l'action en nullité de Mme Aurélie Y..., a dit que la succession litigieuse devait lui être dévolue ; que, par arrêt du 22 juillet 1987, la Cour de Cassation, rejetant le pourvoi en tant que dirigé contre les dispositions de la décision du 13 décembre 1984, qui avaient déclaré nul le legs litigieux, comme fait à une fondation non existante au jour du décès de la disposante, a néanmoins cassé cette même décision, pour avoir dénaturé, par omission, le testament précité du 14 octobre 1975, en faisant abstraction de la volonté expresse de la défunte que soit constituée, après son décès, une fondation reconnue d'utilité publique pour la réalisation de l'objectif ayant motivé son legs ; que Mme Aurélie Y... a soutenu devant la cour d'appel de renvoi que le testament était un faux établi à l'aide d'un décalque ; que l'arrêt attaqué (Dijon, 19 septembre 1989) a rejeté cette demande et a décidé, que pour respecter les dernières volontés de la testatrice, sa soeur, Mme Aurélie Y..., qui était sa seule héritière, devrait, après délivrance des legs particuliers, et, prélèvement de ce qui lui revenait personnellement, remettre le restant de la succession à la

fondation de M. et Mme X..., constituée " selon les modalités testamentaires et les règlements en vigueur " ; que Mme Y... et la Fondation de France ont formé respectivement un pourvoi principal et incident contre cette décision ;

Sur les deux premiers moyens du pourvoi principal, réunis et pris en leurs diverses branches :

Attendu que, Mme Y... fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté sa demande en faux à l'encontre du testament du 14 octobre 1975, en relevant que par suite de la disparition de l'original, et de la production de photocopies dont la fidélité n'était pas assurée, les circonstances de la cause ne permettaient pas d'établir la réalité du faux allégué de sorte que le testament litigieux devait être tenu pour authentique, alors, selon le premier moyen, qu'en statuant ainsi, la cour d'appel n'a pas déduit de ses propres constatations, les conséquences en résultant, de sorte qu'elle a violé l'article 1322 du Code civil ;

Attendu que, Mme Y... reproche aussi à la cour d'appel de l'avoir déclarée tenue de remettre le restant de la succession d'Anna Z..., après prélèvement de legs particuliers, à la Fondation M. et Mme Dupré, alors, selon le second moyen, d'une part, qu'en se déterminant en fonction d'un document produit en photocopie, la cour d'appel a violé l'article 1334 du Code civil ; alors, d'autre part, qu'elle a privé sa décision de base légale en relevant la disparition de l'original du testament sans constater, avant de se prononcer en considération de copies, que cette perte procédait d'un cas fortuit ou de force majeure, au sens de l'article 1348 du Code civil et alors, enfin, qu'elle a encore violé ce texte en ordonnant la délivrance d'un legs stipulé dans un testament produit en photocopie, après avoir constaté que la fidélité de la reproduction n'était pas certaine ;

Mais attendu que c'est par une appréciation souveraine, au vu des éléments qui lui étaient soumis, et notamment des photocopies versées aux débats, que la cour d'appel a estimé que la fausseté du testament du 14 octobre 1975 n'était pas démontrée ; qu'en outre, à défaut de contestation sur l'existence et le contenu de ce document, l'arrêt attaqué n'a nullement reconnu force probante à des photocopies de cet acte, ni fait application de l'article 1348 du Code civil pour déterminer les dernières volontés de la défunte ; que dès lors, le grief invoqué par le premier moyen est mal fondé, ceux du second étant inopérants ; d'où il suit que ces moyens ne peuvent être accueillis en aucune de leurs branches ;

Sur les deux moyens du pourvoi incident, réunis et pris dans leurs diverses branches :

Attendu que, la Fondation de France reproche d'abord à l'arrêt attaqué de ne pas avoir admis que pouvait être substitué au légataire universel que désigne le testament d'Anna Z..., toute autre personne physique ou morale, alors, selon le premier moyen, d'une part, qu'à défaut d'existence de la fondation légataire au jour du décès de la disposante, les juges du fond auraient dû rechercher si, pour assurer le respect de la volonté de la testatrice, il n'y avait pas lieu de désigner une personne physique ou morale habilitée à disposer du legs en faveur du véritable bénéficiaire, de sorte qu'en se bornant à énoncer qu'une telle substitution procéderait de la dénaturation du testament, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ; et alors, d'autre part, qu'en ne répondant pas au moyen que faisait valoir la Fondation de France, d'où il ressortait qu'elle était apte par sa vocation à faire respecter la volonté de la testatrice suivant l'interprétation qu'en donnait l'arrêt attaqué, la cour d'appel n'a pas satisfait aux prescriptions de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;

Attendu que, la Fondation de France fait également grief à l'arrêt attaqué d'avoir décidé, qu'eu égard à la nullité définitivement constatée du legs universel en cause, il appartenait à Mme Y..., en sa qualité de seule héritière par le sang, de remettre, après délivrance des legs particuliers, le restant de la succession à la Fondation légataire, constituée selon les modalités testamentaires et les règlements en vigueur alors, selon le second moyen, d'une part, qu'en énonçant que Mme Y... avait vocation à recueillir la succession de sa soeur, contre la volonté claire et précise, manifestée par cette dernière, de limiter les droits de l'intéressée à un legs particulier, la cour d'appel a dénaturé les clauses du testament ; alors, d'autre part, qu'en s'abstenant de répondre au moyen faisant valoir que Mme Y... était sans droit sur la succession de sa soeur, dont elle se trouvait exhérédée en raison du legs particulier lui revenant, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; et alors, enfin, qu'en s'abstenant de rechercher, comme elle y était invitée, si les dispositions testamentaires n'impliquaient pas l'intention formelle d'exhéréder Mme Y..., et d'interpréter sur ce point la volonté de la testatrice, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;

Mais attendu que c'est par une interprétation souveraine de la portée du testament, que la cour d'appel a estimé qu'il était contraire aux stipulations qui en constituaient l'" essence même ", de substituer, en qualité de légataire universel, une personne autre à la fondation qu'entendait créer la testatrice ; qu'elle a donc pu en déduire, hors toute dénaturation, qu'il appartenait à la soeur de cette dernière, investie, comme seule héritière légitime, de la saisine sur l'universalité de l'hérédité d'assurer l'exécution des dernières volontés de son auteur ; qu'ainsi l'arrêt attaqué est légalement justifié ; d'où il suit que les deux moyens du pourvoi incident ne peuvent être accueillis ;

Et sur le troisième moyen du pourvoi principal qui est subsidiaire :

Attendu que, Mme Y... reproche encore à la cour d'appel d'avoir validé une clause de substitution que comporterait le testament litigieux, en lui imposant, en sa qualité d'unique héritière de la testatrice, de remettre l'intégralité de sa succession à une fondation non encore constituée à son décès, de sorte que l'arrêt aurait ainsi violé l'article 906 du Code civil ;

Mais attendu qu'en prescrivant à Mme Y..., en tant que seule héritière, de transmettre à la fondation à créer, " M. et Mme X... ", l'actif successoral, après délivrance des libéralités particulières consenties par la testatrice et prélèvement des biens que celle-ci lui avait légués, la cour d'appel n'a pas validé une substitution prohibée par l'article 896 du Code civil, laquelle supposerait une double libéralité dont la seconde ne se réaliserait qu'au décès du bénéficiaire de la première ; que le moyen n'est donc pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE les pourvois principal et incident


Synthèse
Formation : Chambre civile 1
Numéro d'arrêt : 90-13135
Date de la décision : 14/05/1991
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Civile

Analyses

1° TESTAMENT - Testament olographe - Ecriture de la main du testateur - Preuve - Perte du titre - Prise en compte de copies - Appréciation souveraine.

1° PREUVE (règles générales) - Pouvoirs des juges - Appréciation - Pouvoir souverain - Testament - Testament olographe - Ecriture de la main du testateur - Prise en compte de copies 1° POUVOIRS DES JUGES - Appréciation souveraine - Testament - Testament olographe - Ecriture de la main du testateur - Preuve - Perte du titre - Prise en compte de copies.

1° Ayant estimé par une appréciation souveraine, au vu de documents qui lui étaient soumis, et notamment de photocopies versées aux débats, que n'était pas démontrée la fausseté d'un testament, une cour d'appel, à défaut de contestation sur l'existence et le contenu de ce document, n'a nullement reconnu force probante à des photocopies de cet acte, ni fait application de l'article 1348 du Code civil pour déterminer les dernières volontés de la défunte.

2° TESTAMENT - Legs - Legs universel - Effets - Fondation bénéficiaire du legs - Exécution de la volonté du testateur - Exécution par l'héritier investi de la saisine sur l'universalité de l'hérédité.

2° TESTAMENT - Interprétation - Volonté du testateur - Appréciation souveraine 2° FONDATION - Legs - Legs universel - Fondation bénéficiaire du legs - Exécution de la volonté du testateur - Exécution par l'héritier investi de la saisine sur l'universalité de l'hérédité 2° POUVOIRS DES JUGES - Appréciation souveraine - Testament - Interprétation - Volonté du testateur.

2° La cour d'appel qui a estimé, par une interprétation souveraine de la portée du testament, qu'il était contraire aux stipulations en constituant " l'essence même " de substituer, en qualité de légataire universel, une personne autre à la fondation qu'entendait créer le testateur, a pu en déduire qu'il appartenait à l'héritier légitime investi de la saisine sur l'universalité de l'hérédité, d'assurer l'exécution des dernières volontés de son auteur.

3° TESTAMENT - Legs - Substitution prohibée - Définition - Transmission de l'actif successoral à une fondation - Décision la prescrivant à la seule héritière après délivrance ou prélèvement des legs particuliers (non).

3° SUBSTITUTION PROHIBEE - Définition - Charge de conserver ou de rendre - Double libéralité dont la seconde ne se réaliserait qu'au décès du bénéficiaire de la première 3° FONDATION - Legs - Substitution prohibée - Définition - Transmission de l'actif successoral à une fondation - Décision la prescrivant à la seule héritière après délivrance ou prélèvement des legs particuliers (non).

3° Ne valide pas une substitution prohibée par l'article 896 du Code civil, laquelle supposerait une double libéralité dont la seconde ne se réaliserait qu'au décès du bénéficiaire de la première, la cour d'appel qui prescrit à la seule héritière de transmettre à une fondation à créer l'actif successoral, après délivrance des libéralités particulières consenties par le testateur et prélèvement des biens que celui-ci lui avait légués.


Références :

Code civil 1348
Code civil 896

Décision attaquée : Cour d'appel de Dijon, 19 septembre 1989

A RAPPROCHER : (2°). Chambre civile 1, 1983-02-15 , Bulletin 1983, I, n° 61 (2), p. 53 (rejet) ; Chambre civile 1, 1986-02-18 , Bulletin 1986, I, n° 28 (2), p. 25 (rejet) ; Chambre civile 1, 1987-07-22 , Bulletin 1987, I, n° 258, p. 187 (cassation).


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 1re, 14 mai. 1991, pourvoi n°90-13135, Bull. civ. 1991 I N° 159 p. 104
Publié au bulletin des arrêts des chambres civiles 1991 I N° 159 p. 104

Composition du Tribunal
Président : Président :M. Massip, conseiller doyen faisant fonction
Avocat général : Avocat général :M. Sadon
Rapporteur ?: Rapporteur :M. Bernard de Saint-Affrique
Avocat(s) : Avocats :la SCP Boré et Xavier, la SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez, la SCP Rouvière, Lepître et Boutet.

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:1991:90.13135
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