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14/11/1989 | FRANCE | N°88-81817

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 14 novembre 1989, 88-81817


REJET du pourvoi formé par :
- X... Nicole,
contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, 11e chambre, en date du 21 janvier 1988, qui, dans une procédure suivie contre elle du chef d'infraction à l'article 416-1 du Code pénal, a déclaré réunis les éléments constitutifs de l'infraction prévue par l'article 416. 3° dudit Code et l'a condamnée à des réparations civiles.
LA COUR,
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le premier moyen de cassation pris de la violation des articles 513, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs :


" en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a dit que les faits visés aux poursuites ...

REJET du pourvoi formé par :
- X... Nicole,
contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, 11e chambre, en date du 21 janvier 1988, qui, dans une procédure suivie contre elle du chef d'infraction à l'article 416-1 du Code pénal, a déclaré réunis les éléments constitutifs de l'infraction prévue par l'article 416. 3° dudit Code et l'a condamnée à des réparations civiles.
LA COUR,
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le premier moyen de cassation pris de la violation des articles 513, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs :
" en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a dit que les faits visés aux poursuites étaient réprimés par l'article 416. 3° du Code pénal et alloué des dommages-intérêts aux parties civiles ;
" alors que, 1°) il résulte de l'arrêt attaqué que le président a fait un rapport postérieurement à l'audition du ministère public et des parties, en violation de l'article 513 du Code de procédure pénale qui exige que le rapport intervienne au début des débats ;
" alors que, 2°) il ne ressort pas de l'arrêt que Mme X... ou son conseil aient eu la parole postérieurement au rapport fait le 10 décembre 1987, de sorte que l'arrêt ne satisfait pas aux exigences de l'article 513 du Code de procédure pénale et des droits de la défense " ;
Attendu qu'il ressort des mentions de l'arrêt attaqué qu'à l'audience du 3 décembre 1987 où ont eu lieu les débats " ont été entendus M. le président en son rapport, Nicole X... en ses explications et moyens de défense, Me Jouanneau, avocat de la LICRA, Me Rappaport, avocat du MRAP, Me Sarda, avocat de Mlle X..., en leurs conclusions et plaidoiries, M. Pomier, avocat général en ses observations, Mlle X... et son conseil qui ont eu la parole les derniers " ; que l'affaire a été mise en continuation à l'audience du 10 décembre 1987, pour plaidoirie de Me Weil, avocat du syndicat CFDT, et pour conclusions de Me Sarda ; qu'à ladite audience " Mes Sarda et Jean-Louis Weil, avocats, ont déposé des conclusions, ont été entendus M. le président en son rapport, M. Pomier, avocat général, en ses observations " ;
Attendu, d'une part, que la Cour de Cassation est en mesure de constater que le rapport du président a été fait avant l'ouverture des débats lors de l'audience du 3 décembre 1987 ; qu'il n'importe, dès lors, que le président ait cru devoir faire à nouveau un rapport à l'audience du 10 décembre ;
Attendu, d'autre part, qu'il résulte de l'arrêt attaqué que les seules parties civiles ont interjeté appel du jugement ayant relaxé Nicole X... du chef d'infraction aux dispositions de l'article 416. 3° du Code pénal ; que l'action publique se trouvant éteinte en raison du caractère définitif des dispositions pénales du jugement, Nicole X... ne comparaissait devant la cour d'appel qu'en qualité d'intimée sur les seuls intérêts civils et non en qualité de prévenue ; qu'ainsi, en ne donnant pas, à l'audience du 10 décembre 1987, la parole en dernier à Nicole X... ou à son conseil, la cour d'appel n'a pas méconnu les dispositions de l'article 513, alinéa 4, du Code de procédure pénale ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le deuxième moyen de cassation pris de la violation des articles 212, 213, 215, 388, 591 et 593 du Code de procédure pénale, 416. 3° et 416-1 du Code pénal, 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, défaut de motifs :
" en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a décidé que les faits poursuivis étaient réprimés par l'article 416. 3° du Code pénal et alloué aux parties civiles des dommages-intérêts ;
" alors que, par un arrêt du 19 décembre 1986, devenu depuis lors définitif, la chambre d'accusation de la cour d'appel de Paris a renvoyé la prévenue pour infraction à l'article 416-1 du Code pénal, dans sa rédaction issue de la loi du 7 juin 1977 ; qu'en statuant comme elle l'a fait, bien que les délits visés aux articles 416. 3° et 416-1 comportent des éléments matériels et intentionnels distincts, dès lors que l'article 416. 3° réprime le refus d'embauche cependant que l'article 416-1 réprime les comportements visant à rendre plus difficile l'exercice d'une activité économique, la cour d'appel a excédé les limites de sa saisine et violé les textes susvisés " ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que la Ville de Paris ayant décidé de mettre des aides-ménagères à la disposition des personnes âgées restant à Paris aux mois de juillet et août 1977, Nicole X..., assistante sociale chef, affectée au cabinet du directeur du bureau d'aide sociale, a pris l'initiative de rédiger, de signer et de diffuser auprès de ses collègues des bureaux d'aide sociale des mairies annexes une note datée du 14 juin 1977 et ainsi libellée : " Le bureau d'aide sociale recrute pour l'opération " Spéciale 3e âge " sur tout Paris des aides-ménagères pour la période du 27 juin au 6 septembre... Si vous avez des candidates, adressez-les d'urgence au service du personnel... (éviter le personnel de couleur) " ; que sur la plainte de plusieurs syndicats et associations une information a été ouverte et que la chambre d'accusation a renvoyé Nicole X... devant le tribunal correctionnel " pour avoir par son action, et sauf motif légitime, contribué à rendre plus difficile l'exercice dans des conditions normales de l'activité d'aide-ménagère par toute personne physique, à raison de son appartenance vraie ou supposée à une ethnie ou à une race déterminée, délit prévu et puni par l'article 416-1 du Code pénal " ; que le tribunal, considérant que ce texte tendait à faire obstacle aux agissements de boycott économique de caractère raciste et ne s'appliquait pas aux faits reprochés à la prévenue, a relaxé cette dernière ;
Attendu que la juridiction du second degré, pour infirmer cette décision, énonce que si les faits poursuivis n'entrent pas dans les prévisions de l'article 416-1 du Code pénal, il appartient aux juges de leur donner " leur exacte qualification juridique " ; qu'elle observe que ces faits tombent sous le coup des dispositions de l'article 416, 3° dudit Code et selon lesquelles sera punie " toute personne, amenée par sa profession ou ses fonctions à employer, pour elle-même ou pour autrui, un ou plusieurs préposés, qui, sauf motif légitime, aura soumis une offre d'emploi à une condition fondée sur l'origine, le sexe, la situation de famille, l'appartenance ou la non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée " ;
Attendu qu'en cet état, l'arrêt attaqué n'a méconnu aucun des textes visés au moyen ; que s'il est interdit en effet aux juges correctionnels de prendre pour base de leur condamnation un fait autre que celui dont ils ont été régulièrement saisis, soit par une citation directe, soit par une ordonnance ou un arrêt de renvoi, cette règle n'a pas été méconnue en l'espèce ;
Que les juges correctionnels ont non seulement le pouvoir mais le devoir de caractériser les faits qui leur sont déférés et de leur faire application de la loi pénale ;
Qu'en décidant que la recommandation faite par la prévenue d'éviter d'engager du personnel de couleur ne constituait pas une entrave à l'activité économique d'aide ménagère mais qu'elle soumettait une offre d'embauche à une condition interdite par la loi, les juges du fond n'ont ajouté aucun fait nouveau à celui qui servait de base à la prévention et ont à juste titre retenu contre la prévenue l'infraction prévue par l'article 416. 3° du Code pénal ;
Qu'ainsi le moyen doit être écarté ;
Sur le troisième moyen de cassation : (sans intérêt) ;
Sur le quatrième moyen de cassation pris de la violation des articles 416. 3° du Code pénal, 1382 du Code civil, 591 et 593 du Code de procédure pénale, violation du principe de la séparation des pouvoirs, défaut de motifs :
" en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a décidé que les faits poursuivis étaient réprimés par l'article 416. 3° du Code pénal et alloué aux parties civiles des dommages-intérêts ;
" aux motifs qu'en prenant, en dehors de toute instruction, l'initiative de la rédaction et de l'envoi de la note discriminatoire retenue, la défenderesse a commis, non une faute de service (d'ailleurs non alléguée), mais une faute personnelle, juridiquement inexcusable et donc détachable de la fonction, qui rend la Cour compétente pour statuer sur les demandes des parties civiles ;
" alors que, d'une part, il ressort des énonciations mêmes de l'arrêt qu'il entrait dans les fonctions de la prévenue de participer au recrutement des agents, pour le compte du service, par la rédaction et la diffusion de notes de service (p. 5 paragraphe 1er) ; que, d'autre part, si les juges du fond ont retenu la prévenue dans les liens de la prévention, c'est en considérant que le motif avancé pour justifier la discrimination procédait d'une généralisation hâtive ; qu'en l'état de ces constatations, qui font tout au plus ressortir une appréciation erronée ou rapide des faits sur lesquels l'agent avait à se prononcer, la cour d'appel ne pouvait en aucune façon retenir l'existence d'une faute détachable ; que l'arrêt a donc été rendu en violation du principe de la séparation des pouvoirs " ;
Attendu que, pour écarter l'argumentation de Nicole X... qui prétendait que la juridiction correctionnelle était incompétente pour statuer sur les demandes de réparation dirigées contre un fonctionnaire d'une collectivité territoriale, la juridiction du second degré énonce " qu'en prenant, en dehors de toute instruction, l'initiative de la rédaction et de l'envoi de la note discriminatoire.. la défenderesse a commis.. une faute personnelle, juridiquement inexcusable et donc détachable de la fonction, qui rend la Cour compétente pour statuer sur les demandes des parties civiles " ;
Attendu qu'en cet état, la cour d'appel qui a caractérisé à l'encontre de la demanderesse l'existence d'une faute détachable de la fonction, a légalement justifié sa décision sans encourir le grief énoncé au moyen, lequel ne peut donc être admis ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 88-81817
Date de la décision : 14/11/1989
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Criminelle

Analyses

1° JURIDICTIONS CORRECTIONNELLES - Débats - Cour d'appel - Appel de la partie civile - Action publique éteinte - Ordre d'audition des parties.

1° Sur le seul appel de la partie civile d'un jugement ayant prononcé la relaxe du prévenu, celle-ci devient définitive et la chose jugée emporte extinction de l'action publique. Dès lors, la partie pénalement condamnée perd la qualité de prévenu devant la cour d'appel et ne comparaît qu'en qualité d'intimée. Dans un tel cas, les dispositions du dernier alinéa de l'article 513 du Code de procédure pénale ne peuvent recevoir application (1).

2° JURIDICTIONS CORRECTIONNELLES - Disqualification - Entrave à l'exercice d'une activité économique fondée sur une discrimination (article du Code pénal) - Refus d'embauche ou licenciement fondé sur une discrimination (article 416 - 3° du Code pénal).

2° La cour d'appel n'est pas liée par la qualification que donne aux faits poursuivis l'ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel ou le jugement de ce tribunal. Elle a le pouvoir et le devoir de restituer à la poursuite sa qualification véritable dès lors qu'elle puise les éléments de sa décision dans les faits mêmes dont elle est saisie. N'encourt pas la cassation l'arrêt qui requalifie l'infraction prévue par l'article 416-1 du Code pénal en offre d'emploi soumise à une condition discriminatoire (article 416.3° dudit Code) (2).

3° SEPARATION DES POUVOIRS - Agent d'un service public - Délit commis dans l'exercice des fonctions - Faute personnelle détachable - Définition.

3° Commet une faute détachable de sa fonction, l'assistante sociale chef, fonctionnaire d'une collectivité territoriale, qui prend l'initiative, dans une note relative à l'embauche d'aides-ménagères, de recommander aux bureaux d'aide sociale concernés d'éviter l'engagement de personnel de couleur (3).


Références :

Code de procédure pénale 388
Code de procédure pénale 513
Code pénal 416 al. 3, 416-1

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 21 janvier 1988

CONFER : (1°). (1) Cf. Chambre criminelle, 1983-12-13 , Bulletin criminel 1983, n° 341, p. 882 (rejet), et les arrêts cités. CONFER : (2°). (2) Cf. Chambre criminelle, 1980-04-21 , Bulletin criminel 1980, n° 116, p. 269 (rejet), et les arrêts cités. CONFER : (3°). (3) Cf. Chambre criminelle, 1982-05-25 , Bulletin criminel 1982, n° 134, p. 368 (rejet), et les arrêts cités.


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 14 nov. 1989, pourvoi n°88-81817, Bull. crim. criminel 1989 N° 416 p. 1007
Publié au bulletin des arrêts de la chambre criminelle criminel 1989 N° 416 p. 1007

Composition du Tribunal
Président : Président :M. Berthiau, conseiller doyen faisant fonction
Avocat général : Avocat général :M. Perfetti
Rapporteur ?: Rapporteur :M. Dumont
Avocat(s) : Avocats :M. Foussard, Mme Roué-Villeneuve, la SCP Lyon-Caen, Fabiani et Liard

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:1989:88.81817
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