Sur le premier moyen du pourvoi principal de la SNCF, pris en ses trois branches :
Attendu qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué que la Banque de France et la Société nationale des chemins de fer français (la SNCF) ont conclu, pour le transport de monnaies métalliques, un contrat cadre stipulant que la SNCF s'engageait à opérer une surveillance spéciale des envois pendant toute la durée du transport et fixant une limitation à sa responsabilité ; qu'en application de cet accord, la SNCF a pris en charge à Pessac (Gironde), pour en organiser le transport de bout en bout, un conteneur supposé renfermer des " métaux non dénommés " et rempli en réalité de sacs de pièces de dix francs destinés à la Banque de France à Paris ; qu'elle s'est substitué, pour l'organisation de ce transport la compagnie nouvelle des conteneurs (la CNC) laquelle a affrèté la société de contrôle et d'expédition des transports auxiliaires (la SCETA) pour exécuter le transport routier à l'interieur de Paris ; que la SCETA utilisait un camion pris en location auprès de la société Fraikin avec son chauffeur, M. Y... ; qu'en cours de trajet, dans Paris, M. Y... est descendu de son véhicule à la vue d'un autre chauffeur, M. X..., également mis par un loueur à la disposition de la SCETA pour un autre transport, lequel lui donnait à comprendre par gestes qu'il se trouvait en panne ; que M. Y... a été enlevé par des hommes armés avec M. X..., qui en réalité était leur complice et avait simulé la panne ; que le camion transportant le conteneur a été retrouvé plusieurs jours après le vol, vide de son contenu ; que la Banque de France ayant été indemnisée par ses assureurs, la Réunion européenne UMAT et 43 autres compagnies d'assurances, ces dernières, subrogées dans ses droits, ont engagé une action en réparation contre la SNCF, la CNC et la SCETA, lesquelles ont formé divers appels en garantie ;
Attendu que la SNCF fait grief à l'arrêt d'avoir décidé que le vol des pièces de monnaie ne présentait pas les caractères d'un évènement de force majeure exonératoire, alors que, selon le pourvoi, d'une part, en ne recherchant pas si l'attaque du camion transportant les fonds par des hommes armés, et dont le conducteur avait été attiré dans un piège, était normalement prévisible au moment de la passation du contrat par la Banque de France et la SNCF laquelle n'avait qu'une obligation de surveillance et non de sécurité, l'arrêt attaqué n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 98 du Code de commerce ; alors que, d'autre part, en ne recherchant pas si le conducteur du véhicule attaqué aurait pu empêcher le vol, au cas où il serait demeuré dans la cabine ou bien s'il avait emporté avec lui les clés de contact, l'arrêt attaqué qui n'a pas caractérisé la possibilité pour la SNCF d'éviter et de surmonter les conséquences d'une agression à main armée, n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 95 du Code de commerce, et alors, enfin, que le rôle joué dans ladite agression par M. X..., conducteur d'un camion donné, avec lui, en location par son employeur à la SCETA et qui ne participait en rien au transport des fonds litigieux, constituant un évènement exterieur à l'activité de la SNCF, débitrice de l'obligation, l'arrêt attaqué manque encore de base légale au regard de l'article 98 du Code de commerce ;
Mais attendu, qu'après avoir relevé que la SNCF connaissait la nature de la marchandise transportée et qu'elle s'était engagée à prendre les précautions nécessaires pour assurer la sécurité du convoi, la cour d'appel a constaté que le vol à main armée n'était pas imprévisible pour elle, au moment de l'échange des consentements et, par cette seule constatation, a justifié sa décision du chef critiqué ; que le moyen n'est donc pas fondé ;
Sur le deuxième moyen du pourvoi principal, pris en ses deux branches : (sans intérêt) ;
Sur les deux moyens réunis du pourvoi incident de la CNC :
Attendu que, la CNC reproche à l'arrêt de l'avoir condamnée solidairement avec la SNCF et la SCETA à réparer les conséquences du vol, alors que, selon le pourvoi, d'une part, le commissionnaire de transport est, aux termes de l'article 98 du Code de commerce, garant de la perte de la marchandise sauf le cas de force majeure, que la force majeure s'analyse en un évènement qui est pour lui imprévisible et inévitable et qu'en écartant la force majeure à son égard comme le caractère de l'extériorité de l'évènement invoquée, en se fondant sur des faits qui ne lui étaient pas opposables, la cour d'appel a violé ledit article 98, et alors que, d'autre part, les fautes lourdes invoquées par l'arrêt étaient celles de la SNCF et de la SCETA et de leurs préposés, que la CNC, qui n'avait en rien participé à ces fautes lourdes ne pouvait se voir exclue du bénéfice de la clause limitative de responsabilité et qu'en décidant autrement la cour d'appel a violé l'article 1134 du Code civil ;
Mais attendu qu'en constatant que la CNC était intervenue dans l'organisation du transport en qualité de commissionnaire substitué, la cour d'appel a fait ressortir qu'elle était tenue de garantir le fait du voiturier et a exactement estimé que les conditions de la force majeure et de l'existence d'une faute lourde devaient être appréciées en la personne de la SCETA ; que l'arrêt étant justifié des chefs critiqués, les moyens ne sont pas fondés ;
Mais sur le troisième moyen du pourvoi principal, pris en ses trois branches :
Vu les articles 1134, 1150 du Code civil et 98 du Code de commerce ;
Attendu que pour refuser de faire application des clauses limitatives de responsabilité insérées au contrat et accorder une réparation intégrale du préjudice subi, la cour d'appel a retenu, d'une part, que le chauffeur Trottin, qui n'ignorait pas la nature du chargement, avait commis une faute lourde en abandonnant son camion, sans y être contraint par un motif impérieux, portière non fermée, clef au contact, moteur en marche, et ceci pendant une dizaine de minutes, en pleine rue, à une époque et dans une ville où les vols à main-armée se multipliaient, d'autre part, que M. X..., également préposé de la SCETA, avait engagé la responsabilité de cette dernière en ce qu'il avait agi dans l'exercice de ses fonctions qui lui avaient fourni l'occasion et le moyen de commettre sa faute dolosive, enfin, que la SNCF, elle-même astreinte par son contrat à assurer une surveillance spéciale du convoi, avait commis par négligence une faute lourde en ne prenant pas de précautions autres qu'une modification inéfficace des noms de l'expéditeur et du
destinataire ;
Attendu qu'en statuant par de tels motifs sans relever contre la SCETA, du fait de M. Y..., et contre la SNCF aucune circonstance constitutive d'une négligence d'une extrème gravité, confinant au dol et dénotant l'inaptitude du transporteur, maître de son action, à l'accomplissement de la mission contractuelle qu'il avait acceptée et sans rechercher si les agissements de M. X... se situaient dans le cadre ou hors le cadre de l'exécution du contrat souscrit par la SCETA, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des textes susvisés ;
Et sur le quatrième moyen du pourvoi principal, pris en sa première branche :
Vu l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
Attendu que l'arrêt a accueilli la demande en ce qu'elle évaluait le préjudice des compagnies d'assurance, aux droits de la Banque de France, à l'équivalent de la valeur faciale des pièces de monnaie, sans répondre aux conclusions de la SNCF qui soutenaient que le préjudice résultant du vol des pièces de monnaie était celui subi par l'Etat français et non celui de l'institut d'émission, lequel n'était pas propriétaire desdites pièces et ne pouvait justifier que du prix de fabrication que lui avait facturé l'Hôtel des Monnaies ;
Attendu qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de motifs et a violé le texte susvisé ;
Et sur le moyen unique du pourvoi incident des compagnies d'assurance :
Vu l'article 1150 du Code civil ;
Attendu que pour limiter le préjudice indemnisable par la CNC, sous-commissionnaire de transport et par la SCETA, voiturier, à l'équivalent du coût de fabrication des pièces qui ont été volées et non retrouvées, la cour d'appel, après avoir énoncé que ces deux entreprises devaient la réparation intégrale du préjudice résultant de la perte des objets dont il était stipulé qu'elles assuraient le transport, a constaté qu'à la différence de la SNCF, qui avait contracté en connaissance de la nature exacte de la marchandise transportée, elles avaient été payées pour effectuer un transport de " métaux ouvrés " et non de pièces de monnaie et qu'elles avaient été privées de la possibilité de s'assurer contre le risque réel de ce transport, puis a considéré que l'exception à la règle limitant la réparation au dommage prévisible ne pouvait jouer, s'agissant d'un dommage dont l'imprévisibilité résultait d'une déclaration volontairement erronée de l'expéditeur ;
Attendu, qu'en se déterminant ainsi, tout en retenant à la charge de la SCETA une faute lourde équipollente au dol et une faute dolosive, fautes qui, à les supposer établies, jouaient contre son garant la CNC, et qui leur interdisaient d'exciper de l'imprévisibilité du dommage, lors du contrat, et les obligeaient à la réparation intégrale du préjudice justifié, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le quatrième moyen du pourvoi principal en sa seconde branche :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ses dispositions infirmatives du jugement qui ont fixé les réparations mises à la charge de la SNCF, de la CNC et de la SCETA et limité la garantie due à la SNCF par ces deux dernières, l'arrêt rendu le 8 juillet 1987, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles