CASSATION sur les pourvois formés par :
- X... René,
- Y... Eugène,
- Z... Gilbert,
contre l'arrêt de la cour d'appel de Riom, chambre correctionnelle, en date du 12 novembre 1987, qui les a condamnés X..., pour banqueroute, à 36 mois d'emprisonnement avec sursis et 30 000 francs d'amende, ainsi qu'à la privation des droits mentionnés à l'article 42 du Code pénal, Y..., pour recel, à 1 an d'emprisonnement avec sursis et 20 000 francs d'amende, Z..., pour complicité de banqueroute, à 6 mois d'emprisonnement avec sursis et 10 000 francs d'amende, et qui a prononcé sur les réparations civiles.
LA COUR,
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le premier moyen de cassation proposé en faveur de X... et pris de la violation de l'article 6 du Code de procédure pénale, de l'article 238 de la loi n° 85-98 du 25 janvier 1985 :
" en ce que la décision attaquée a décidé que l'action publique dirigée contre le demandeur du chef de banqueroute frauduleuse par détournement d'actif n'était pas éteinte ;
" aux motifs que les premières inculpations étaient effectivement basées sur la loi du 13 juillet 1967 qui prévoit des cas de banqueroute (frauduleuse) (1) ; que les premiers juges ont été fondés à rappeler la jurisprudence fixée par l'arrêt de la Cour de Cassation en date du 10 mars 1986, duquel il résulte que si le délit de banqueroute par détournement d'actif défini par l'article 197-2 de la loi du 25 janvier 1985 suppose qu'une procédure de redressement judiciaire a été ouverte contre les débiteurs, il s'agit là d'une condition préalable à l'exercice de l'action publique constitutive d'une règle de procédure qui ne saurait avoir d'effet sur les poursuites engagées régulièrement avant son entrée en vigueur ;
" alors que l'action publique s'éteint par l'abrogation de la loi pénale ; que, quand une loi pénale est abrogée, il n'y a pas lieu pour le juge de s'interroger sur le point de savoir si une loi nouvelle plus douce a ou non été votée et promulguée ; qu'en effet l'abrogation explicite d'une loi a pour effet de mettre fin à l'action publique, sans qu'il y ait lieu de se demander si une loi pénale plus douce, applicable aux seuls délits commis postérieurement à son entrée en vigueur, a ou non été votée " ;
Attendu que si l'article 238 de la loi du 25 janvier 1985 a abrogé les articles 1 à 149 et 160 à 164 de la loi du 13 juillet 1967 sur le règlement judiciaire, la liquidation des biens, la faillite personnelle et la banqueroute, la loi nouvelle a néanmoins repris en son article 197 les dispositions de l'article 133 de la loi ancienne pour l'incrimination de banqueroute frauduleuse par détournement d'actif, de telle sorte que cette dernière infraction est toujours demeurée punissable, avant et après le 1er janvier 1986, date d'entrée en vigueur de la loi nouvelle, dans les termes de l'article 402 du Code pénal qu'elle a modifié et qui, prévoyant des peines plus douces, est applicable aux faits commis antérieurement ;
Que ce moyen ne saurait, dès lors, être accueilli ;
Mais sur le quatrième moyen de cassation proposé par X... et pris de la violation de l'article 197 de la loi du 24 janvier 1985, des articles 485, 593 du Code de procédure pénale :
" en ce que la décision attaquée a déclaré le demandeur coupable de banqueroute par détournement d'actif ;
" aux motifs que la SARL a réglé à la SCI des loyers d'un montant annuel de 110 000 francs, et ce pendant les 2 années durant lesquelles les locaux étaient totalement improductifs ; que dans le même temps, la SARL louait des locaux aux abattoirs municipaux du Puy pour son activité ; que cette situation n'aurait dû être que provisoire dans l'attente de l'aménagement des locaux que la SARL avait loué rue des Belges à une SCI dont l'objet était précisément l'acquisition desdits locaux ; que la SARL " avait dû attendre cependant plus de 2 ans avant de pouvoir s'installer dans les locaux loués " ; qu'en outre la SARL qui avait contracté des emprunts pour un montant de 1 400 000 francs dans le but de réaliser les travaux dans l'ensemble de la SCI avait contracté un bail aux termes duquel la SARL aurait à la charge toutes les transformations et réparations nécessaires et que tous les travaux et réparations quelconques faits par le preneur même avec l'autorisation du bailleur resteront en fin de bail la propriété de ces derniers sans indemnisation ; qu'en outre les loyers dus par les époux Socorsi dans les locaux loués à la SARL ont été perçus non par celle-ci mais par la SCI qui les a finalement reversés ;
" alors, d'une part, que le détournement d'actif consiste dans le fait de faire échapper aux créanciers d'un commerçant une partie de l'actif de cette société qui aurait normalement dû constituer leur gage, qu'il suppose un acte de disposition ; qu'il suppose une intention frauduleuse ;
" qu'il ne résulte pas des motifs de l'arrêt que le demandeur ait loué les locaux litigieux, et payé les loyers en vue de détourner des sommes au préjudice des créanciers ; qu'en effet, en ne s'expliquant pas ni sur ce qu'aurait été, d'après la Cour, le montant normal des loyers, ni sur les raisons pour lesquelles la SARL " avait dû " attendre plus de 2 ans avant de pouvoir s'installer dans les locaux loués, les juges du fond n'ont pas établi l'existence d'un détournement d'actif ;
" alors, d'autre part, que le détournement d'actif n'étant constitué que par un acte de disposition ayant pour but de priver les créanciers de leurs gages, la seule constatation que la SARL Le Puy Viande aurait assumé la charge de toutes les transformations et réparations nécessaires, cependant que les travaux et améliorations faits par le preneur même avec l'autorisation du bailleur resteront en fin de bail la propriété de ces derniers sans indemnisation, sans constater que cette clause ait un caractère anormal et ait été faite pour priver les créanciers de leurs gages ne permettent pas à la Cour de Cassation d'exercer son contrôle sur l'existence d'un détournement frauduleux " ;
Vu lesdits articles ;
Attendu que le délit de banqueroute par détournement d'actif suppose, pour être constitué, l'existence d'une dissipation volontaire d'un élément de patrimoine d'un débiteur en état de cessation des paiements par l'une des personnes énumérées à l'article 196 de la loi du 25 janvier 1985, relative au redressement et à la liquidation judiciaires des entreprises ;
Attendu que, pour déclarer X...coupable de banqueroute par détournement d'actif, la cour d'appel, sans préciser la date de cessation des paiements, se borne à relever que la société Le Puy Viande, dont le prévenu était le gérant, a dû attendre 2 ans avant de s'installer dans les locaux loués par elle et demeurés pendant la même période totalement improductifs ; qu'elle ajoute que la remise de créances au compte bancaire de la société a eu lieu le jour même du dépôt de bilan par X..., en vue d'échapper aux conséquences d'un solde débiteur pour lequel il avait donné sa caution ;
Mais attendu qu'en l'état de ces seules énonciations qui ne caractérisent pas les éléments constitutifs du délit poursuivi, la cour d'appel a méconnu le principe sus-énoncé ;
Qu'ainsi la cassation est encourue de ce chef et, par voie de conséquence, des chefs de complicité et de recel dont Z... et Y... ont été déclarés coupables ;
Par ces motifs, et sans qu'il y ait à examiner les autres moyens proposés :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt de la cour d'appel de Riom, en date du 12 novembre 1987, et pour être jugé à nouveau conformément à la loi :
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Bourges.