REJET et CASSATION PARTIELLE sur le pourvoi formé par :
- X... Robert,
- Y... Monique, épouse X...,
parties civiles,
contre l'arrêt de la cour d'appel de Riom, chambre correctionnelle, en date du 28 avril 1988 qui, dans la procédure suivie contre Z... du chef de blessures involontaires, s'est prononcé sur les réparations civiles.
LA COUR,
Vu le mémoire commun aux demandeurs et les mémoires en défense ;
Sur le pourvoi en tant qu'il est formé par Monique X... :
Attendu qu'aucun moyen n'est produit ;
Sur le pourvoi en tant qu'il est formé par Robert X... :
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 376-1 et L. 454-1 du Code de la sécurité sociale, 1382 du Code civil, 593 du Code de procédure pénale :
" en ce que l'arrêt attaqué a fixé le préjudice corporel global de X... à 2 710 963, 30 francs français et, constatant que la créance totale de la Caisse nationale suisse et de l'Assurance-invalidité se montait à 912 721 francs suisses (3 577 867, 30 francs français), a décidé en conséquence qu'il ne pouvait prétendre à aucun préjudice complémentaire ;
" aux motifs adoptés des premiers juges que les divers éléments du rapport d'expertise permettent de fixer le préjudice corporel global de Robert X... comme suit : créance de la Caisse nationale suisse et de l'Assurance-invalidité 118 008 francs suisses, frais médicaux et d'hospitalisation 176 665, 30 francs suisses, incapacité permanente partielle 100 % 1 000 000 francs français, préjudice esthétique important 100 000 francs français, préjudice d'agrément 50 000 francs français, préjudice sexuel 150 000 francs français, soit en tenant compte d'une parité de 3, 92 francs suisses pour 1 franc français au jour du jugement, une somme globale de 2 710 963, 30 francs français qui constitue l'assiette du recours des organismes sociaux ayant servi des prestations ; que ces derniers ont été amenés à servir au titre des indemnisations diverses 451 069, 30 francs suisses, et à constituer un capital représentatif de rente d'accident du travail de 461 652 francs suisses ; que leur créance de 3 577 867, 30 francs français au jour du jugement sera récupérée à due concurrence de celle mise à la charge du tiers responsable et que X... ne pourra prétendre à aucune indemnisation complémentaire ;
" et aux motifs que dans ses estimations des divers postes de préjudices, conformes aux normes habituellement en usage devant la Cour de céans, le premier juge a manifestement tenu compte des observations faites par le prévenu ainsi que de l'âge et de la profession de la victime ;
" alors que le préjudice de droit commun servant de limite au recours des organismes de sécurité sociale, en cas d'accident imputable à un tiers, doit être apprécié en tous ses éléments même s'il est en totalité ou en partie réparé par le service de ces prestations ; que dès lors, en ne tenant compte, pour l'évaluation du préjudice global, que des frais exposés par les organismes sociaux suisses au titre de l'incapacité temporaire totale et des frais médicaux et d'hospitalisation, sans y intégrer les autres prestations sociales, qu'elle a pourtant retenues en totalité dans leur créance, la Cour a minoré le préjudice de X... et l'a privé en conséquence de l'indemnité complémentaire à laquelle il aurait pu prétendre contre le tiers responsable ; qu'ainsi elle a violé les articles L. 376-1 et L. 454-1 du Code de la sécurité sociale " ;
Attendu que, statuant sur l'indemnisation de X..., ingénieur travaillant en Suisse, victime d'un accident dont Z... avait été jugé responsable, la cour d'appel évalue le préjudice découlant de l'atteinte à l'intégrité physique en y comprenant les frais médicaux et d'hospitalisation, entièrement pris en charge par deux organismes suisses de sécurité sociale, et les pertes de gains subies pendant la période d'incapacité temporaire de travail, également compensées par les prestations de ces organismes ; qu'elle ajoute à ces deux chefs de dommage une indemnité réparant l'incapacité permanente de travail et une autre pour frais d'assistance d'une tierce personne, mais non les autres prestations des tiers payeurs ;
Attendu qu'en cet état l'arrêt n'encourt pas le grief allégué ;
Qu'en effet, les dépenses occasionnées aux organismes sociaux par un accident dont leur assuré est victime, et qui leur sont imposées par la loi, ont un caractère forfaitaire et ne sont pas nécessairement équivalentes au préjudice résultant de l'infraction, préjudice dont le juge apprécie souverainement l'étendue ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le second moyen de cassation, pris de la violation de l'article 3 du Code civil, des articles L. 376-1 et L. 454-1 du Code de la sécurité sociale, des articles 2 et 35 de la Convention franco-suisse du 3 juillet 1975, des articles 41 et 43 de la loi fédérale suisse sur l'assurance-accidents du 20 mars 1981, et de l'article 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt attaqué, appliquant la loi helvétique sur l'assurance-accidents du 20 mars 1981 en vertu de la Convention franco-suisse du 3 juillet 1975, a décidé que la Caisse nationale suisse et l'Assurance-invalidité pourraient exercer leur recours sur l'intégralité des sommes mises à la charge du tiers responsable de l'accident dont a été victime le demandeur, à due concurrence de celles-ci et au marc le franc, y compris sur la provision de 40 000 francs déjà allouée à ce dernier ;
" aux motifs que les conventions internationales ont une force supérieure aux règles de droit interne, qu'en droit helvétique le tort moral s'entend des souffrances physiques ou psychiques que ressent la victime à la suite d'une atteinte à sa personnalité ; que cette définition conduit à assimiler l'atteinte à l'intégrité et le tort moral du droit helvétique au préjudice personnel du droit français, qu'ainsi les assureurs sont en droit helvétique subrogés dans les droits que le bénéficiaire tient à l'égard du tiers responsable y compris pour le préjudice personnel ; que les dispositions de la Convention franco-suisse de sécurité sociale du 3 juillet 1975 s'imposant et devant recevoir application, la Caisse nationale suisse exercera son recours sur la totalité des sommes allouées à Robert X... en réparation de l'intégralité de son préjudice corporel ;
" alors que, d'une part, la loi helvétique sur l'assurance-accidents du 20 mars 1981, qui autorise l'assureur subrogé à exercer son recours contre le tiers responsable non seulement sur l'indemnité pour l'atteinte à l'intégrité physique mais également sur l'indemnité à titre de réparation morale, est contraire à la conception française de l'ordre public international qui réserve aux victimes assurées sociales la part d'indemnité réparant leur préjudice personnel ; que dès lors, en autorisant la Caisse nationale suisse et l'Assurance-invalidité à exercer leur recours sur la totalité des sommes allouées au demandeur en réparation de l'intégralité de son préjudice, l'arrêt attaqué a violé l'article 3 du Code civil et les articles L. 376-1 et L. 454-1 du Code de la sécurité sociale susvisés ;
" alors que, d'autre part, en se bornant à affirmer, pour faire droit au recours de la Caisse nationale suisse et de l'Assurance-invalidité, que les dispositions de la Convention franco-suisse du 3 juillet 1975 s'imposaient, sans relever que les prestations, dont elles poursuivaient le remboursement sur le fondement de la loi fédérale suisse sur l'assurance-accidents qui était postérieure à cet accord, avaient été versées en vertu d'une législation de sécurité sociale entrant dans le champ d'application de ladite Convention, la Cour a entaché sa décision d'un défaut de base légale au regard des articles 2 et 35 de la Convention du 3 juillet 1975 ;
" et alors, enfin, qu'en toute hypothèse, il résulte de l'article 43 de la loi fédérale suisse sur l'assurance-accidents que les droits passent à l'assureur séparément pour les prestations de même nature ; que dès lors en décidant que la Caisse nationale suisse et l'Assurance-invalidité exerceraient leur recours sur la totalité des sommes allouées au demandeur en réparation de son préjudice sans répondre au chef des conclusions du demandeur soulignant qu'en application de cette loi il n'y avait pas compensation entre chefs de préjudices distincts pour l'exercice de la subrogation, ce qui démontrait que le recours ne pouvait être admis que sur les indemnités réparant les mêmes chefs de préjudice que les prestations et à concurrence de celles-ci, l'arrêt attaqué a entaché sa décision d'un défaut de motifs " ;
Sur la première et la deuxième branches :
Attendu qu'en faisant application en l'espèce de la loi fédérale suisse du 20 mars 1981 sur l'assurance-accidents les juges ont admis à bon droit, d'une part, que les prestations versées à X... par la Caisse nationale suisse et par l'Assurance-invalidité l'avaient été en vertu d'une législation de sécurité sociale entrant dans le champ d'application de la Convention franco-suisse du 3 juillet 1975, d'autre part, que cette loi n'était pas contraire à la conception française de l'ordre public international ;
D'où il suit qu'en ses deux premières branches le moyen doit être écarté ;
Mais sur la troisième branche :
Vu la Convention de sécurité sociale entre la République française et la Confédération suisse, en date du 3 juillet 1975, et l'article 43 de la loi fédérale suisse du 20 mars 1981 sur l'assurance-accidents ;
Attendu qu'aux termes du premier alinéa de ce dernier texte " les droits passent à l'assureur séparément pour les prestations de même nature " ; que, selon le deuxième alinéa, sont notamment de même nature l'indemnité pour atteinte à l'intégrité et l'indemnité à titre de réparation morale ;
Attendu qu'après avoir exactement exposé que les dommages-intérêts alloués, selon le droit suisse de la responsabilité civile, à titre de réparation morale équivalent à ceux qui, en droit français, réparent le préjudice de caractère personnel, la juridiction du second degré relève que X... a reçu des organismes suisses d'assurance ou de l'un d'eux une indemnité de 52 500 francs suisses pour atteinte à l'intégrité, conformément aux dispositions des articles 24 et 25 de la loi susvisée ; qu'ajoutant alors cette somme aux autres prestations des tiers payeurs, elle constate que la créance totale de ces derniers est supérieure à l'évaluation du préjudice global de la victime et en déduit que cette dernière n'a droit à aucune indemnité complémentaire ;
Mais attendu qu'en se déterminant de la sorte alors qu'en vertu du principe de séparation régissant, en droit suisse, la subrogation des organismes de sécurité sociale, seule la prestation versée pour atteinte à l'intégrité devait être imputée sur l'indemnité réparant le préjudice de caractère personnel et que, ce dernier ayant été évalué à une somme supérieure à cette prestation, il en ressortait un solde au profit de la victime, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée du texte susvisé ;
D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;
Et attendu que, les juges du fond devant évaluer à la date où ils statuent tant le préjudice résultant de l'infraction que la mesure dans laquelle ledit préjudice est réparé par les prestations sociales, la cassation doit s'étendre à toutes les dispositions de l'arrêt afférentes à l'évaluation du dommage de X... et au recours des organismes suisses d'assurance-accidents ;
Par ces motifs :
REJETTE le pourvoi en tant qu'il est formé par Monique X... ;
Sur le pourvoi de Robert X... ;
CASSE ET ANNULE l'arrêt de la cour d'appel de Riom en date du 28 avril 1988, mais seulement en ce qu'il a évalué le préjudice corporel global de X... et s'est prononcé sur les recours de la Caisse nationale suisse d'assurances et de l'Assurance-invalidité, et pour qu'il soit jugé à nouveau, conformément à la loi, dans la limite de la cassation ainsi prononcée :
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Lyon.