Sur le premier moyen du pourvoi principal :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Lyon, 2 juillet 1986) que le 2 janvier 1974, Mme Y... a été admise à la polyclinique de Rillieux pour y accoucher ; que Mme X..., sage-femme qui pratiqua l'accouchement, s'est trouvée au moment de l'expulsion en présence d'une complication due à une dystocie des épaules qui l'obligea à opérer des tractions sur le cou de l'enfant ; que le médecin de garde, arrivé peu après la naissance, constata une paralysie du plexus brachial droit due aux manoeuvres de la sage-femme ; que celle-ci, poursuivie devant la juridiction pénale du chef de blessures involontaires, a été relaxée ; que les époux Y..., agissant en qualité d'administrateurs légaux de leur fils mineur, assignèrent la clinique en responsabilité, lui reprochant l'absence d'un médecin à l'accouchement ; que la cour d'appel a condamné la clinique à des dommages-intérêts, en réparation de la perte de chance pour l'enfant de naître sans les séquelles dont il a été atteint ;
Attendu que la Polyclinique de Rillieux fait grief à l'arrêt d'avoir ainsi statué alors, selon le moyen, d'une part, qu'aucune disposition légale ou réglementaire n'obligeait la clinique à disposer d'une organisation permettant l'intervention immédiate d'un médecin aux côtés de la sage-femme en cas de dystocie ; qu'en déduisant l'existence d'une telle obligation de ce que les sages-femmes ne sont pas normalement habilitées à procéder aux accouchements dystociques mais doivent faire appel au médecin dans les conditions prévues par les articles L. 369 du Code de la santé publique et 23 du Code de déontologie qui leur est applicable, la cour d'appel a violé, par fausse application les textes susvisés ; et alors, d'autre part, que la clinique n'avait d'autre obligation que de mettre à la disposition de la patiente un personnel qualifié pour pratiquer l'accouchement dans les conditions requises par le diagnostic prénatal ; que, dès lors, la cour d'appel qui relève qu'un accouchement difficile pouvait être envisagé et qui en déduit que la clinique a manqué à son obligation de donner à sa cliente les soins nécessités par la dystocie, sans rechercher s'il existait un risque réel et normalement prévisible de dystocie, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du Code civil ;
Mais attendu que l'arrêt retient justement qu'il résulte de l'article L. 369 du Code de la santé publique faisant obligation aux sages-femmes d'appeler un médecin en cas d'accouchement dystocique et de l'article 23 du Code de déontologie ne les autorisant à donner des soins de la compétence du médecin qu'au seul cas de force majeure, que les sages-femmes ne sont pas normalement habilitées à procéder aux accouchements dystociques et que, dans une telle hypothèse, il appartient au médecin de prendre les dispositions qu'imposent les circonstances ; qu'ayant relevé, d'une part, que le jour de l'accouchement, le médecin de garde attaché à l'établissement était également de service dans une clinique située dans une autre agglomération de sorte qu'il n'était pas en mesure - le temps de trajet entre les deux localités ne pouvant être inférieur à 15 ou 20 minutes - d'intervenir efficacement en cas d'urgence et, d'autre part, que la fiche établie au nom de la cliente par son médecin
traitant révélait qu'un accouchement difficile pouvait être envisagé en raison de la naissance dans les années précédentes de deux enfants pesant respectivement 4 et 5 kilos, la cour d'appel a pu déduire, de ces seules constatations et énonciations, que la polyclinique de Rillieux avait manqué à son obligation de donner les soins nécessités par la dystocie en ne mettant pas, au service de sa cliente, un médecin en temps utile ; que le moyen n'est donc fondé en aucune de ses branches ;
Sur le second moyen du pourvoi principal pris en ses deux branches et sur le moyen unique du pourvoi incident :
Attendu qu'il est encore fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir condamné la Polyclinique de Rillieux à indemniser le préjudice résultant de la perte pour l'enfant de la chance de naître sans les séquelles dont il a été victime alors, selon le second moyen du pourvoi principal, que, d'une part, la décision de relaxe dont a bénéficié la sage-femme a jugé qu'il n'était pas démontré que les manoeuvres effectuées aient été maladroites et moins efficaces que celles auxquelles aurait pu procéder le médecin ; que dès lors en affirmant que l'absence du médecin est en relation de causalité directe avec la perte d'une chance, la cour d'appel a violé l'autorité de la chose jugée et alors, d'autre part, que l'arrêt attaqué qui constate que l'absence du médecin a augmenté les risques d'exposition à des tractions trop violentes génératrices des lésions et les risques d'inefficacité des manoeuvres de pression utérine dont ont été chargées des puéricultrices et qui ordonne la réparation de ce préjudice purement hypothétique au motif qu'il y avait eu perte d'une chance de naître sans séquelles en relation de causalité avec l'absence du médecin, méconnaît le droit à réparation et viole l'article 1147 du Code civil ; qu'il est encore soutenu, dans le moyen unique du pourvoi incident, que le dommage déjà réalisé dans ses conséquences au moment où la responsabilité est appréciée n'est pas constitutif d'une perte de chance ; que la cour d'appel qui après avoir estimé que le dommage subi par le jeune Y... était certain et devait être évalué à la somme de 943 000 francs a fixé néanmoins l'indemnisation à la somme de 700 000 francs en considérant que ce dommage consistait en la perte d'une chance, a violé l'article 1147 du Code civil ;
Mais attendu qu'analysant les documents produits, la cour d'appel retient que la dystocie des épaules requiert l'exécution de diverses manoeuvres précises et complexes et qu'il n'est pas contestable que les connaissances et la pratique d'un médecin contribuent à leur efficacité, les sages-femmes n'étant pas qualifiées pour les exécuter de même que les puéricultrices auxquelles Mme X... a dû avoir recours pour exercer des manoeuvres de pression utérine ; qu'ayant ainsi admis qu'un médecin aurait été en mesure de résoudre la complication survenue à l'accouchement avec de meilleures chances de succès, la cour d'appel a pu estimer que l'absence fautive d'un praticien était en relation directe de cause à effet avec la privation pour l'enfant de chances de naître sans séquelles ; que les juges du second degré qui ne pouvaient dès lors condamner la clinique à réparer en totalité les conséquences de l'invalidité invoquée, ont ainsi, sans violer l'autorité de la chose jugée attachée à la décision de relaxe dont a bénéficié Mme X..., légalement
justifié leur décision ; que les moyens ne sont donc pas fondés ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE les pourvois