CASSATION PARTIELLE sur le pourvoi formé par :
- X... John Mc George,
- Y... James,
parties civiles,
contre un jugement du tribunal aux armées des forces françaises en Allemagne, séant à Landau, du 23 janvier 1985, qui, dans des poursuites exercées contre Bruno Z... et Alain A... du chef de blessures involontaires, a déclaré recevable leur constitution de partie civile et les a déboutés de leurs demandes.
LA COUR,
Vu les mémoires produits tant en demande qu'en défense ;
Sur le premier moyen de cassation commun aux demandeurs, pris de la violation de l'acte de capitulation allemande signé à Berlin le 8 mai 1945, de la déclaration interalliée de Berlin du 5 juin 1945, de la loi du 10 mai 1946 portant fixation de la date légale de cessation des hostilités, du décret n° 51-883 du 9 juillet 1951, des déclarations de la kommandatura interalliée de Berlin des 14 mai 1949, 7 mars 1951 et 5 mai 1955 relatives au statut de Berlin, des accords de Londres du 3 octobre 1954, du traité de Paris du 23 octobre 1954, ensemble violation par fausse application des règles du droit coutumier de la guerre et par refus d'application des principes généraux de la responsabilité civile, violation des articles 485 et 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale :
" en ce que le jugement attaqué a débouté les militaires britanniques X... et Y..., victimes d'un grave accident de la circulation survenu le 20 mai 1983 à Berlin-Ouest par la faute pénalement sanctionnée des militaires français Z...et A..., de leur demande en réparation de leur préjudice, dirigée contre ceux-ci et l'Etat français ;
" aux motifs que, s'ils sont bien recevables, en vertu de l'article 91 du Code de justice militaire, à se constituer parties civiles devant le tribunal aux armées de Landau, il y a lieu, la Haute Commission alliée, seule compétente pour légiférer en matière de dommages causés par un membre d'une force alliée à un autre membre de cette force, n'ayant édicté aucune règle sur ce point, " en l'absence de tout texte régissant cette matière et comme le statut de l'occupation consacre l'abandon du principe selon lequel les armées en territoire étranger emportent avec elles leur législation nationale... d'appliquer le droit coutumier de la guerre, chaque force prenant en charge les dommages subis par ses membres " (cf. jugement attaqué, p. 11, trois derniers attendus et p. 12, 3e à 5e attendus) ;
" alors que le droit coutumier de la guerre, susceptible de déroger par exception au principe général applicable dans toutes les nations civilisées selon lequel tout fait de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer, ne peut trouver à s'appliquer que dans les cas où règne entre des belligérants un état de guerre déclaré et n'ayant pas encore cessé ; qu'un tel état de guerre ayant pris fin de longue date à Berlin, ainsi qu'il résulte notamment de l'acte du 8 mai 1945, de la Déclaration du 5 juin 1945 et de la loi du 10 mai 1946 susvisés, le tribunal militaire ne pouvait légalement invoquer le droit coutumier de la guerre pour refuser d'appliquer les principes généraux de la responsabilité civile aux conséquences pour des militaires britanniques d'un accident de la circulation causé le 20 mai 1983 par la faute de militaires français ;
" et alors que le statut de l'occupation en vigueur à Berlin ne saurait y justifier l'application du droit coutumier de la guerre après la cessation de celle-ci, ainsi que le jugement attaqué l'admet du reste de façon contradictoire en relevant qu'il consacre l'abandon du principe selon lequel les armées en territoire étranger emportent avec elles leur législation nationale ; qu'il résulte en effet de l'ensemble des textes susvisés relatifs au statut de l'occupation de Berlin et de l'article 4 du traité de Paris du 23 octobre 1954 que cette occupation poursuit des fins étrangères aux opérations de guerre qui l'avaient d'abord provoquée, puis aux intérêts publics qui en avaient ensuite commandé la continuation après la cessation de celles-ci et qu'il s'agit de l'occupation militaire pacifique d'un territoire étranger non ennemi exclusive de toute application du droit coutumier de la guerre " ;
Et sur le second moyen de cassation commun aux demandeurs, pris de la violation des articles 591 et 593 du Code de procédure pénale, ensemble violation par refus d'application soit de la convention de La Haye du 4 mai 1971 sur la loi applicable en matière d'accidents de la circulation routière, ratifiée par décret du 26 juin 1975, soit de l'article 1382 du Code civil, défaut de motifs et défaut de base légale :
" en ce que le tribunal a débouté X... et Y... de leurs demandes en réparation du préjudice subi par eux du fait de l'accident dont les militaires Z... et A... ont été déclarés entièrement responsables, dirigées contre ceux-ci et l'Etat français ;
" aux motifs, notamment, que la Haute Commission alliée n'ayant pas légiféré quant aux dommages causés par un membre d'une force alliée à un autre membre de cette force, il y a lieu, en l'absence de tout texte régissant cette matière et comme le statut de l'occupation consacre l'abandon du principe selon lequel les armées en territoire étranger emportent avec elles leur législation nationale, d'appliquer le droit coutumier de la guerre, chaque force prenant en charge les dommages subis par ses membres (cf. jugement attaqué, p. 12, 3e et 4e attendus) ;
" alors que, d'une part, l'absence de texte réglant de manière spécifique la question des dommages causés par un membre d'une force alliée à un autre membre de cette même force sur le territoire de Berlin impose aux juges saisis du litige de recourir aux principes généraux du droit commun international ; que la convention de La Haye du 4 mai 1971 sur la loi applicable en matière d'accidents de la circulation routière, ratifiée par décret du 26 juin 1975, désigne comme loi applicable la loi interne de l'Etat sur le territoire duquel l'accident est survenu ; que le tribunal ne pouvait, dans ces conditions, après avoir constaté l'absence de texte spécial réglant la matière, s'abstenir de faire application à un accident de la circulation survenu à Berlin en 1983 entre deux militaires de nationalité différente de cette Convention, qui constitue le droit commun français en matière d'accidents de la circulation routière présentant un caractère international ;
" alors que, d'autre part, et en tout état de cause, même si la convention de La Haye du 4 mai 1971 et, plus généralement, les règles du droit international privé français devaient être jugées inapplicables à une action civile tendant à obtenir réparation du dommage causé par un accident de la circulation survenu entre militaires de nationalité différente, sur un territoire étranger occupé par les forces alliées, exercée devant un tribunal militaire français désigné en vertu de textes spéciaux, le droit commun applicable en l'espèce n'en serait pas pour autant le droit coutumier de la guerre mais bien la loi française, en tant que loi du tribunal saisi ; que le tribunal ne pouvait, en effet, appliquer, à défaut de textes spécifiques en la matière et à titre de droit commun, qu'une loi actuellement en vigueur dans l'un des pays concernés par le litige, à l'exclusion du droit coutumier de la guerre " ;
Les moyens étant réunis ;
Vu lesdits articles, ensemble l'article 91 du Code de justice militaire ;
Attendu qu'aux termes de ce dernier texte l'action civile en réparation du dommage causé par l'une des infractions qui sont de la compétence du tribunal aux armées appartient à ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par l'infraction ;
Attendu qu'il appert de la décision attaquée que Z... et A..., militaires français du 11e régiment de chasseurs, stationné à Berlin, ont été déclarés coupables du délit de blessures involontaires commis, le 16 mai 1983 à Berlin, en secteur britannique, au cours de la répétition d'un défilé interallié, les victimes étant deux militaires du " Royal Irish Rangers " ;
Attendu que les juges après avoir déclaré les constitutions de partie civile de John Mc George X... et de James Mac Carthy Morrogh recevables, sur le fondement de l'article 91 du Code de justice militaire, énoncent que, Berlin n'étant pas en République fédérale d'Allemagne, et la Haute Commission alliée n'ayant pas légiféré quant à la réparation des dommages causés par un membre d'une des forces alliées à un membre d'une autre de ces forces, il y a lieu d'appliquer le droit coutumier de la guerre, chaque force prenant en charge les dommages subis par ses membres ;
Mais attendu, d'une part, que, s'il est exact que Berlin est soumis à un statut d'occupation auquel ne sont applicables ni les dispositions de la convention de Londres du 19 juin 1951, ni celles des accords de Paris, les rapports juridiques entre membres des forces alliées qui, selon la définition de la loi n° 2 du 9 février 1950 édictée par la kommandatura interalliée, englobent les forces d'occupation, ne sont pas non plus régis par la législation de la kommandatura interalliée en matière d'indemnisation des dommages d'occupation, législation qui suppose notamment que le dommage n'a pas été causé au cours d'une activité interalliée par un membre d'une force d'occupation à un membre d'une autre de ces forces ;
Attendu, d'autre part, que la compétence du tribunal aux armées des forces françaises en Allemagne implique, en l'absence de toute autre législation particulière, l'application des dispositions du Code de justice militaire ; que dès lors la recevabilité de la constitution de partie civile en application de l'article 91 du Code de justice militaire faisait obligation aux juges de réparer le dommage découlant directement de l'infraction ;
Attendu qu'en cet état le tribunal, en déboutant les parties civiles de leurs demandes au motif que le droit coutumier de la guerre était seul applicable, a méconnu le sens et la portée du principe sus-énoncé ;
Qu'il s'ensuit que la cassation est encourue de ce chef ;
Par ces motifs :
CASSE ET ANNULE le jugement du tribunal aux armées des forces françaises en Allemagne du 23 janvier 1985, mais seulement en ce qu'il a débouté les parties civiles, les autres dispositions étant expressément maintenues, et pour être statué à nouveau conformément à la loi :
RENVOIE la cause et les parties devant le tribunal aux armées des forces françaises en Allemagne autrement composé.