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20/10/1987 | FRANCE | N°87-80320

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 20 octobre 1987, 87-80320


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique, tenue au Palais de Justice, à PARIS, le vingt octobre mil neuf cent quatre vingt sept, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire GUIRIMAND, les observations de Me CHOUCROY, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général GALAND ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
- X... Franck,
contre un arrêt de la cour d'appel de LYON (4ème chambre) en date du 16 décembre 1986 qui, sur renvoi après cassation, l'a condamné à 4 000 francs d'amende pour blessures involo

ntaires et infraction aux règles relatives à la sécurité des travailleur...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique, tenue au Palais de Justice, à PARIS, le vingt octobre mil neuf cent quatre vingt sept, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire GUIRIMAND, les observations de Me CHOUCROY, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général GALAND ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
- X... Franck,
contre un arrêt de la cour d'appel de LYON (4ème chambre) en date du 16 décembre 1986 qui, sur renvoi après cassation, l'a condamné à 4 000 francs d'amende pour blessures involontaires et infraction aux règles relatives à la sécurité des travailleurs, ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 319 du Code pénal, 5, 17, 40 du décret du 8 janvier 1965, L. 263-2 du Code du travail, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, défaut de réponses à conclusions, manque de base légale,
" en ce que l'arrêt attaqué a condamné l'employeur du chef de délit de blessures involontaires et d'infraction à la réglementation du travail ;
" aux motifs que la chute du fût qui est à l'origine des blessures subies par la victime a pour cause le mauvais élingage de ce fût, dont l'arrimage avait été effectué en son centre par un seul brin de l'élingue, au lieu d'être suspendu au crochet de la grue par les deux brins ; que le demandeur soutient que l'importance de son entreprise lui imposait de déléguer ses pouvoirs en matière de sécurité à ceux de ses préposés qui avaient en charge la responsabilité des différents chantiers ; qu'il précise que sur le chantier litigieux, son délégataire était Louis Y... ; qu'il résulte d'une attestation dactylographiée datée du 12 avril 1985 que celui-ci avait " l'entière direction et surveillance " du chantier ; qu'exerçant les fonctions de chef de chantier depuis juillet 1976, il était parfaitement informé, à travers son expérience personnelle et la lecture d'un ouvrage intitulé " memento du chef de chantier de gros-oeuvre ", qui lui avait été remis en 1977, des précautions à prendre pour la manutention des matériaux ou objets soulevés ; qu'il disposait d'ouvriers expérimentés, rompus à ces manoeuvres, sur lesquels il avait toute l'autorité requise, et d'un matériel approprié, dix élingues neuves ayant été acquises par l'entreprise X... dans la seule année 1980 ; qu'enfin il avait accepté la délégation de pouvoirs de ce dernier en pleine connaissance de cause ; que l'existence de la délégation et son acceptation par M. Y..., ne peuvent être contestées ; qu'il importe de vérifier si M. Y... qui disposait de la compétence et de l'autorité nécessaires avait des moyens suffisants pour assurer efficacement la direction du chantier et veiller à l'application des règles de sécurité ; qu'il est acquis, du propre aveu de M. Y... que lors de l'accident, il était seul en fonction sur un grand chantier où manoeuvraient trois grues et qu'il avait sous sa surveillance 25 ouvriers ; qu'il a reconnu l'impossibilité dans laquelle il se trouvait d'être averti du déplacement du fût et de savoir quels étaient les manoeuvres responsables de l'arrimage ; que X... lui-même a déclaré que le déplacement du fût était intervenu sans que le chef de chantier en fût averti ; que cet énoncé suffit à révéler que les conditions d'organisation et de mise en oeuvre du travail sur le chantier placé sous le contrôle de M. Y... étaient manifestement insuffisantes, du fait de l'importance de ce chantier pour lui permettre d'en garder la maîtrise et de veiller au strict respect des règles de sécurité ; que si occupé qu'il fut, il appartenait au demandeur de s'assurer personnellement que son chef de chantier disposait des moyens et prenait les mesures nécessaires pour la bonne organisation de ce chantier ; qu'il n'a, à l'évidence, pas satisfait à cette obligation qui relevait de son autorité personnelle de chef d'entreprise ; que là réside la faute, en relation directe de cause à effet avec l'accident dont a été victime M. Z..., de nature à engager la responsabilité pénale du prévenu ; que pour les mêmes raisons, M. Y..., dépassé par l'ampleur des tâches à accomplir, n'a pas été à même de s'assurer de l'utilisation par l'ouvrier A... qui travaillait à plus de trois mètres de hauteur, du baudrier de sécurité exigé en la circonstance et disponible sur le chantier ;
" alors que, d'une part, la Cour d'appel a omis de répondre aux conclusions du demandeur soulignant que tant le chef de chantier, M. Y... qui disposait d'une délégation de pouvoir que les ouvriers, employés de longue date sur le chantier de Saint-Antoine à Grasse savaient qu'un fût enlevé par une grue devait être attaché par les deux brins de l'élingue ; que X... avait assuré à M. Y... une formation technique, que dès lors celui-ci jouissait de l'autorité et des moyens nécessaires pour assurer la sécurité des travailleurs ; " alors d'autre part, qu'il résulte des propres constatations de l'arrêt attaqué rappelant le contenu de l'attestation établie par M. Y... que celui-ci exerçait les fonctions de chef de chantier depuis juillet 1976, qu'il était parfaitement informé des précautions à prendre pour la manutention des matériaux ou des objets soulevés ; qu'il avait toute l'autorité requise sur les ouvriers expérimentés et disposait d'un matériel approprié (élingues neuves et baudriers) ; qu'ainsi M. Y... avait accepté la délégation de pouvoirs en pleine connaissance de cause ; que, dès lors, X... qui avait délégué, de façon explicite, ses pouvoirs à un chef de chantier pourvu de la compétence, de l'autorité et des moyens nécessaires pour veiller efficacement à l'observation des dispositions en vigueur n'a commis aucune faute personnelle susceptible d'engager sa responsabilité pénale ; que, pour en avoir autrement décidé, la Cour d'appel n'a pas tiré de ses propres énonciations les conséquences légales qui en découlaient nécessairement " ;
Vu lesdits articles ;
Attendu que, si le chef d'établissement, tenu de veiller personnellement à la stricte et constante exécution des dispositions édictées pour assurer la sécurité des travailleurs est, en règle générale, pénalement responsable des infractions constatées à cet égard sur ses chantiers, il peut toutefois être exonéré de cette responsabilité s'il rapporte la preuve qu'il a délégué ses pouvoirs à un préposé investi par lui et pourvu de la compétence, de l'autorité et des moyens nécessaires pour veiller efficacement à l'observation des dispositions en vigueur ; que si pour être exonératoire, une telle délégation doit être certaine et exempte d'ambiguïté, sa preuve n'est pourtant soumise à aucune forme particulière ;
Attendu qu'il appert de l'arrêt attaqué que le 22 décembre 1980, Z..., salarié de l'entreprise dirigée par X..., a été victime d'un accident du travail sur un chantier de construction ouvert à Grasse, un fût de goudron insuffisamment arrimé au crochet d'une grue, s'étant détaché au cours d'une opération de levage et étant tombé à proximité de l'ouvrier qui a été gravement blessé ; qu'au cours de l'enquête, un contrôleur du travail a, par ailleurs, constaté qu'un ouvrier travaillait à plus de trois mètres au dessus du sol sans être protégé contre les risques de chute par aucun dispositif, individuel ou collectif, en violation des prescriptions du décret du 8 janvier 1965 ; Attendu que, pour se défendre aux poursuites exercées contre lui des chefs de blessures involontaires ayant entraîné une incapacité de travail d'une durée supérieure à 3 mois et d'infraction aux règles relatives à la sécurité des travailleurs, X... a soutenu qu'exploitant en même temps plusieurs chantiers, il avait délégué ses pouvoirs, notamment en matière de sécurité, à des chefs de chantier compétents et possédant l'autorité nécessaire ; qu'en ce qui concerne le lieu où s'était produit l'accident, il a présenté aux juges une attestation dûment signée du chef de chantier Y... et d'où il résultait que ce dernier avait l'entière direction et la surveillance du travail ; qu'exerçant ses fonctions depuis 1976, il était parfaitement informé par son expérience et par l'étude d'un ouvrage intitulé " memento du chef de chantier de gros-oeuvre " remis par son employeur en 1977, des précautions à prendre pour la manutention des matériaux ou objets soulevés ; qu'il disposait d'ouvriers expérimentés, rompus à ces manoeuvres et sur lesquels il avait toute l'autorité requise, ainsi que du matériel approprié, notamment de 10 élingues neuves acquises en 1980 par l'entreprise ; qu'enfin, il avait accepté la délégation en pleine connaissance de cause ;
Attendu que, pour retenir la responsabilité pénale du chef d'entreprise, la cour d'appel, qui admet l'authenticité et la validité de la délégation de pouvoirs consentie, en matière de sécurité, à un proposé possédant la compétence et l'autorité nécessaires, énonce qu'il résulte des éléments de la cause que le chef de chantier ne disposait pas de moyens suffisants pour assurer efficacement la direction du chantier et veiller à l'application des règles de sécurité ; qu'elle relève qu'aux termes mêmes des déclarations des intéressés, Y... était, lors de l'accident, seul responsable d'un important chantier où manoeuvraient 3 grues ; qu'il devait contrôler le travail de 25 ouvriers et qu'il avait été impossible de l'avertir de la manoeuvre entreprise en vue du déplacement du fût, de sorte qu'il ne savait pas, lui-même, qui avait procédé à l'opération ; que, dépassé par l'ampleur des tâches qui lui incombaient, il n'avait pas davantage été en mesure de vérifier si un ouvrier travaillant à plus de 3 mètres de hauteur, avait pris la précaution de se munir d'un baudrier ;
Attendu que les juges en déduisent que ces faits suffisent à révéler que les conditions d'organisation et de mise en oeuvre du travail sur le chantier placé sous la direction de Y... étaient, compte tenu de son étendue, insuffisantes pour lui permettre d'en garder la maîtrise et de veiller au strict respect des règles de sécurité ; qu'il appartenait à X... de s'assurer que le chef de chantier disposait des moyens et pouvait prendre les mesures nécessaires à une bonne organisation du travail ; qu'il n'a, à l'évidence, pas satisfait à cette obligation qui relevait de sa propre qualité de chef d'entreprise ; qu'il a ainsi commis une faute personnelle, laquelle est en relation directe avec l'accident dont a été victime Z... ;
Mais attendu qu'en statuant ainsi, la Cour d'appel a méconnu les principes ci-dessus rappelés ; que bien qu'elle eût admis la réalité de la délégation de pouvoirs consentie à un préposé compétent, possédant l'autorité nécessaire et disposant des moyens matériels suffisants, elle n'en a pas moins mis à la charge du chef d'entreprise l'obligation de veiller personnellement à la bonne marche du chantier en vue de l'exécution de tâches quotidiennement effectuées par un personnel spécialisé et dont il appartenait au délégataire, chargé de la direction du chantier, d'assurer la bonne exécution dans le respect des règles de sécurité ; D'où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs, et sans qu'il y a ait lieu de statuer sur le premier moyen,
CASSE et ANNULE l'arrêt de la cour d'appel de LYON en date du 16 décembre 1986, Et pour être statué à nouveau conformément à la loi,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Riom, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 87-80320
Date de la décision : 20/10/1987
Sens de l'arrêt : Cassation
Type d'affaire : Criminelle

Analyses

TRAVAIL - Hygiène et sécurité des travailleurs - Responsabilité pénale du chef d'entreprise - Exonération - Délégation de pouvoirs - Préposé pourvu de la compétence et de l'autorité nécessaire - Constatations.


Références :

Code du travail L263-2
Code pénal 319
Décret du 08 janvier 1965 art. 5, art. 17, art. 40

Décision attaquée : Cour d'appel de Lyon, 16 décembre 1985


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 20 oct. 1987, pourvoi n°87-80320


Composition du Tribunal
Président : M.
Avocat général : M. GALAND

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:1987:87.80320
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