REJET des pourvois formés par :
1) X... Petrus, agissant en son nom personnel et en qualité de gérant de la SARL Filetra,
2) Y... Julius,
contre un arrêt de la cour d'appel de Paris, 12e chambre, en date du 25 novembre 1985, qui, le premier du chef de constitution illicite par un résident d'avoirs à l'étranger et le second pour complicité de ce délit, les a dispensés de sanctions pénales et les a condamnés à diverses pénalités douanières.
LA COUR,
Vu la connexité joignant les pourvois ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation pris de la violation et fausse application des articles 3 du décret du 24 novembre 1968, 67 et 106 du traité de Rome, 459 du Code des douanes, 512 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré X... coupable d'infraction à la législation sur les changes par constitution d'avoirs à l'étranger portant sur une somme de 154 775, 41 francs et Y... complice de cette dernière infraction ;
" aux motifs en premier lieu qu'une décision européenne de la Commission des Communautés européennes du 4 décembre 1968 autorise la République française à prendre des mesures de sauvegarde ou à soumettre à autorisation préalable certaines transactions ou transferts ; que cette autorisation demeure nécessaire même si la réglementation a subi certaines modifications ; qu'ainsi les articles 1er à 6 du décret du 24 novembre 1968 ne sont pas contraires à la liberté de circulation des paiements prévue par l'article 106 du traité de Rome ;
" alors que, d'une part, en ce qu'il prohibe tous transferts ou opérations de change en France, tendant à la constitution par un résident d'avoirs à l'étranger, l'article 3 du décret du 24 novembre 1968 est contraire à l'article 106 du traité de Rome, lequel dispose que la liberté de circulation des paiements constitue un complément nécessaire à la libre circulation des marchandises et prévaut en outre sur la loi interne en vertu de l'article 55 de la Constitution ; qu'en déclarant le contraire la Cour a violé les textes susvisés ;
" alors que, d'autre part, en se bornant à affirmer que la décision de la Commission des Communautés européennes en date du 4 décembre 1968, ayant autorisé la République française à prendre des mesures de sauvegarde ou à soumettre à autorisation préalable certaines transactions ou transferts, demeurait nécessaire même si la réglementation avait subi certaines modifications, sans aucunement justifier du bien-fondé de cette affirmation, ni répondre aux conclusions par lesquelles les prévenus avaient expressément fait valoir que ladite décision n'avait été prise qu'à titre temporaire et n'avait plus lieu de s'appliquer dès lors qu'elle était justifiée, que pour tenir compte de la situation économique exceptionnelle née en France au cours des mois de mai et juin 1968, la Cour a privé sa décision de motifs ;
" aux motifs, en second lieu, que la qualité de résident ou de non-résident de Y... importe peu puisqu'il n'est poursuivi que comme complice de X...; que ce dernier, dont la qualité de résident en France a été démontrée par les premiers juges, a d'ailleurs agi en sa qualité de gérant de la SARL Filetra, société de droit français domiciliée à Paris ; que lesdits prévenus ne peuvent dès lors soutenir qu'ils n'avaient pas la qualité de résidents français ;
" alors que, ainsi que les demandeurs l'avaient fait valoir dans des conclusions demeurées sans réponse, les personnes physiques de nationalité étrangère ayant obtenu la qualité de résident ne sont pas soumises aux dispositions du décret du 24 novembre 1968 et peuvent gérer librement leur patrimoine à l'étranger " ;
Attendu qu'il appert de l'arrêt attaqué et du jugement dont il adopte les motifs non contraires et des procès-verbaux des Douanes, base des poursuites, qu'une enquête douanière a révélé que X..., ressortissant néerlandais, gérant de la SARL Filetra dont le siège social est à Paris, avait courant 1976 à 1978, encaissé sur un compte ouvert à son nom dans une banque hollandaise des fonds pour un montant total de 154 775 francs provenant de virements effectués sur un compte ouvert à la même banque par Y..., ressortissant néerlandais résidant en France et employé au sein de la société Filetra en qualité de représentant ; que X...a été poursuivi en sa qualité de dirigeant de la SARL Filetra pour avoir procédé à des tranferts ou opérations de change tendant à la constitution illicite par un résident d'avoirs à l'étranger et Y... pour complicité de ce délit ;
Attendu que pour écarter les conclusions des prévenus, reprises au moyen, invoquant l'incompatibilité avec les prescriptions du traité de Rome des dispositions du décret du 24 novembre 1968 lequel de surcroît est inapplicable aux personnes physiques de nationalité étrangère ayant obtenu la qualité de résident, et pour les déclarer coupables des chefs de la prévention, les juges du fond constatent qu'une décision de la Commission des Communautés européennes en date du 4 décembre 1968 a autorisé la République française à prendre des mesures de sauvegarde ou à soumettre à autorisation préalable certaines transactions ou transferts et que cette décision communautaire demeure nécessaire ; que les juges relèvent par ailleurs que la qualité de résident ou de non-résident de Y... importe peu, dès lors qu'il est poursuivi comme complice ; que X..., qui a précisé que les sommes versées en Hollande sur son compte bancaire l'avaient été pour le compte de la société Filetra, a, en sa qualité de gérant de cette société, personne morale de droit français domiciliée à Paris, enfreint la loi française en faisant transférer et déposer des fonds sociaux dans une banque étrangère, avec la complicité de Y... qui a accepté d'effectuer ces opérations hors du territoire national ;
Attendu qu'en l'état de ces constatations et énonciations, déduites d'une appréciation souveraine par les juges du fond de la valeur des moyens de preuve contradictoirement débattus et qui caractérisent en tous ses éléments matériels l'infraction cambiaire principale retenue, la cour d'appel qui a répondu comme elle le devait aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie a, sans méconnaître les principe et textes communautaires et nationaux visés au moyen, fait l'exacte application de la loi ;
Qu'en effet, d'une part la prohibition édictée par l'article 3 du décret n° 68-1021 du 24 novembre 1968 et par l'arrêté ministériel du 9 août 1973, base des poursuites pénales et cambiaires, n'est pas contraire aux articles 67 et 106 du traité de Rome, dès lors qu'à l'époque des faits perpétrés, ces textes de droit interne trouvaient leur fondement dans les dispositions de la Commission des Communautés européennes autorisant la République française à prendre certaines mesures de sauvegarde conformément à l'article 108 § 3 précité ; que, d'autre part, cette prohibition pour tout résident français, personne physique ou personne morale, de constituer sans autorisation préalable des avoirs à l'étranger, s'applique, quelle que soit la nationalité des prévenus ayant opéré le transfert, lorsque les fonds ainsi irrégulièrement exportés proviennent d'une société ayant son siège en France et par là, la qualité de résidente française ;
D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE les pourvois.