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09/03/1987 | FRANCE | N°86-90971

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 09 mars 1987, 86-90971


ANNULATION PARTIELLE sans renvoi sur le pourvoi commun formé par :
1° X... (Claude), prévenu,
2° la société AEG Telefunken France, civilement responsable,
contre un arrêt de la chambre correctionnelle de la cour d'appel de Versailles en date du 31 janvier 1986 qui, pour refus de vente, a condamné X... à 20 000 francs d'amende et à verser 130 000 francs de dommages-intérêts à la société des marchés usinés Auchan, partie civile, et qui a dit la société AEG-Telefunken France civilement responsable de son préposé.
LA COUR,
Vu les mémoires produits ;
Su

r le premier moyen de cassation proposé et pris de la violation des articles 37-1° de l...

ANNULATION PARTIELLE sans renvoi sur le pourvoi commun formé par :
1° X... (Claude), prévenu,
2° la société AEG Telefunken France, civilement responsable,
contre un arrêt de la chambre correctionnelle de la cour d'appel de Versailles en date du 31 janvier 1986 qui, pour refus de vente, a condamné X... à 20 000 francs d'amende et à verser 130 000 francs de dommages-intérêts à la société des marchés usinés Auchan, partie civile, et qui a dit la société AEG-Telefunken France civilement responsable de son préposé.
LA COUR,
Vu les mémoires produits ;
Sur le premier moyen de cassation proposé et pris de la violation des articles 37-1° de l'ordonnance n° 45-1483 du 30 juin 1945, 1er de la loi n° 63-628 du 2 juillet 1963, 593 du Code de procédure pénale, défaut de réponse à conclusions :
" en ce que l'arrêt confirmatif attaqué a déclaré M. X... coupable du délit de refus de vente au préjudice de la société Auchan, et la société AEG Telefunken, civilement responsable ;
" aux motifs que M. Claude X... relève que la société Auchan ne peut prouver que les prix des téléviseurs Telefunken proposés à la vente, lors de la campagne promotionnelle du 6 au 10 octobre 1980, correspondent réellement aux prix d'achat, les factures produites pour les campagnes précédentes laissant apparaître un prix d'achat supérieur ; qu'on ne peut, à partir de ce seul cas, retenir que la centrale d'achats d'Auchan s'est comportée comme un acheteur de mauvaise foi lorsqu'elle a passé les commandes refusées, alors d'une part que la preuve n'est pas rapportée que le prix de vente ait été inférieur au prix d'achat, celui-ci n'ayant pu être déterminé pour la période considérée et la référence aux prix des autres périodes ne pouvant être retenue, et alors d'autre part que ce n'est pas pour ce cas précis que M. X... a opposé son refus de vente qui, dans sa lettre du 23 février 1981, visait la pratique généralisée dans les magasins Auchan de vente des appareils Telefunken, à prix coûtant, ce qui ne constituaient pas des ventes à perte ; que faute pour M. X... de rapporter la preuve que les magasins Auchan vendaient à perte les appareils Telefunken, il ne peut utilement se prévaloir de ce grief pour justifier le refus de vente ;
" et aux motifs adoptés du jugement que M. Y..., responsable des services juridiques de la société Auchan, n'a pu justifier le prix coûtant pour la période du 6 au 10 octobre 1980, ayant égaré les factures, mais qu'il explique que certains appareils étaient achetés auprès de grossistes français ou étrangers ;
" alors qu'est interdite la revente de tout produit en l'état à un prix inférieur à son prix d'achat effectif, majoré de la TVA ; que pour déterminer le prix d'achat effectif, il convient d'imputer les remises ou ristournes consenties par le fournisseur figurant sur la facture ; en sorte que la production des factures peut seule permettre de déterminer le prix d'achat effectif, élément indispensable pour caractériser la vente à perte ;
" d'où il résulte que la Cour, qui constate que le prix d'achat effectif des produits Telefunken vendus lors de la campagne promotionnelle du 6 au 10 octobre 1980, n'a pu être déterminé, la société Auchan ayant égaré les factures correspondant à ces achats effectués auprès d'autres fournisseurs que la société Telefunken, a, en écartant cependant la vente à perte de ces produits par la société Auchan :
"- soit considéré que le prix d'achat effectif importait peu pour caractériser la vente à perte, en violation de l'article 1er de la loi du 2 juillet 1963 ;
"- soit estimé qu'il appartenait à M. X... d'établir la preuve du prix d'achat effectif des appareils concernés ; qu'elle ne pouvait alors s'abstenir de toute explication sur les conclusions de celui-ci faisant valoir qu'une telle preuve était impossible à rapporter puisque subordonnée à la production de factures détenues par la société Auchan qu'elle prétendait perdues ;
" alors en tout état que si le fait justificatif doit exister au moment du refus de vente, il peut être établi ensuite librement par le prévenu qui peut se prévaloir de tous griefs susceptibles de justifier le refus de vente ; que la Cour ne pouvait donc écarter l'existence de ventes à perte par la société Auchan en interdisant à M. X... d'invoquer d'autres griefs que ceux formulés à l'époque du refus de vente " ;
Sur le second moyen de cassation proposé et pris de la violation des articles 37-1° de l'ordonnance n° 45-1483, du 30 juin 1945 593 du Code de procédure pénale, contradiction de motifs, défaut de réponse à conclusions, manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré M. X... coupable du délit de refus de vente et la société AEG Telefunken civilement responsable ;
" aux motifs que la pratique de prix d'appel devient abusive lorsque sont réunis les trois éléments suivants : une promotion dirigée sur un article de marque, une discrimination des marques pratiquées entre produits substituables, voire comparables, une indisponibilité du produit vendu en promotion, la réunion de ces trois éléments démontrant la volonté du distributeur d'opérer une dérive des ventes d'un produit de marque vers un produit substituable ; que les campagnes promotionnelles réalisées à Auchan-Roncq et Auchan-Strasbourg, au cours de l'année 1980 n'ont pas été dirigées uniquement sur les postes Telefunken, mais concurremment avec des postes d'autres marques réputées ; qu'il n'a pas été non plus constaté de véritable indisponibilité des produits Telefunken pendant ces campagnes ; qu'enfin, il n'a pu être établi qu'une dérive des ventes ait eu lieu vers d'autres produits substituables ; que la pratique abusive des prix d'appel n'est donc pas établie ;
" et aux motifs adoptés du jugement qu'il est de fait qu'Auchan a pratiqué, au cours de campagnes de promotion, une politique de marges très basses ou inexistantes à l'égard de certains produits Telefunken, spécialement dans le nord et l'est de la France ; que la diminution des ventes de téléviseurs Telefunken équipés du système Pal-Secam dans le Nord-Est n'a pas eu pour cause certaine la politique des prix suivie par Auchan, les réactions des distributeurs n'ayant pas concerné que des commerçants installés dans cette région ; que par ailleurs, il n'est pas établi que les appareils Telefunken aient été soumis à un traitement discriminatoire, des appareils de marques connues ayant été offerts à la vente dans des conditions semblables ;
" alors que, il y a pratique abusive de prix d'appel, justifiant un refus de vente, lorsqu'un commerçant utilise systématiquement un produit de marque comme appât, afin d'attirer la clientèle en prélevant sur ce produit une marge bénéficiaire réduite ou nulle, l'objectif final étant d'opérer une dérive des ventes vers d'autres produits substituables ;
" qu'ainsi, il y a pratique abusive de prix d'appel soit lorsqu'un commerçant vend systématiquement un produit de marque à prix coûtant, une telle vente constituant économiquement une vente à perte et ne s'expliquant que par la volonté d'utiliser le produit comme appât pour attirer la clientèle, soit encore lorsqu'il prélève des marges bénéficiaires très faibles, ne couvrant pas les frais exposés pour la distribution, dès lors que les circonstances révèlent que le but n'est pas d'assurer une commercialisation durable du produit à bas prix, mais d'abuser le consommateur par la recherche des chocs publicitaires ;
" d'où il résulte d'une part que la Cour ne pouvait exiger que soit établie par la société Telefunken une indisponibilité des produits Telefunken vendus par la société Auchan, avec des marges bénéficiaires nulles sans ajouter une condition non prévue pour caractériser la pratique abusive de prix d'appel ;
" d'où il résulte d'autre part que la Cour ne pouvait non plus exiger que soit établie par la société Telefunken l'existence d'une dérive effective des ventes vers des produits substituables après avoir d'ailleurs relevé que cet élément n'était pas constitutif de la pratique de prix d'appel mais caractérisait seulement la volonté poursuivie par le commerçant qui recourait à une telle pratique ;
" d'où il résulte en outre que, en l'état des ventes des produits Telefunken avec des marges bénéficiaires nulles ou très basses, la Cour ne pouvait exclure toute pratique abusive de prix d'appel en relevant que les campagnes promotionnelles de la société Auchan avaient été concurremment dirigées sur des produits d'autres marques réputées, une telle constatation ne justifiant pas que d'autres produits concurrents n'aient pas été dans le même temps vendus avec des marges normales, partant qu'une discrimination des marges n'ait pas existé au préjudice de la société Telefunken ;
" d'où il résulte au surplus que, en l'état des marges bénéficiaires nulles appliquées à de nombreuses reprises par la société Auchan aux produits Telefunken, qui révélaient par elles-mêmes l'utilisation de ces produits pour attirer la clientèle sans volonté de commercialisation normale, il importait peu pour caractériser la pratique abusive de prix d'appel qu'une discrimination des marges n'ait pas existé par rapport à tous les produits comparables ; qu'ainsi la Cour ne pouvait exclure toute pratique abusive de prix d'appel en relevant que les campagnes promotionnelles de la société Auchan concernaient également des produits comparables ;
" d'où il résulte enfin que la Cour qui constatait que la société Auchan avait également vendu les produits Telefunken avec des marges bénéficiaires très basses, ne couvrant pas les frais de distribution, ne pouvait s'abstenir de rechercher, comme elle y était invitée, si le caractère répété et de très courte durée des ventes promotionnelles qui portaient à chaque fois sur des produits différents n'était pas par lui-même caractéristique de la pratique abusive du prix d'appel comme révélant un comportement de la société Auchan destiné à abuser le consommateur, à l'exclusion de tout désir de commercialisation normale et durable à bas prix " ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu qu'il appert de l'arrêt attaqué comme du jugement qu'il a confirmé dans toutes ses dispositions que Claude X... a été renvoyé devant le tribunal correctionnel pour avoir en 1980 et 1981 refusé de faire droit à deux commandes émanant de la société des marchés usinés Auchan et portant sur respectivement 85 et 250 postes de télévision de marque Telefunken ; que la livraison de ces appareils a été refusée par lettre du 23 février 1981 signée par X..., au motif que la société Auchan qui voulait acquérir ces postes les revendait à leur prix d'achat augmenté de la seule TVA, " cette pratique abusive et discriminatoire " constituant, selon le signataire de l'écrit, " un acte de concurrence déloyale " ;
Attendu que pour rejeter le fait justificatif qu'est la mauvaise foi du candidat acheteur, exception proposée par X... et la société Telefunken qu'il dirigeait, les juges du fond, après avoir noté que le refus écrit opposé à l'achat envisagé par la société Auchan ne formulait ni l'accusation d'une revente par elle et avec perte des appareils Telefunken, ni celle d'une revente illicite " à prix d'appel ", énoncent que des débats il ne résulte pas en tout cas la preuve que pendant la période visée à la prévention, la société Auchan se soit livrée à de telles pratiques ;
Attendu qu'en prononçant ainsi la cour d'appel, loin d'encourir les griefs des moyens, a, sans renverser la charge de la preuve et sans insuffisance ni contradiction, justifié sa décision ;
Que, dès lors, les moyens ne sauraient être accueillis ;
Mais sur le moyen relevé d'office et pris de l'entrée en vigueur le 1er janvier 1987 du titre Ier de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence :
Vu ledit texte et son décret d'application n° 86-1309 du 29 décembre 1986 ;
Attendu qu'en l'absence de dispositions contraires expresses une loi nouvelle, même de nature économique, qui abroge une ou des incriminations pénales, s'applique aux faits commis avant son entrée en vigueur et non définitivement jugés ;
Attendu que Claude X..., dirigeant de la société Telefunken France, à l'occasion de rapports commerciaux avec l'un de ses partenaires économiques, en l'espèce la société Auchan, a été déclaré coupable de refus de vente, délit prévu par l'article 37-1° a de l'ordonnance n° 45-1483 du 30 juin 1945, et puni par l'article 1er, alinéa 2, et par l'article 40 de l'ordonnance n° 45-1484 du 30 juin 1945 ;
Mais attendu que ces textes ont été abrogés à compter du 1er janvier 1987 par l'article 1er, alinéa 1er, et par l'article 57 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986, prise en application de la loi n° 86-793 du 2 juillet 1986, laquelle ordonnance, si elle prévoit en son article 36, alinéa 2, la responsabilité civile ou commerciale de l'auteur de pareil refus lorsqu'il s'adresse comme en l'espèce non à un consommateur mais à un partenaire économique, acquéreur potentiel, ne comporte aucune incrimination pénale désormais applicable aux faits poursuivis ; qu'il en est de même du décret d'application de ladite ordonnance, en date du 29 décembre 1986, dont l'article 33, alinéa 1er, ne prévoit aucune amende contraventionnelle pour sanctionner la violation de l'article 36, alinéa 2, susvisé ;
Que dès lors l'arrêt attaqué manquant aujourd'hui de tout support légal doit être annulé en ce qu'il a décidé sur l'action publique ;
Par ces motifs :
ANNULE l'arrêt de la cour d'appel de Versailles en date du 31 janvier 1986, mais en ses seules dispositions pénales concernant X..., toutes autres dispositions dudit arrêt demeurant expressément maintenues ;
Et attendu qu'il ne reste rien à juger ;
Dit n'y avoir lieu à renvoi.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 86-90971
Date de la décision : 09/03/1987
Sens de l'arrêt : Annulation partielle sans renvoi
Type d'affaire : Criminelle

Analyses

1° LOIS ET REGLEMENTS - Réglementation économique - Abrogation - Instance en cours - Extinction de l'action publique.

1° Voir le sommaire suivant.

2° CASSATION - Moyen - Recevabilité - Action civile - Moyen pris par un prévenu ou un civilement responsable de la validité de l'action civile - Réglementation économique - Abrogation des ordonnances de 1945 - Instance en cours - Portée.

2° En l'absence de dispositions contraires expresses une loi nouvelle même de nature économique, lorsqu'elle abroge une incrimination pénale, s'applique aux faits commis avant son entrée en vigueur et non définitivement jugés ; ce principe ne concerne que l'action publique, l'action civile obéissant aux règles édictées par la loi, au jour où elle était exercée ; il convient, en conséquence, de répondre aux moyens proposés par le prévenu et le civilement responsable, en ce qu'ils peuvent se rapporter à la validité de l'action civile mise en mouvement par les parties civiles.

3° REGLEMENTATION ECONOMIQUE - Refus de vente - Refus de vente à un partenaire économique - Ordonnance du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence - Décret d'application - Abrogation de l'infraction - Instance en cours - Extinction de l'action publique - Survie de l'action civile.

3° Au regard du délit de refus de vente, lorsque celui-ci concerne les rapports commerciaux liant deux partenaires économiques, les articles 37-1 a de l'ordonnance n° 45-1483 du 30 juin 1945 et 1er, alinéas 2 et 40, de l'ordonnance n° 45-1484 du 30 juin 1945, textes qui servaient de base aux poursuites, ont été abrogés à compter du 1er janvier 1987 par l'article 1er, alinéa 1er, et par l'article 57 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 ; en son article 36, alinéa 2, cette dernière ordonnance, si elle prévoit la responsabilité civile ou commerciale de l'auteur de pareil refus lorsqu'il s'adresse, non à un consommateur, mais à un partenaire économique, ne sanctionne plus de peine délictuelle pareil refus ; de même, l'article 33, alinéa 1er, du décret d'application de l'ordonnance du 1er décembre 1986, en date du 29 décembre de la même année, ne prévoit aucune peine contraventionnelle pour violation de l'article 36, alinéa 2 nouveau. D'où, faute de tout support légal, nécessité d'annuler sans renvoi l'arrêt attaqué au regard de la seule action publique, plus rien ne restant à juger de ce chef


Références :

Décret 86-1309 du 29 décembre 1986 art. 33 al. 1
Ordonnance 45-1483 du 30 juin 1945 art. 37 al. 1
Ordonnance 45-1484 du 30 juin 1945 art. 1 al. 2, art. 40
Ordonnance 86-1243 du 01 décembre 1986 art. 1 al. 1, art. 36 al. 1, art. 57

Décision attaquée : Cour d'appel de Versailles, 31 janvier 1986


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 09 mar. 1987, pourvoi n°86-90971, Bull. crim. criminel 1987 N° 114 p. 319
Publié au bulletin des arrêts de la chambre criminelle criminel 1987 N° 114 p. 319

Composition du Tribunal
Président : Président :M. Ledoux
Avocat général : Avocat général :Mme Pradain
Rapporteur ?: Rapporteur :M. Tacchella
Avocat(s) : Avocats :MM. Ancel et Barbey.

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:1987:86.90971
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