CASSATION PARTIELLE sur le pourvoi formé par :
- le Conseil supérieur de l'Ordre des experts-comptables et des comptables agréés, partie civile,
contre un arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, 5e chambre, en date du 3 juin 1985 qui, ayant relaxé X... Michel du chef d'exercice illégal de la profession de comptable agréé, l'a débouté de ses demandes.
LA COUR,
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 2, 8 et 10 de l'ordonnance du 19 septembre 1945, et 259 du Code pénal :
" en ce que l'arrêt attaqué a relaxé X... des fins de la poursuite dont il faisait l'objet pour exercice illégal de la profession de comptable agréé ;
" aux motifs que le prévenu qui n'a pas le titre de conseil juridique et fiscal exploite à titre libéral depuis 1976 un " cabinet de gestion " à Marseille, qui a exclusivement pour clients des membres des professions médicales ou para-médicales, dont le nombre s'élève à 45 environ et qui seraient tous conventionnés et soumis à l'article 99 du Code général des impôts ; que le prévenu dresse des tableaux d'amortissement, détermine les soldes après pointage des honoraires et des comptes bancaires de ses clients, qu'il aurait également tenu la comptabilité de plusieurs clients et notamment leur livre journal ; que la loi du 31 octobre 1968 modifiant l'ordonnance du 19 septembre 1945 a susbstitué à l'expression comptabilité de toute nature, celle de comptabilité d'entreprise, qu'il convient donc de rechercher si des médecins ou des dentistes ont la qualité de chef d'entreprise ; que le terme " entreprise " ne se limite pas aux seules activités commerciales, mais il n'est pas possible, en l'espèce, d'appliquer ce terme à des personnes qui exercent la médecine ou l'art dentaire à titre libéral et qui, en outre, sont soumises fiscalement à des règles différentes, que le droit pénal est d'interprétation stricte et qu'il n'est nullement certain que le législateur ait voulu sanctionner ce genre d'activités, qu'il ne s'agit donc ni d'une entreprise, ni d'une comptabilité d'entreprise, compte tenu des règles spéciales édictées par le Code général des impôts à l'égard des membres des professions médicales ou para-médicales conventionnées ; qu'il échet en conséquence de relaxer le prévenu des fins de la poursuite et de débouter le Conseil supérieur de l'Ordre des experts-comptables de ses demandes ;
" alors que les dispositions des articles 2 et 8 de l'ordonnance du 19 septembre 1945, modifiées par la loi du 31 octobre 1968, ne distinguent ni selon la nature, l'objet, et la qualité des documents dressés, ni selon la nature et la composition de la clientèle ; que la cour d'appel a constaté que X... avait à titre libéral dressé les tableaux d'amortissement, déterminé les soldes après pointage des honoraires et des comptes bancaires de ses clients, et avait tenu la comptabilité, notamment le livre journal de certains de ses clients ; qu'en estimant néanmoins pour relaxer X... des fins de la poursuite dont il faisait l'objet que la comptabilité des membres des professions libérales médicales et para-médicales échappait au monopole des experts-comptables et des comptables agréés, la cour d'appel a méconnu la portée des textes susmentionnés " ;
Vu lesdits articles ;
Attendu, d'une part, que, selon l'article 20 de l'ordonnance du 19 septembre 1945, exerce illégalement la profession d'expert-comptable ou de comptable agréé, celui qui, sans être inscrit au tableau de l'Ordre, exécute habituellement en son nom personnel et sous sa responsabilité, les travaux prévus, suivant le cas, par le 1er alinéa de l'article 2 ou par l'article 8 de ladite ordonnance ;
Attendu, d'autre part, qu'aux termes de ce dernier article, dans la rédaction que lui a donnée l'article 5 de la loi du 31 octobre 1968, " est comptable agréé le technicien qui fait profession habituelle de tenir, centraliser, ouvrir, arrêter et surveiller et, dans l'exercice de ces missions, redresser les comptabilités des entreprises et organismes auxquels il n'est pas lié par un contrat de travail " ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que X..., qui n'est pas inscrit au tableau de l'Ordre des experts-comptables et des comptables agréés, a, dans le cabinet de gestion qu'il avait ouvert et pour les membres de professions libérales qui faisaient appel à ses services, tenu le livre journal de ses clients, établi les déclarations de résultats, procédé en fin d'exercice à la centralisation des comptes, afin de rédiger les déclarations fiscales, et mis à jour des livres de dépenses ; que poursuivi du chef d'infractions aux articles 8 et 20 de l'ordonnance du 19 septembre 1945 et à l'article 259 du Code pénal, il a été condamné par le tribunal ; que sur appel la juridiction du second degré a infirmé le jugement, prononcé sa relaxe et débouté de ses demandes le Conseil supérieur de l'Ordre des experts-comptables et des comptables agréés qui s'était constitué partie civile ;
Attendu qu'à l'appui de leur décision les juges d'appel, examinant la signification des dispositions modifiées de l'article 8 de l'ordonnance précitée, ont recherché si les médecins ou les dentistes, composant la clientèle du prévenu, avaient la qualité de chef d'entreprise ; qu'après avoir admis que ce dernier terme ne se limitait pas aux seules activités commerciales, ils ont cependant estimé qu'il n'était pas possible de l'appliquer à des personnes exerçant la médecine ou l'art dentaire à titre libéral et soumises, du point de vue fiscal, à des règles particulières ;
Mais attendu qu'en statuant ainsi, alors qu'en raison de son caractère général le mot " entreprise " doit être interprété comme visant toute activité professionnelle, telle celle de médecin ou de dentiste, qui nécessite d'une façon habituelle des opérations comptables, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale ;
D'où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs :
CASSE ET ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel d'Aix-en-Provence en date du 3 juin 1985 en ce qu'elle s'est prononcée sur l'action civile, toutes autres dispositions dudit arrêt étant expressément maintenues,
Et pour qu'il soit statué à nouveau conformément à la loi, dans la limite de la cassation prononcée :
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Nîmes.