REJET du pourvoi formé par :
- X...,
- la société T...,
contre un arrêt de la cour d'appel de Paris, 11e chambre, du 7 février 1986 qui, dans les poursuites exercées par Y... pour diffamation envers particulier, a condamné le premier à des réparations civiles et déclaré la seconde civilement responsable.
LA COUR,
Vu l'arrêt de la chambre criminelle de la Cour de Cassation du 16 avril 1982 portant désignation du juge d'instruction du tribunal de grande instance de Paris ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 29, 32, alinéa 1er, 42 à 44 de la loi du 29 juillet 1881, 1382 du Code civil, 2 et 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale :
" en ce que l'arrêt infirmatif attaqué, faisant droit à l'appel de la partie civile, a jugé diffamatoire envers Y... l'article publié dans le numéro 195 du journal V... et condamné X..., directeur de publication, et la société T..., à payer à Y... la somme de 1 franc à titre de dommages-intérêts, outre 4 000 francs de frais irrépétibles, et ordonné la publication de l'arrêt dans deux journaux au choix de la partie civile ;
" aux motifs que les citations incriminées étaient relatives au comportement de Y... au mois de mai 1968 ; que sans doute la vérité des faits diffamatoires ne pouvait être prouvée lorsque l'imputation se référait à des faits remontant à plus de dix années ; mais que les expressions employées étaient de nature à porter atteinte à la considération de la personne visée, accusée d'être un agitateur dangereux pour l'ordre public, le texte ayant reçu une diffusion publique dans une période où Y... briguait un mandat électoral ;
" alors que la diffamation suppose l'imputation d'un fait précis, de nature à porter atteinte à l'honneur et à la considération ; que, par suite, l'arrêt attaqué ne pouvait uniquement constater que les expressions employées et présentant Y... comme un agitateur gauchiste étaient constitutives d'une atteinte à la considération de celui-ci et, infirmant le jugement, s'abstenir de réfuter les motifs de ladite décision desquels résultait qu'une telle affirmation ne comportait aucune articulation de fait précis " ;
Attendu qu'il appert de l'arrêt attaqué que X..., directeur de publication du périodique " V... ", et la société T..., civilement responsable, ont fait l'objet de poursuites pour délit de diffamation publique envers paticulier sur plainte avec constitution de partie civile de Y... à la suite de la parution dans le numéro 195 dudit périodique daté du 18 - 24 février 1982 d'un article intitulé " Monsieur Y... un étudiant pas ordinaire " et retenu à raison des passages : " il se révéla aux yeux des autres étudiants et des professeurs comme un agitateur gauchiste... " et " il fit preuve alors d'emblée d'une telle habileté dans l'action subversive que certains se demandent encore s'il n'avait pas bénéficié d'un entraînement spécial dans une école du parti communiste... " ;
Attendu que pour infirmer sur le seul appel de la partie civile le jugement qui, après avoir relaxé le prévenu, a débouté celle-ci de ses demandes, la cour d'appel relève en replaçant les expressions incriminées dans leur contexte que Y est qualifié d'agitateur gauchiste pour des faits se rapportant à son comportement au mois de mai 1968, que son entraînement spécial et son action subversive sont situés à la même époque, que lesdites expressions sont de nature à porter atteinte à la considération de la personne visée ;
Attendu qu'en l'état de ces constatations et énonciations, la Cour de Cassation à qui il appartient de vérifier si l'écrit publié contient les éléments du délit et de contrôler les appréciations des juges du fond, a été mise en mesure de s'assurer que l'imputation faite à la partie civile d'avoir été un agitateur ayant suivi un entraînement spécial pour se livrer à l'action subversive constitue une diffamation au sens de l'article 29, alinéa 1er de la loi du 29 juillet 1881 ; qu'en substituant son appréciation à celle des premiers juges, la cour d'appel n'a fait qu'user du droit qui lui appartient alors que, de surcroît, elle n'avait pas été mise en demeure par des conclusions du prévenu de s'expliquer sur les motifs du tribunal, lequel s'était d'ailleurs borné à dénier aux passages incriminés tout caractère diffamatoire ;
Que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le second moyen de cassation, pris de la violation de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 29, 32 alinéa 1er, 35, 42 et 44 de la loi du 29 juillet 1881, 1382 du Code civil, 2 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale :
" en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a jugé diffamatoire envers Y... l'article publié dans le numéro 195 du journal " V... " et condamné X..., directeur de publication et la société T... à payer à Y... la somme de 1 franc à titre de dommages-intérêts, outre 4 000 francs de frais irrépétibles, et ordonné la publication de l'arrêt dans des journaux au choix de la partie civile ;
" aux motifs que la vérité des faits diffamatoires ne pouvait être prouvée, en vertu des dispositions de l'article 35 de la loi du 29 juillet 1881, lorsque l'imputation se référait à des faits remontant à plus de dix années ; que les expressions employées étaient de nature à porter atteinte à la considération de la personne visée, accusée d'être un agitateur dangereux pour l'ordre public ;
" alors que le droit à un procès équitable comporte la possibilité raisonnable pour chacun des antagonistes au procès-verbal d'exposer sa cause ; que dès lors, l'arrêt attaqué, devant se prononcer sur les conséquences civiles de propos argués de diffamation, ne pouvait par le biais d'une observation préalable, tirée de l'article 35 susvisé, priver X... du droit de prouver, à titre de moyen de défense, le fait justificatif tenant au caractère véridique de ces propos " ;
Attendu qu'il résulte de la procédure et de l'arrêt attaqué qu'assigné par exploit du 22 décembre 1982 d'avoir à comparaître devant le tribunal correctionnel pour y répondre du délit de diffamation, X... a fait signifier à la partie poursuivante le 29 décembre 1982 une offre de preuve de la vérité des faits diffamatoires, que Y... a fait signifier le 31 décembre une offre de preuve contraire ; que les juges d'appel, après avoir constaté que ce dernier était atteint dans son honneur ou dans sa considération à raison de son comportement au cours du mois de mai 1968, énoncent qu'en vertu des dispositions de l'article 35 de la loi du 29 juillet 1881 la vérité des faits diffamatoires ne peut être prouvée lorsque l'imputation se réfère à des faits qui remontent à plus de dix ans ;
Attendu qu'en statuant ainsi la cour d'appel n'a pas encouru le grief allégué au moyen ; que si en effet toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, les juges n'ont fait, en l'espèce, qu'appliquer les dispositions précitées de la loi sur la liberté de la presse, laquelle soumet l'exercice de cette liberté à des restrictions constituant des mesures nécessaires à la protection de la réputation et des droits d'autrui au sens de l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Qu'ainsi le moyen n'est pas fondé ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi.