REJET du pourvoi formé par :
- la Société de gardiennage et de détection électronique (SGDE),
contre un arrêt de la cour d'appel d'Amiens, 4e chambre, en date du 14 février 1984, qui, sur renvoi après cassation, dans les poursuites exercées du chef d'homicide involontaire, contre son préposé X... Lakdar, l'a déclarée civilement responsable de ce dernier et s'est prononcée sur les intérêts civils.
LA COUR,
Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;
Sur le premier moyen de cassation pris de la violation des articles 1384, alinéa 5, du Code civil, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré la demanderesse civilement responsable, en sa qualité de commettant du prévenu, des conséquences dommageables de l'accident occasionné par ce dernier ;
" aux motifs que si X... était effectivement porteur d'une arme en violation des prescriptions de son employeur, il n'agissait cependant pas à des fins étrangères à ses attributions d'agent de sécurité de la société de gardiennage lorsqu'il a commis l'acte dommageable, dès lors qu'il est établi qu'il s'était muni de l'arme qui a causé la mort de son ancien collègue pour assurer sa propre sécurité durant ses rondes en raison des risques inhérents à sa profession ; que l'accident s'est produit à la fin d'une tournée de surveillance ; qu'en effet la désobéissance aux ordres de l'employeur ne permettait pas en soi de considérer que l'acte dommageable était étranger aux fonctions du préposé et qu'en l'espèce la faute de X... n'était pas détachable de ses fonctions ;
" alors que les dispositions de l'article 1384, alinéa 5, du Code civil ne s'appliquent pas au commettant en cas de dommages causés par le préposé qui, agissant sans autorisation, à des fins étrangères à ses attributions, s'est placé hors des fonctions auxquelles il était employé, que dès lors après avoir relevé que X... agissait en violation des prescriptions de son employeur, et pour assurer sa propre sécurité, la cour d'appel ne pouvait, sans méconnaître les conséquences qui s'évinçaient nécessairement de ses constatations caractérisant la rupture du lien de préposition, ni sans se contredire, retenir la responsabilité civile du commettant " ;
Et sur le second moyen de cassation pris de la violation de l'article 1384, alinéa 5, du Code civil, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motif et défaut de réponse à conclusions ;
" en ce que l'arrêt confirmatif attaqué a déclaré la demanderesse civilement responsable en sa qualité de commettante des conséquences dommageables de l'accident causé par son préposé ;
" aux motifs que, même si Y... avait vu X... se préparer à ranger son arme à son retour de ronde, rien ne pouvait le conduire à considérer qu'à ce moment ce dernier agissait pour son compte personnel et non pour celui de l'employeur, qu'il importe peu que quelque temps avant l'accident, Y... ait ou non participé à un tir d'essai dans la cour de l'établissement et que sa présence dans le local de service se soit prolongée, ces faits étant sans relation avec le processus de l'accident mortel ;
" alors que la responsabilité du commettant cesse lorsque le préposé a été envisagé par la victime comme ayant agi pour son compte personnel ; que la demanderesse avait fait valoir à cet égard que Y..., ancien employé de la SGDE lui-même, ne pouvait ignorer l'interdiction de porter une arme de sorte qu'en prenant part à un tir d'essai comme en s'attardant indûment dans les locaux auxquels il était désormais étranger, il avait nécessairement considéré que le préposé agissait en dehors de ses fonctions ; que ses ayants droit ne pouvaient, par suite, solliciter du commettant la réparation du préjudice par lui subi dans ces conditions ; et qu'en s'abstenant de répondre sur ces points au prétexe qu'ils étaient sans relation avec le processus de l'accident mortel, la cour d'appel a refusé de faire application du principe jurisprudentiel invoqué, et de statuer sur les moyens dont elle était saisie " ;
Ces moyens étant réunis ;
Attendu qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué que, dans la soirée du 28 avril 1979, X..., agent de la sécurité au service de la société de gardiennage SGDE chargée d'assurer la surveillance nocturne des établissements Kléber-Colombes, a reçu la visite de Y..., son ancien collègue, qui, ayant quitté l'entreprise quelques jours plus tôt, venait reprendre des objets personnels qu'il avait laissés sur place ; que les deux hommes, et d'autre agents, ont passé un long moment ensemble ; que X..., partant effectuer une ronde, s'est muni, pour sa propre sécurité, d'un revolver dont il avait fait l'acquisition, transgressant ainsi les instructions de son employeur, lequel avait interdit tout port d'arme à son personnel ; qu'à son retour, s'apprêtant à ranger le revolver, il en a fait tourner le barillet, afin d'ajuster le cran de sécurité ; qu'à cet instant, un coup de feu est parti accidentellement, la balle atteignant Y... qui a été mortellement blessé ;
Attendu que des poursuites ayant été engagées contre X... du chef d'homicide involontaire, la SGDE, citée en qualité de civilement responsable de son préposé, a fait valoir que Y..., ancien agent de la société, n'ignorait pas que son camarade violait les consignes de sécurité, en détenant une arme sur le lieu de son travail ; qu'ayant lui-même cessé ses fonctions, il n'avait pas à se trouver dans le local de garde et qu'il y avait en tout cas abusivement prolongé sa présence ; que, dès lors, l'acte dommageable, commis à la suite d'une infraction aux règles de sécurité imposées par l'employeur, était étranger au lien de préposition, X... ayant agi en dehors de ses fonctions ; qu'il en résultait que les ayants droit de la victime ne pouvaient en demander réparation à la société ;
Attendu que pour écarter cette argumentation et retenir la responsabilité civile de la SGDE la cour d'appel énonce que, s'il était effectivement porteur d'une arme en violation des instructions données, X... n'agissait pas, cependant, à des fins étrangères à ses attributions d'agent de sécurité lorsqu'il a causé l'acte dommageable, dès lors qu'il est établi qu'il s'était muni du revolver afin d'assurer sa propre sécurité durant les rondes en raison des risques inhérents à sa profession et que l'accident s'est produit à l'instant où, terminant une tournée de surveillance, il s'apprêtait à ranger son arme ; que la seule désobéissance aux consignes de l'employeur ne permet pas, en soi, de considérer que l'acte dommageable était étranger aux fonctions du préposé ni que la faute de X... était, en l'espèce, détachable desdites fonctions ; qu'ainsi, même en supposant que Y... ait vu son camarade se préparer à ranger le revolver à son retour dans le local de garde, ce qui n'est nullement démontré, rien ne pouvait l'amener à penser qu'à ce moment, X... agissait pour son compte personnel et non pour celui de l'employeur ;
Attendu qu'en l'état de ces motifs d'où il ressort que le préposé, même s'il avait transgressé les instructions de son employeur, n'avait pas agi à des fins étrangères à ses attributions et qu'ainsi la victime n'avait pu considérer que X... s'était placé hors des fonctions auxquelles il était employé, la cour d'appel a répondu sans insuffisance aux conclusions dont elle était saisie et a justifié sa décision ;
D'où il suit que les moyens ne sauraient être accueillis ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi.