CASSATION PARTIELLE sur le pourvoi formé par :
- S..., partie civile,
contre un arrêt de la Chambre d'accusation de la Cour d'appel de Bourges du 26 novembre 1985 qui a confirmé l'ordonnance du juge d'instruction déclarant sa plainte avec constitution de partie civile du chef de diffamation irrecevable.
LA COUR,
Vu le mémoire personnel produit par S... en demande et le mémoire produit pour Mme M... en défense ;
Attendu qu'à la suite du décès de leurs parents, S..., épouse M..., a assigné son frère S... en liquidation-partage des biens dépendant de la succession des défunts ; que s'estimant atteint dans son honneur et dans sa considération par certains termes des conclusions qui lui avaient été signifiées au nom de sa soeur, S... a porté plainte avec constitution de partie civile contre cette dernière des chefs de diffamation, vol, escroquerie, abus de confiance ; qu'interrogée le 10 janvier 1985 sur les opérations par elle effectuées sur les comptes bancaires de ses parents et sur les raisons pour lesquelles elle aurait remis à son frère une somme de 74 300 francs, M..., inculpée, déclarait : " parce que mon frère en avait donné l'ordre " ; que, par ailleurs, lors de la confrontation du 1er avril 1985, elle a produit des lettres à elle écrites par S... mais qui, selon ce dernier, auraient été tronquées de manière à paraître lui imputer un comportement délictueux, que S... a alors adressé le 28 juin 1985 au magistrat instructeur deux notes, l'une pour demander que sa plainte en diffamation contre sa soeur fût étendue aux propos tenus par celle-ci devant le juge, l'autre pour demander, à raison des écrits produits desquels il résultait des faits diffamatoires étrangers à la cause pendante devant le juge d'instruction, que son action fût réservée conformément à l'article 41, alinéa 5, de la loi du 29 juillet 1881 ;
En cet état ;
Sur les cinq premiers moyens de cassation (sans intérêt) ;
" Sur les moyens de cassation pris de la violation des articles 1er, alinéa 2, 2 alinéa 1er, 51, 427 du Code de procédure pénale, 41, alinéas 3 et 5, de la loi du 29 juillet 1881, 7 de la loi du 20 avril 1810, manque de base légale, défaut de motifs, défaut de réponse à conclusions en ce que l'arrêt attaqué a déclaré irrecevable la plainte avec constitution de partie civile déposée par le demandeur du chef de diffamation sans statuer sur sa demande de réserve de l'action civile " ;
Vu lesdits articles ensemble l'article 593 du Code de procédure pénale ;
Attendu que sont déclarés nuls les arrêts de la Chambre d'accusation s'ils ne contiennent pas de motifs ou si leurs motifs sont insuffisants et ne permettent pas à la Cour de Cassation d'exercer son contrôle et de reconnaître si la loi a été respectée dans le dispositif ; qu'il en est ainsi lorsqu'il a été omis ou refusé de prononcer sur une ou plusieurs demandes des parties ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que " le 28 août 1985, S... a porté plainte avec constitution de partie civile contre sa soeur des chefs d'injures, diffamation, vol, escroquerie, abus de confiance " ; qu'au cours de l'information l'inculpée a déclaré " avoir agi en exécution des ordres de son frère " ; que " la partie civile estimant que l'imputation de ce fait précis serait diffamatoire a, le 28 juin 1983, déposé une nouvelle plainte contre S..., épouse M..., du chef de diffamation " ;
Attendu que pour confirmer l'ordonnance d'irrecevabilité entreprise, la Chambre d'accusation énonce que, selon l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881, les discours prononcés ou les écrits produits devant les tribunaux ne donneront lieu à aucune action en diffamation ; que l'expression " devant les tribunaux " doit s'entendre de toutes les juridictions devant lesquelles les droits de la défense peuvent s'exercer notamment de la juridiction d'instruction ; qu'en l'espèce les propos incriminés, à les supposer diffamatoires, échappent à l'action en diffamation dès lors qu'ils ont été tenus dans le cabinet du juge d'instruction au cours d'une information et qu'ils n'ont pas excédé les limites des droits de la défense ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, abstraction faite des erreurs de date concernant les plaintes susceptibles d'être réparées selon la procédure prévue aux articles 710 et 711 du Code de procédure pénale, la Chambre d'accusation a déduit, à bon droit, que les propos incriminés n'ont pas porté sur des faits étrangers à la cause pendante devant le juge d'instruction et devaient dès lors bénéficier de l'immunité accordée aux discours prononcés devant les tribunaux par l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881 dont les dispositions d'ordre public sont destinées à garantir les droits de la défense ; qu'en raison de cette fin de non-recevoir, l'action civile devait être déclarée irrecevable ;
Mais attendu qu'en se bornant toutefois à statuer sur la plainte en diffamation relative aux propos tenus devant le magistrat instructeur sans se prononcer sur la demande de réserve d'action formulée par le plaignant dans celle de ses notes déposées devant le juge d'instruction concernant la production d'écrits diffamatoires et sans donner les motifs sur lesquels ils ont fondé leur décision, les juges n'ont pas mis la Cour de Cassation en mesure d'exercer le contrôle qui lui appartient sur le caractère desdits écrits ;
D'où il suit que l'arrêt encourt partiellement la cassation ;
Par ces motifs :
CASSE ET ANNULE l'arrêt de la Chambre d'accusation de la Cour d'appel de Bourges du 26 novembre 1985 mais seulement en ce qu'il a omis de statuer sur l'extranéité des écrits produits, les autres dispositions étant maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau jugé conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée :
RENVOIE la cause et les parties devant la Chambre d'accusation de la Cour d'appel de Poitiers.