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09/12/1986 | FRANCE | N°86-90552

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 09 décembre 1986, 86-90552


REJET et CASSATION PARTIELLE sur les pourvois formés par :
1° L'Union nationale des chauffeurs professionnels poids-lourds et assimilés, partie civile,
contre un arrêt de la Cour d'appel de Bourges, 2e Chambre, en date du 19 décembre 1985, qui, statuant après cassation, n'a que partiellement retenu, à la charge de X... Bernard, les préventions d'entrave à l'exercice du droit syndical et d'entrave au fonctionnement régulier du comité d'entreprise et n'a que partiellement fait droit à la demande de réparations de cette partie civile et qui l'a, par ailleurs, après relaxe de

s intéressés, déboutée de sa demande de dommages-intérêts, en ce qu...

REJET et CASSATION PARTIELLE sur les pourvois formés par :
1° L'Union nationale des chauffeurs professionnels poids-lourds et assimilés, partie civile,
contre un arrêt de la Cour d'appel de Bourges, 2e Chambre, en date du 19 décembre 1985, qui, statuant après cassation, n'a que partiellement retenu, à la charge de X... Bernard, les préventions d'entrave à l'exercice du droit syndical et d'entrave au fonctionnement régulier du comité d'entreprise et n'a que partiellement fait droit à la demande de réparations de cette partie civile et qui l'a, par ailleurs, après relaxe des intéressés, déboutée de sa demande de dommages-intérêts, en ce qu'elle était formée contre les personnes ci-après désignées, Y... Robert, Z... Lucien, A... Jean, B... Georges, C... Christian, D... Jean-Paul, E..., épouse F..., G... Gérard et H... Michel ;
2° La Fédération générale des transports et de l'équipement, partie civile, contre le même arrêt dans ses seules dispositions concernant X... Bernard.
LA COUR,
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
1° Sur le pourvoi de la Fédération générale des transports et de l'équipement ;
Attendu qu'aucun moyen n'est produit à l'appui du pourvoi ;
2° Sur le pourvoi de l'Union nationale des chauffeurs professionnels de poids-lourds et assimilés ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 412-15 et L. 461-2 anciens du Code du travail, de l'article 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a renvoyé les dix-huit salariés, visés à la prévention, des fins de la poursuite exercée à leur encontre du chef de l'entrave à l'exercice du droit syndical, constituée par leur opposition à la réintégration d'un délégué syndical, irrégulièrement exclu de l'entreprise, dans son emploi et ses fonctions ;
" aux motifs que les dix-huit employés concernés n'avaient pas de pouvoir de direction et d'autorité nécessaire pour constituer un obstacle juridiquement établi à l'entrée dans les locaux de l'entreprise dudit délégué syndical ; qu'au surplus l'entrave réprimée par le Code du travail ne peut résider que dans le fait de l'employeur, la sanction étant unilatérale ; que l'attitude en la circonstance, des dix-huit prévenus ne pouvait être sanctionnée que sur le plan disciplinaire ;
" alors que, d'une part, il résulte des propres constatations de l'arrêt attaqué que les dix-huit prévenus reconnaissaient s'être opposés à la réintégration du délégué syndical intéressé ; qu'était ainsi reconnu l'obstacle physiquement établi à l'entrée des locaux de l'entreprise de celui-ci, suffisant à lui seul à caractériser l'entrave poursuivie à l'exercice de ses fonctions tant professionnelles que représentatives ; qu'ainsi la Cour d'appel n'a pas tiré de ses propres constatations les conséquences légales qui s'imposaient ;
" qu'au demeurant, en exigeant un obstacle " juridique " à la réintégration dudit délégué, la Cour d'appel a statué par un motif inopérant ;
" alors que, d'autre part, l'article L. 461-2 (ancien) du Code du travail réprime toute entrave apportée à l'exercice du droit syndical, laquelle peut donc être reprochée à toute personne qui se rend coupable d'une telle entrave, dès lors qu'elle lui est personnellement imputable " ;
Vu lesdits articles ;
Attendu que l'article L. 461-2 du Code du travail (devenu L. 481-2) réprime toute entrave apportée à l'exercice du droit syndical ; que l'article L. 463-2 du même Code (devenu L. 483-2) punit toute entrave apportée au fonctionnement régulier du comité d'entreprise ; que la loi ne fait aucune distinction selon l'auteur de l'infraction ;
Attendu qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué que Paul I..., employé à la société anonyme des transports Issoiriens où il exerçait les fonctions de délégué syndical et de représentant syndical auprès du comité d'entreprise, a été licencié irrégulièrement le 22 avril 1981 ; qu'ayant obtenu sa réintégration par la voie judiciaire, il s'est présenté à l'établissement le 29 janvier 1982, accompagné d'un huissier et d'un inspecteur du Travail afin de reprendre sa tâche ; que cependant, un groupe de salariés de l'entreprise s'est formellement opposé à son initiative et l'a empêché de rejoindre son poste de travail ;
Attendu que, saisie des poursuites engagées contre lesdits salariés, du chef d'entraves à l'exercice du droit syndical et au fonctionnement régulier du comité d'entreprise, la Cour d'appel, pour écarter la prévention, énonce que les employés concernés n'avaient pas le pouvoir de direction et d'autorité nécessaires pour constituer un " obstacle juridiquement établi " à l'entrée de I... dans les locaux de l'entreprise ; que le délégué a pu, ultérieurement, y pénétrer pour participer à des élections ; qu'au surplus, l'entrave réprimée par le Code du travail ne peut résider que dans le fait de l'employeur ; qu'en conséquence, l'attitude des prévenus ne pouvait être réprimée que sur le plan disciplinaire ;
Mais attendu qu'en statuant ainsi la Cour d'appel a méconnu le sens et la portée des textes précités et privé sa décision de base légale ;
D'où il suit que la cassation est encourue ;
Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 412-15 et L. 461-2 (ancien) du Code du travail, de l'article 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a renvoyé le prévenu X... des fins de la poursuite exercée à son encontre du chef de l'entrave à l'exercice du droit syndical qu'il avait irrégulièrement exclu de son entreprise, dans son emploi et ses fonctions ;
" aux motifs que, le 29 janvier 1982, dix-huit employés s'étaient opposés à la réintégration dudit délégué syndical dans l'entreprise ; que leur attitude ne pouvait être sanctionnée que sur le plan disciplinaire ; que l'inspecteur du Travail intéressé avait déclaré que, lors de son arrivée, un groupe de six ou sept personnes menées par deux chefs d'agence s'étaient jointes au groupe initial ; que des discussions s'étaient engagées entre lui-même et le prévenu ; que parmi les vingt personnes, essentiellement cadres, personnel de bureau, membres du syndicat de l'entreprise, certaines d'entre elles ne s'étaient manifestées qu'après y avoir été incitées par la direction ou ses représentants ; que le prévenu avait déclaré ne pouvoir s'opposer à la volonté de son personnel étant observé qu'il avait déploré l'attitude de l'inspecteur du Travail auquel il avait demandé un délai qui avait refusé de servir de " médiateur entre lui-même et I... Paul " ; que s'il n'avait pas pris les mesures disciplinaires sanctionnant l'attitude des salariés, le délit qui lui est reproché ne pouvait être retenu à son encontre, l'intention frauduleuse n'étant pas suffisamment caractérisée ;
" alors que la commission volontaire d'atteintes portées au statut protecteur des représentants du personnel et des syndicats caractérise à elle seule l'élément intentionnel de l'infraction ; qu'il appartient au chef d'entreprise, en cette qualité, de faire respecter ce statut et non pas de céder à des oppositions, par lui alléguées, lesquelles ne sauraient être regardées comme constituant un cas de force majeure de nature à justifier l'inexécution de ses obligations légales, à cet égard ; qu'en l'espèce, il résulte des constatations de l'arrêt attaqué que le prévenu se fondait sur la seule opposition de membres de son personnel pour justifier la non-réintégration du délégué syndical irrégulièrement exclu, opposition dont il n'est pas constaté qu'elle eût pu constituer un obstacle insurmontable à la réintégration ; qu'ainsi, les juges du fond n'ont pas tiré de leurs propres constatations les conséquences légales qui en résultaient nécessairement ;
" alors que, en tout cas, il résulte ainsi des constatations de l'arrêt attaqué que dix-huit employés s'étaient opposés à la réintégration d'un délégué syndical, dans l'entreprise ; que l'inspecteur du Travail, présent sur les lieux, avait constaté l'arrivée d'un groupe de personnes menées par deux chefs d'agence et affirmé que certaines des personnes concernées ne s'étaient manifestées qu'après y avoir été incitées par la direction ou ses représentants ; qu'il lui avait été demandé de servir de médiateur entre le prévenu et le délégué syndical intéressé ; que le prévenu n'avait pas pris les mesures disciplinaires sanctionnant l'attitude des salariés ; que les juges du fond ne pouvaient sans contredire ces constatations de fait affirmer ensuite que l'intention frauduleuse du prévenu n'était pas suffisamment caractérisée " ;
Vu lesdits articles ;
Attendu que tout jugement ou arrêt doit contenir les motifs propres à justifier la décision ; que la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;
Attendu que, saisie également des poursuites engagées contre X..., directeur général de l'entreprise, présent sur les lieux lors de l'incident du 29 janvier 1982, la Cour d'appel relève que l'inspecteur du Travail a déclaré que, lors de son arrivée à l'établissement, six ou sept personnes, entraînées notamment par un chef d'agence, s'étaient jointes au groupe des salariés qui s'opposaient à l'entrée de I..., tandis qu'il discutait lui-même avec le directeur ; que, selon le témoignage du fonctionnaire, les personnes ainsi réunies comprenaient essentiellement des cadres, des agents de bureau et des membres du syndicat de l'entreprise, certains d'entre eux ne s'étant manifestés qu'après y avoir été invités par la direction ou par ses représentants ;
Attendu que, pour mettre néanmoins le prévenu hors de cause, les juges énoncent que celui-ci a déclaré n'avoir pu s'opposer à la volonté de son personnel, étant observé qu'il avait demandé à l'inspecteur du Travail de lui accorder un délai qui lui aurait été refusé ; que X... a déploré la rigidité de l'attitude du fonctionnaire qui n'avait pas voulu jouer le rôle de médiateur entre I... et lui-même ; qu'ils en concluent que si le directeur n'a pas pris de mesure disciplinaire pour sanctionner le comportement de son personnel, la prévention ne peut cependant être retenue à son encontre, son intention frauduleuse n'étant pas suffisamment caractérisée ;
Attendu cependant qu'en l'état de tels motifs, la Cour d'appel n'a pas justifié sa décision ; qu'elle ne pouvait sans se contredire constater que X... n'avait rien fait pour surmonter l'opposition du personnel et écarter l'élément intentionnel de l'infraction ; qu'elle n'aurait pu exonérer le prévenu de sa responsabilité qu'après avoir relevé qu'il s'était trouvé en présence d'un obstacle insurmontable, constitutif de force majeure ;
Qu'ainsi la cassation est également encourue de ce chef ;
Par ces motifs :
1° Sur le pourvoi de la Fédération générale des transports et de l'équipement :
REJETTE le pourvoi ;
2° Sur le pourvoi de l'Union nationale des chauffeurs professionnels de poids-lourd et assimilés :
CASSE ET ANNULE l'arrêt de la Cour d'appel de Bourges en date du 19 décembre 1985, dans ses seules dispositions rejetant après relaxe des prévenus les demandes de réparations civiles formées par l'Union nationale précitée contre X... Bernard, Y... Robert, Z... Lucien, A... Jean, B... Georges, C... Christian, D... Jean-Paul, E... épouse F..., G... Gérard et H... Michel ;
Et, pour être à nouveau statué conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée :
RENVOIE la cause et les parties devant la Cour d'appel de Limoges.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 86-90552
Date de la décision : 09/12/1986
Sens de l'arrêt : Rejet et cassation partielle
Type d'affaire : Criminelle

Analyses

1° TRAVAIL - Délégués syndicaux - Entrave à l'exercice du droit syndical - Licenciement - Refus de licenciement par l'inspecteur du Travail - Non-réintégration dans le poste d'emploi en raison de l'opposition de membres du personnel - Membres du personnel - Délit constitué.

1° Voir le sommaire suivant.

2° TRAVAIL - Comité d'entreprise - Entrave à son fonctionnement - Membre - Refus de licenciement par l'inspecteur du Travail - Non-réintégration dans le poste d'emploi en raison de l'opposition de membres du personnel - Membres du personnel - Délit constitué.

2° L'article L. 461-2 du Code du travail (devenu L. 481-2) réprime toute entrave apportée à l'exercice du droit syndical ; de même, l'article L. 463-2 (devenu L. 483-2) sanctionne toute entrave apportée au fonctionnement régulier du comité d'entreprise. La loi ne fait aucune distinction selon l'auteur de l'infraction. Encourt, dès lors, la cassation l'arrêt qui écarte les préventions d'entraves à l'exercice du droit syndical et au fonctionnement régulier du comité d'entreprise à l'égard de membres du personnel d'une entreprise qui se sont opposés à la réintégration à son poste de travail d'un salarié, délégué syndical et représentant syndical auprès du comité d'entreprise, irrégulièrement licencié (1).

3° TRAVAIL - Délégués syndicaux - Entrave à l'exercice du droit syndical - Licenciement - Refus de licenciement par l'inspecteur du Travail - Non-réintégration dans le poste d'emploi en raison de l'opposition de membres du personnel - Absence d'obstacle insurmontable - Délit constitué.

3° Voir le sommaire suivant.

4° TRAVAIL - Comité d'entreprise - Entrave à son fonctionnement - Membre - Refus de licenciement par l'inspecteur du Travail - Non-réintégration dans le poste d'emploi en raison de l'opposition de membres du personnel - Absence d'obstacle insurmontable - Délit constitué.

4° Il appartient au chef d'entreprise, en cette qualité, de faire respecter le statut protecteur des représentants du personnel et des organisations syndicales et de surmonter des oppositions manifestées, au sein de son entreprise, à la réintégration d'un salarié de cette catégorie irrégulièrement licencié ; de telles oppositions ne sauraient, en effet, constituer un cas de force majeure de nature à justifier, de sa part, l'inexécution d'obligations légales pénalement sanctionnées et l'exonérer de sa responsabilité (2).


Références :

Code du travail L461-2 (devenu L481-2)
Code du travail L463-2 (devenu L483-2)

Décision attaquée : Cour d'appel de Bourges, 19 décembre 1985

(1) A RAPPROCHER : Cour de Cassation, chambre criminelle, 1973-10-18, bulletin criminel 1973 N° 370 p. 907 (Cassation). Cour de Cassation, chambre criminelle, 1975-10-08, bulletin criminel 1975 N° 211 p. 575 (Rejet). (2) A RAPPROCHER : Cour de Cassation, chambre criminelle, 1977-05-10, bulletin criminel 1977 N° 168 p. 418 (Rejet). Cour de Cassation, chambre criminelle, 1977-10-04, bulletin criminel 1977 N° 285 p. 719 (Rejet). Cour de Cassation, chambre criminelle, 1982-06-29, bulletin criminel 1982 N° 179 p. 491 (Rejet).


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 09 déc. 1986, pourvoi n°86-90552, Bull. crim. criminel 1986 N° 368 p. 959
Publié au bulletin des arrêts de la chambre criminelle criminel 1986 N° 368 p. 959

Composition du Tribunal
Président : Président :M. Berthiau, Conseiller le plus ancien faisant fonctions
Avocat général : Avocat général : M. Robert
Rapporteur ?: Rapporteur : M. Louise
Avocat(s) : Avocat : la Société civile professionnelle Nicolas, Massé-Dessen et Georges.

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:1986:86.90552
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