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04/11/1986 | FRANCE | N°85-92823

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 04 novembre 1986, 85-92823


REJET du pourvoi formé par :
- P... et la Société " Le M... de P... ",
contre un arrêt de la Cour d'appel de Paris, 11e chambre, du 27 mars 1985 qui, dans les poursuites engagées pour diffamation publique envers un citoyen chargé d'un mandat public à la requête de S..., a annulé le jugement entrepris, et évoquant, a déclaré que le compte rendu incriminé ne bénéficiait pas de l'immunité prévue à l'article 41, alinéa 3, de la loi du 29 juillet 1881, que la partie civile était recevable dans son action, et a renvoyé l'affaire à une audience ultérieure.
LA COUR, >Vu l'ordonnance du président de la Chambre criminelle en date du 19 septembre 198...

REJET du pourvoi formé par :
- P... et la Société " Le M... de P... ",
contre un arrêt de la Cour d'appel de Paris, 11e chambre, du 27 mars 1985 qui, dans les poursuites engagées pour diffamation publique envers un citoyen chargé d'un mandat public à la requête de S..., a annulé le jugement entrepris, et évoquant, a déclaré que le compte rendu incriminé ne bénéficiait pas de l'immunité prévue à l'article 41, alinéa 3, de la loi du 29 juillet 1881, que la partie civile était recevable dans son action, et a renvoyé l'affaire à une audience ultérieure.
LA COUR,
Vu l'ordonnance du président de la Chambre criminelle en date du 19 septembre 1985 admettant l'examen immédiat du pourvoi ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation pris de la violation de l'article 41, alinéa 3, de la loi du 29 juillet 1881, des articles 485, 593 du Code de procédure pénale ;
" en ce que la décision attaquée a dit que le compte rendu des débats judiciaires publié le 27 mai 1983 par le journal Le M... de P... ne bénéficie pas de l'immunité prévue à l'article 41 alinéa 3 de la loi du 29 juillet 1881 ;
" aux motifs que le compte rendu incriminé après avoir rappelé que S..., sénateur maire centriste de T..., poursuivait en diffamation Le M... de P... pour un article paru le 16 février dernier sous le titre " comment détourner deux ou trois milliards de centimes de fonds publics " contenant la phrase suivante, qui était incriminée par S... : " le journal y révélait que les fonds du Centre de Formation des Personnels Communaux (C.F.P.C.), dont P... S... est le président du conseil d'administration, étaient détournés grâce à des opérations immobilières " ; qu'il poursuivait encore en indiquant qu'à l'audience du 26 mai " l'affaire n'a pas été plaidée au fond, l'avocat du M... ayant demandé la nullité des citations... car S... y invoque plusieurs qualités, créant une ambiguïté " ; que l'article indique ensuite que " l'avocat de S... a estimé qu'il s'agissait d'une dérobade du journal dont l'article était une manoeuvre et que son client était bien déçu de ne pouvoir faire éclater aujourd'hui la vérité aux yeux du public " et que " le tribunal rendrait sa décision sur cette nullité de procédure le 2 juin " ; que dans ce texte, le journal du M... de P..., qui rend compte d'une audience où était appelée une affaire de diffamation dans laquelle il était lui-même poursuivi, énonce immédiatement, après avoir relaté la date de l'audience, le contenu de la poursuite et le titre alors incriminé comme diffamatoire, que " le journal y révélait que les fonds du centre de formation des personnels communaux (C.F.P.C.), dont P... S... est le président du conseil d'administration, étaient détournés grâce à des opérations immobilières " ; qu'une telle phrase ne peut pas être regardée comme constituant quant à elle le compte rendu fidèle et de bonne foi des débats judiciaires relatés ; qu'en effet, le M... de P... y énonce que, dans le précédent article du 16 février, objet de l'affaire venue à l'audience du 26 mai 1983, il avait lui-même révélé que les fonds du C.F.P.C., présidé par S..., étaient détournés ; que l'emploi du verbe " révéler " qui signifie faire connaître, ce qui était inconnu, secret, divulgué, cependant que le journaliste eut dû à ce stade utiliser un autre terme, prudent, et l'emploi grammatical du mot indicatif, au lieu et place du mode conditionnel, donne nécessairement à penser au lecteur moyen de l'article que les faits de détournement de fonds précédemment révélés devaient être tenus pour certains ; que, par ailleurs, il n'est en rien prouvé qu'à l'audience du 26 mai, une telle phrase avec ces termes précis ait été proférée par quiconque et qu'elle puisse dès lors faire partie d'un véritable compte rendu d'audience ; que, dans ces conditions, il importe peu que la suite du compte rendu indique que les débats ont porté sur la procédure plus spécialement sur la nullité de la citation, et résume les thèses en présence, le lecteur moyen, mal averti de la chose procédurale, n'étant pas en mesure de comprendre que la question de la vérité des faits de détournement n'avait pas été abordée à l'audience du tribunal et n'était en rien élucidée ;
" alors, d'une part, que pour qu'un compte rendu soit fidèle et de bonne foi et bénéficie de l'immunité de l'article 41 alinéa 3 de la loi du 29 juillet 1881, il doit seulement mettre en regard des unes des autres les prétentions contraires des parties et permettre d'apprécier l'ensemble du débat ; que la Cour de Cassation est en mesure de contrôler que le compte rendu incriminé qui figure au dossier présente bien ces caractéristiques ; qu'en effet, après avoir rappelé le titre de l'article paru dans Le M... le 16 février, et son contenu, en indiquant que le journal y révélait que les fonds du centre de formation des personnels communaux dont P... S... est le président auraient été détournés grâce à des opérations immobilières, l'auteur du compte rendu indique que l'affaire n'a pas été plaidée au fond en raison d'une exception de procédure soulevée par l'avocat du M..., et que l'avocat de S... avait estimé que cette exception de procédure constituait " une dérobade du journaliste dont l'article était une manoeuvre " et que son client était bien déçu de ne pouvoir faire éclater aujourd'hui la vérité aux yeux du public " ; que les deux thèses se trouvaient donc bien exposées, et que les lecteurs de l'article se trouvaient avisés de ce que S... persistait à soutenir que les indications données par l'article étaient fausses, et qu'il se trouverait privé, si l'exception était admise, de la possibilité de le prouver ; qu'ainsi, les deux thèses en présence étaient rappelées, et que, contrairement à ce qu'a admis la Cour, le lecteur était en mesure de comprendre que la question de la vérité des faits de détournement n'avait pas été abordée à l'audience du tribunal et n'était pas élucidée ;
" alors, d'autre part, qu'il n'est pas nécessaire pour qu'un compte rendu soit fidèle qu'il s'agisse d'un compte rendu littéral ; qu'en déclarant que le compte rendu n'était pas fidèle parce que rien ne prouvait qu'à l'audience du 26 mai une phrase comme celle qui était critiquée ait été prononcée, l'arrêt a ajouté aux exigences de la loi, et qu'elle a du reste dénaturé l'article qui ne prétendait nullement que la phrase incriminée avait été prononcée à l'audience, mais se contentait de résumer le contenu de l'article argué de diffamation ;
" alors enfin et, en toute hypothèse, que les juges du second degré sont tenus de répondre aux motifs des jugements qu'ils infirment ; qu'il en est particulièrement ainsi lorsque les intimés ont demandé confirmation de ce jugement ; qu'en l'espèce actuelle, les exposants s'étaient approprié, en demandant la confirmation du jugement, les motifs des premiers juges qui avaient expressément constaté la fidélité du compte rendu, en insistant sur le fait que la phrase incriminée ne devait être considérée que comme reproduisant la thèse des exposants, et avaient démontré que le reste de l'article démontrait bien que le journal Le M... n'avait pas entendu dire que les faits allégués dans son précédent article avaient été prouvés, et que ceci était évident en raison de la reproduction des propos de Me B..., avocat de S... ; que la Cour n'a pas répondu à ce motif ; que ce défaut de réponse à un motif péremptoire du jugement et aux conclusions des exposants se l'appropriant doit entraîner derechef la cassation " ;
Attendu qu'il appert de l'arrêt attaqué que S... a poursuivi P..., directeur de publication, et la société éditrice du quotidien " le M... de P... " du chef de diffamation publique devant le tribunal correctionnel de Paris à raison des imputations contenues dans le numéro dudit quotidien paru le 16 février 1983 ; qu'au lendemain de l'audience tenue le 26 mai 1983, le même journal a publié un compte rendu de celle-ci indiquant que l'affaire n'avait pas été plaidée au fond, que l'avocat du " M... de P... " avait excipé de la nullité des citations, ce qui semblait être l'avis du substitut, que le conseil de la partie civile était intervenu pour qualifier cet incident de dérobade empêchant le plaignant de faire éclater la vérité aux yeux du public ; que ce même compte rendu ayant rappelé que les poursuites étaient engagées à raison de l'article paru le 16 février 1983 et que " le journal y révélait que les fonds du centre de formation des personnels communaux (C.F.P.C.) dont P... S... est le président du conseil d'administration, étaient détournés grâce à des opérations immobilières ", ce dernier a intenté de nouvelles poursuites du chef de diffamation publique envers P... et la société éditrice du " M... de P... " ;
Attendu que pour infirmer le jugement entrepris qui a déclaré cette action irrecevable par application de l'article 41 alinéa 3 de la loi du 29 juillet 1881, l'arrêt relève que la phrase incriminée ne peut pas être regardée comme constituant quant à elle le compte rendu fidèle et de bonne foi des débats judiciaires relatés ; qu'après avoir indiqué la date d'audience et l'objet de la poursuite, l'article énonce que le journal avait lui-même révélé les détournements de fonds ; que l'emploi du verbe révéler synonyme de divulguer, faire connaître ce qui est inconnu, ou secret, et l'utilisation du mode indicatif, donnaient à penser au lecteur que les détournements de fonds devaient être tenus pour certains ; qu'il n'était en rien prouvé qu'à l'audience du 26 mai la phrase avec ses termes précis eût été proférée par quiconque pour pouvoir faire partie d'un véritable compte rendu des débats ; qu'il importait peu que la suite de l'article eût rendu compte de ce que l'audience avait été consacrée à l'exception de nullité, le lecteur non averti n'étant pas en état de comprendre que la question de la vérité des faits de détournements n'avait pas été abordée et n'était en rien élucidée ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, la Cour d'appel qui a répondu sans insuffisance ni contradiction aux conclusions du prévenu se bornant à affirmer que le compte rendu était fidèle et de bonne foi, a mis la Cour de Cassation à qui il appartient de contrôler et de rectifier, s'il y a lieu, d'après ce qui se dégage de l'écrit publié, les appréciations des juges du fait en ce qui concerne le droit à l'immunité réclamé, en mesure de s'assurer qu'en l'espèce, l'article incriminé a, en reprenant les imputations diffamatoires portées dans le précédent écrit alors que les débats avaient été circonscrits à un incident de procédure, outrepassé les limites d'un véritable compte rendu, lequel consiste à mettre en regard les unes des autres les prétentions contraires des parties et à permettre d'apprécier l'ensemble des débats ;
Que le défaut d'objectivité et de prudence relevé par les juges est exclusif de la bonne foi dont la preuve incombe d'ailleurs au prévenu ;
Que la reproduction dans un article de presse desdites imputations alors que les débats relatifs à la preuve de la vérité des faits imputés étaient reportés à une audience ultérieure, ne constitue pas un compte rendu au sens des articles 39 et 41 de la loi sur la liberté de la presse, et bénéficiant de l'immunité instituée par cette dernière disposition ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 85-92823
Date de la décision : 04/11/1986
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Criminelle

Analyses

PRESSE - Immunités - Compte rendu des débats judiciaires - Reproduction fidèle et de bonne foi - Conditions

Au sens de l'article 41 alinéa 3 de la loi du 29 juillet 1881, le compte rendu fidèle fait de bonne foi d'un procès consiste à mettre en regard les prétentions contraires des parties de façon à permettre d'apprécier l'ensemble des débats. Ne saurait être couverte par l'immunité instituée par ce texte la reproduction, dans le compte rendu d'un procès en diffamation, des imputations contenues dans l'écrit objet de la poursuite alors que les débats avaient été circonscrits à un incident de procédure et que ceux relatifs à la preuve de la vérité des faits imputés avaient été reportés à une audience ultérieure.


Références :

Loi du 29 juillet 1881 art. 41 al. 3

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 27 mars 1985

(1) A RAPPROCHER : Cour de Cassation, chambre criminelle, 1962-12-18, bulletin criminel 1962 N° 378 p. 776 (Rejet). Cour de Cassation, chambre criminelle, 1978-01-16, bulletin criminel 1978 N° 18 p. 39 (Rejet).


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 04 nov. 1986, pourvoi n°85-92823, Bull. crim. criminel 1986 N° 322 p. 820
Publié au bulletin des arrêts de la chambre criminelle criminel 1986 N° 322 p. 820

Composition du Tribunal
Président : Président :M. Berthiau, Conseiller le plus ancien faisant fonctions
Avocat général : Avocat général : M. Rabut
Rapporteur ?: Rapporteur : M. Dardel
Avocat(s) : Avocats : M. Ryziger et la Société civile professionnelle Vier et Barthélémy.

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:1986:85.92823
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