LA COUR, Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
1° Sur le pourvoi de la société Kagel ;
Sur les faits :
Attendu qu'il appert de l'arrêt attaqué et du jugement qu'il a confirmé que X..., agissant au nom de la société Kagel dont il était le directeur commercial, a, de concert avec un sieur Y..., introduit en France sous le couvert de titres de transit falsifiés des viandes dont le destinataire étranger était fictif et, de ce fait, importé en France en contrebande des marchandises dont une partie a été acquise par la société Gelor, dont Z... est le président, et revendue par des tiers par l'intermédiaire de " l'Union française des surgelés " dont A... (Françoise) est la directrice commerciale ; qu'à la procédure suivie du chef d'infraction douanière ont été jointes des poursuites en escroquerie et complicité commises à l'occasion de cette opération par Y... et X... au préjudice de la société Kagel, laquelle leur avait versé des droits et taxes en définitive éludés ; que Y... et X... ont été définitivement condamnés tant pour le délit de droit commun que pour le délit douanier par le jugement du Tribunal correctionnel de Lyon du 30 septembre 1980 ;
Attendu qu'après avoir déclaré la société Kagel civilement et solidairement responsable de son préposé X... pour les infractions douanières, la Cour d'appel a condamné la société anonyme Kagel à payer solidairement avec X... et Y... le montant des amendes et pénalités prononcées en répression de l'importation en contrebande dont les susnommés ont été déclarés coupables ; que, par ailleurs, la Cour a confirmé la décision de relaxe intervenue en faveur de Z..., la société Gelor, la dame A... et l'Union française des surgelés ;
En cet état :
Sur le premier moyen de cassation pris de la violation des articles 1384, alinéa 5, du Code civil, 343, 416, 417 et 399 du Code des douanes, 567, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale,
En ce que la Cour d'appel déclare la société Kagel civilement responsable de son préposé X..., du chef des condamnations pécuniaires prononcées au profit de l'administration des douanes. Aux motifs que, d'une part, la société Kagel ne peut faire valoir que les premiers juges ont définitivement déclaré X... coupable de complicité d'escroquerie au préjudice de son employeur ; qu'en effet, les dispositions définitives du jugement entrepris, concernant tant les infractions de droit commun reprochées à Y..., auteur principal, et à X..., complice, que la constitution de partie civile de la société Kagel, sont inopposables à l'administration des Douanes, qui n'a pas été partie à ces actions ; que, d'autre part, X... a agi à l'occasion et pendant le temps de son travail, dans le cadre des pouvoirs qui lui avaient été confiés par son employeur et pour compte de celui-ci, dont la responsabilité civile reste entière, même dans le cas où le préposé excède les ordres reçus ;
Alors que la Cour d'appel constate que " le jugement intervenu le 30 septembre 1980 est actuellement définitif, sur le plan pénal et douanier, à l'encontre de X... (Alain) et Y... (Michel) et, en ce qui concerne ce dernier, sur le plan civil vis-à -vis de la partie civile société Kagel " ; qu'il est ainsi définitivement jugé que X... a été complice de l'escroquerie commise par Y... au préjudice de la société Kagel ; que les délits d'escroquerie et de contrebande sont, en l'espèce, fondés sur les mêmes faits poursuivis tant par le procureur de la République que par l'administration des Douanes ; qu'en effet, il résulte des constatations de fait des juges du fond que Y... et X... ont, " en commun, imaginé et utilisé un plan de fraude, par le biais de cessions fictives et successives de marchandises et par la création d'une société imaginaire ", " pour à la fois vendre sur le marché français des viandes non dédouanées, mais encore prélever sur la société anonyme Kagel notamment la valeur du dédouanement, qui a été effectivement payée par la société anonyme Kagel alors que les formalités douanières n'avaient pas été effectuées " ; qu'ainsi, les juges du fonds ont constaté que le plan de fraude conçu et exécuté par Y... et X... avait pour but et effet de causer un préjudice tant à l'administration des Douanes qu'à la société Kagel ; qu'en outre ces constatations de fait résultent notamment du jugement entrepris, auquel l'administration des Douanes était " partie jointe " et la société Kagel " partie civile " ; qu'ainsi, la société Kagel était recevable à opposer à l'administration des Douanes la condamnation définitive de son préposé du chef de complicité d'escroquerie commise à son préjudice ; qu'en décidant le contraire, au motif inopérant que l'administration des Douanes n'était pas " partie " aux poursuites de ce chef, la Cour d'appel n'a pas déduit les conséquences légales de ses propres constatations de fait et, par suite, a violé les textes susvisés ;
Alors que, au surplus, la responsabilité civile du commettant n'est pas engagée, lorsque l'acte qui servirait de support à cette responsabilité n'a pu être commis par le préposé qu'au prix d'un abus de fonctions ; que tel est le cas en l'espèce, dès lors que le préposé X... a fait l'objet d'une condamnation pénale définitive du chef de complicité d'escroquerie au préjudice de son employeur, la société Kagel ; que, les faits poursuivis de ce chef ayant également permis la fraude douanière, pour laquelle l'administration des Douanes a exercé l'action fiscale du chef de contrebande au moyen d'un véhicule autopropulsé, il est également établi que cette fraude douanière n'a pu être commise qu'au prix d'un abus de fonctions et à des fins personnelles au préposé X... ; que par suite, la responsabilité civile du commettant ne pouvait être engagée à raison des faits commis par le préposé pour la perpétration des délits d'escroquerie et de contrebande ; qu'en décidant le contraire, la Cour d'appel a violé les textes susvisés ;
Alors que, enfin, il incombait à la Cour d'appel de rechercher si, comme l'avait d'ailleurs fait valoir la société Kagel dans ses conclusions d'appel sur la base des constatations de fait des premiers juges, si la liaison entre les délits d'escroquerie et de contrebande n'était pas telle que le préposé X..., qui avait manifestement abusé de ses fonctions en se rendant complice d'une escroquerie commise au préjudice de son employeur la société Kagel, ne devait pas être également regardé comme ayant abusé de ses fonctions en se rendant coupable d'un délit de contrebande au préjudice de l'administration des Douanes ; qu'en s'abstenant de procéder à cette recherche de fait, qui seule aurait permis de contrôler la réunion des éléments constitutifs d'une éventuelle responsabilité civile de la société Kagel du fait de son préposé X..., la Cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard des textes susvisés " ;
Attendu que pour prononcer à la charge de la société Kagel solidairement avec son préposé X... les pénalités douanières réprimant l'opération de contrebande dont ce prévenu a été déclaré coupable, les juges énoncent que la société commettante de X... est civilement responsable des agissements de celui-ci, lequel a agi à l'occasion et pendant le temps de travail, dans le cadre des pouvoirs qui lui avaient été confiés par sa société et pour le compte de cet employeur ; qu'en matière douanière, responsabilité civile et responsabilité pénale se confondent, comme ayant la même cause et le même objet en raison du caractère mixte des pénalités pécuniaires ; que les débats contradictoires ont eu lieu sur cette base dès le début de l'audience où l'administration des Douanes a, par voie de conclusions, fait connaître qu'elle entendait se prévaloir de cette solidarité ;
Attendu qu'ainsi et abstraction faite de tout autre motif surabondant, voire erroné, la Cour d'appel a justifié sa décision ; qu'en effet, la circonstance que la société Kagel a pu, du fait des agissements délictueux reprochés à son préposé, subir de surplus un préjudice tiré de l'escroquerie causée à son détriment par ce préposé et dont celui-ci doit réparation est sans incidence sur la responsabilité du commettant vis-à -vis de l'administration des Douanes, dès lors que le dommage causé à celle-ci est la conséquence directe d'une infraction commise à l'occasion et pendant le temps du travail et qu'elle est par suite dépendante du lien de préposition unissant X... à son employeur auquel il incombait d'assurer la surveillance et le contrôle de son employé qui a trouvé dans son emploi l'occasion et les moyens de sa faute ; Que le moyen doit, dès lors, être rejeté ;
Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 343, 416, 417 et 399 du Code des douanes, 406 et 407 du même Code, 567, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale,
En ce que la Cour d'appel condamne la société Kagel, solidairement avec les prévenus du chef de contrebande, à payer à l'administration des Douanes diverses sommes d'argent, au titre de la confiscation de la marchandise non saisie, des droits et taxes éludés et des pénalités douanières ;
Aux motifs que la société Kagel est civilement responsable des conséquences pécuniaires du délit de contrebande commis par son préposé X... ; qu'en matière douanière et fiscale, responsabilité civile et responsabilité pénale se confondent, comme ayant la même cause et le même objet, en raison du caractère mixte des pénalités pécuniaires ; que X... était poursuivi pour infraction aux articles 416-2° et 417- 2c du Code des douanes, indépendantes de toute notion d'intention, et non pas à l'article 399- 2c ; que, dès la comparution en première instance des prévenus et de leurs civilement responsables, l'administration des Douanes a, par voie de conclusions, fait connaître qu'elle demandait la condamnation solidaire de ces dernières, citées sur le même fondement que leurs préposés ; que des débats contradictoires ont eu lieu sur ces bases ; qu'aucune irrégularité n'entache donc le jugement entrepris, dont les dispositions doivent être maintenues, et aux motifs adoptés des premiers juges que, sans pour autant outrepasser les limites de sa saisine, il appartient au juge correctionnel de prononcer entre les sociétés la solidarité pour le paiement des condamnations pécuniaires, qui sont non seulement des réparations civiles, mais aussi des sanctions fiscales ; que le seul fait que X... ne soit pas le représentant légal de la SA Kagel ne saurait en l'espèce empêcher l'application de ce principe, la société ayant été régulièrement citée doit être déclarée solidairement responsable en application des articles 404 et 407 du Code des douanes ;
Alors que, ni l'acte introductif d'instance fiscale délivré par d'administration des Douanes, ni le réquisitoire définitif du procureur de la République, ni les ordonnances de jonction et de renvoi du juge d'instruction, ni les citations à civilement responsables délivrées par les deux parties poursuivantes, ne tendaient directement au prononcé d'une condamnation solidaire à l'encontre de la société Kagel, qui n'était pas personnellement poursuivie comme coauteur, complice ou intéressé à la fraude douanière commise par son préposé X..., ni comme détenteur, propriétaire ou importateur de marchandises de fraude ; qu'en outre, la société Kagel n'a jamais été entendue par le juge d'instruction et n'a été présente à l'audience de jugement qu'en sa qualité de commettant de X..., sans même qu'il lui ait été demandé d'accepter de comparaître volontairement pour répondre d'une prétendue responsabilité pénale personnelle et solidaire ; que, dès lors, en prononçant une condamnation solidaire à l'encontre de la société Kagel, la Cour d'appel a excédé les limites de sa saisine, méconnu les droits de la défense de ladite société et, par suite, violé les textes susvisés ;
Alors que, au surplus, si le juge correctionnel peut prononcer d'office une condamnation solidaire à l'encontre de la société dont le représentant légal est personnellement poursuivi, tant par le procureur de la République que par l'administration des Douanes, tel ne peut être le cas, lorsque les poursuites pénales et douanières ne sont pas directement dirigées contre la personne du représentant légal, mais contre un préposé de la société, et que cette dernière n'a été citée qu'en qualité de civilement responsable de son préposé et prise en la personne de son représentant légal ; que tel était le cas en l'espèce ; que dès lors, en prononçant une condamnation solidaire à l'encontre de la société Kagel, la Cour d'appel a violé les textes susvisés ;
Alors que, en outre, la cassation qui ne manquera pas d'être prononcée sur la base du premier moyen dirigé contre les dispositions de l'arrêt attaqué ayant déclaré la société Kagel civilement responsable de son préposé X..., entraînera nécessairement par voie de conséquence celle des dispositions présentement critiquées ; qu'en effet, l'abus de fonctions, commis au préjudice de l'employeur et au profit personnel et exclusif du préposé dans la perpétration des délits de complicité d'escroquerie et de contrebande, indissociables dès lors que la remise de sommes d'argent était provoquée par la croyance d'un dédouanement qui n'est jamais intervenu, et délits pour lesquels le préposé X... avait fait l'objet d'une condamnation définitive, caractérisait l'erreur invincible excluant toute responsabilité de la société Kagel dans la commission du délit douanier et, par suite, toute condamnation solidaire au paiement des sommes réclamées par l'administration des Douanes ;
Attendu que pour condamner la société Kagel au paiement des diverses pénalités douanières, la Cour d'appel qui a constaté, d'une part, que cette société était lors du dédouanement frauduleux propriétaire des marchandises de fraude dont son préposé X... avait organisé l'importation en contrebande, et qui a statué dans les limites des conclusions dont elle était saisie, a fait une exacte application des articles 399 et 407 du Code de douanes, en constatant qu'aucune erreur invincible n'interdisait à la société Kagel d'exercer sur ce préposé une surveillance de nature à empêcher ses agissements ; que le moyen ne saurait dès lors être accueilli ;
2° Sur le pourvoi de l'administration des Douanes ;
Attendu qu'aucun moyen n'est produit contre B..., X... et Y... contre lesquels l'Administration s'était régulièrement pourvue ;
Sur le premier et le second moyens de cassation réunis et pris :
Le premier, de la violation des articles 38, 392, 399-5, 407, 417-2c, 416-2° et 435 du Code des douanes, 388 et 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale,
En ce que l'arrêt attaqué a relaxé Z... des fins de la poursuite pour intérêt à la fraude et mis hors de cause son employeur, la SA Gelor ;
Aux motifs que Z... et dame A... sont poursuivis sur le fondement de l'article 399-2c du Code des douanes ; que le fait par Z... d'avoir acheté, lors d'une opération unique, une marchandise dont la vente en France était interdite eu égard à la situation géographique des abattoirs d'où provenait la viande importée, n'implique pas nécessairement la connaissance d'une introduction en contrebande de ce produit ; que, de même, ne peut être tenu pour " anormalement bas " un prix d'achat au kilogramme de 18,30 francs au lieu de 24,50 francs ; que, pour les mêmes raisons, la société Gelor doit être mise hors de cause, en dehors de sa responsabilité civile qui ne saurait être retenue eu égard à la décision de relaxe dont Z... bénéficie ;
Alors, d'une part, que la Cour n'a pu, sans contradiction, constater que la vente de la viande importée était interdite en France et déclarer qu'il n'en résultait pas nécessairement la connaissance d'une introduction en contrebande de ce produit ;
Alors, d'autre part, que les poursuites ont visé l'achat par Z... de marchandises provenant de délits de contrebande, et l'article 399 du Code des douanes sans autre précision ; que toutes les formes du délit d'intéressement sont donc l'objet des poursuites, pourvu qu'ils se rattachent à l'achat des marchandises de fraude ;
Alors que le fait d'acheter une marchandise au-dessous du cours constitue l'intérêt direct à la fraude prévu par l'article 399-2a du Code des douanes et qui ne requiert pas la connaissance coupable chez son auteur ;
Alors, enfin, que la cassation sur la relaxe de Z... doit entraîner, par voie de conséquence, la cassation sur la mise hors de cause de la société civilement responsable, de surcroît intéressée à la fraude et détentrice des marchandises ;
Le second, de la violation des articles 38, 399, 407, 417- 2c, 416-2° et 435 du Code des douanes, 388 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale, En ce que l'arrêt attaqué a relaxé dame A... (Françoise) des fins de la poursuite pour intérêt à la fraude et mis hors de cause la société UFS, citée comme civilement responsable ;
Aux motifs que le grief fait à dame A... d'avoir " acheté des marchandises provenant des délits de contrebande commis par X... et Y... " n'était pas établi en fait, l'objet social de la société UFS n'étant pas d'effectuer par elle-même des achats, mais seulement de mettre en rapport vendeurs éventuels et sociétaires ; que d'ailleurs, dans ses dernières conclusions, l'administration des Douanes ne fait plus état de la qualité d'acheteuse de la prévenue, mais relève l'existence d'une infraction à l'article 399-2b " en mettant en rapport les offres d'achat et de vente ", fait non articulé dans les procès-verbaux initiaux ; que pareille disqualification porterait atteinte aux droits de la défense, les éléments constitutifs de chacune des infractions étant différents ; que, de même, ne peut être envisagée une disqualification concernant l'intérêt à la fraude de l'UFS ;
Alors que, si les juges correctionnels ne peuvent statuer sur des faits autres que ceux dont ils sont régulièrement saisis, il leur appartient de relever, dans les débats, les circonstances qui se rattachent à ces faits et sont propres à les caractériser ;
Alors, d'une part, que le fait de servir d'intermédiaire entre vendeurs et acheteurs se rattache étroitement au fait visé à tort d'avoir acheté des marchandises de fraude ; que, d'autre part, l'article 399 du Code des douanes était invoqué sans autre précision par la prévention ; qu'il n'était donc pas interdit aux juges de faire application de l'article 399-2b à la prévenue, l'UFS étant civilement responsable ;
Attendu qu'il résulte des constatations des juges du fond que Z..., président du conseil d'administration de la société Gelor elle-même membre de la centrale d'achats Union française des surgelés dont la société Kagel est l'actionnaire majoritaire, a acquis par l'intermédiaire de cette dernière une marchandise dont Kagel avait assuré l'importation en France dans les conditions sus-relatées ; que les juges observent que ni le prix de la marchandise ni sa spécificité n'étaient de nature à permettre à Z..., qui n'a pas la qualité d'importateur, de déceler son origine réelle ; que s'agissant d'une marchandise déjà mise à la consommation sur le marché français et ayant en apparence une origine licite, il n'est pas établi que Z... ait participé au plan de fraude auquel il n'a été nullement intéressé ; qu'il en est de même de la dame A... qui est intervenue au nom de la société Gelor pour mettre en relation vendeurs et acquéreurs d'une marchandise, dont, en raison de la faute initiale à laquelle le préposé de Kagel avait participé, il ne lui était pas permis de déceler l'importation en contrebande ;
Que par ces motifs qui ne contiennent pas d'erreur de droit et d'où il découle que les éléments constitutifs du délit de participation à la fraude n'étaient pas établis, la Cour d'appel a justifié sa décision ; d'où il suit que les moyens ne sauraient être accueillis ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme :
REJETTE les pourvois.