LA COUR,
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 38, 399 / 2 b, 414, 417 et 459 du code des douanes, 3, 5, 6 du décret du 24 novembre 1968, 593 du Code de procédure pénale, défaut de réponse aux conclusions régulièrement déposées, défaut de motifs et manque de base légale,
" en ce que l'arrêt attaqué a relaxé X..., Y..., Z..., A..., B..., C..., D... et E... des fins de la poursuite ;
" aux motifs que la participation à un plan de fraude en matière douanière exige l'existence d'un élément intellectuel qui permettait de relier dans l'esprit du participant les actes préparatoires d'abus de biens sociaux auxquels il peut avoir coopéré à l'exécution de la phase d'évasion des capitaux qui se situe après la remise par F... à G... des fonds liquides déposés aux comptes de CCE ou de Z... à la Société Générale, que l'action collective et concertée visée par l'article 399 / 2 b du Code des douanes implique la conscience sinon la volonté de s'associer à une entreprise frauduleuse, de la faciliter d'une manière quelconque ou d'en retirer consciemment un profit, que l'existence d'un lien intellectuel entre les actes préparatoires et l'évasion fiscale n'est établie ni en ce qui concerne Z..., car s'il est exact que, dans l'esprit de G..., concepteur et organisateur de l'ensemble, les abus de biens dont Z... s'est rendu complice constituaient des actes préparatoires et nécessaires aux délits douanier et de change, les détournements au préjudice de la société Betex pouvaient se concevoir, même dans leur finalité, indépendamment des exportations clandestines à l'étranger, ni en ce qui concerne les sous-traitants et clients, dont il n'apparaît pas qu'ils aient agi de concert entre eux en vue d'assurer à G... les moyens de transférer des capitaux à l'étranger, ni en ce qui concerne les inspecteurs des impôts et E..., dont rien ne prouve qu'ils désiraient s'associer à une fraude douanière ou qu'ils en aient eu connaissance, qu'en outre, la preuve n'est pas rapportée que l'intérêt que les uns ou les autres ont pu retirer de leur intervention ait été en relation avec le délit douanier ou le délit de change commis ultérieurement par G... ;
" alors que le délit de l'article 399 / 2 b du Code des douanes n'exige, pour être constitué, ni la mauvaise foi, ni la connaissance du plan de fraude et pas davantage par conséquent l'existence d'un concert frauduleux, qu'en outre, l'intérêt à la fraude est lui-même présumé, du fait même de la coopération au plan de fraude, que seuls l'état de nécessité ou une erreur invincible sont susceptibles de constituer, en la matière, des causes d'exonération de responsabilité, qu'il résulte de ces principes que le lien intellectuel entre les diverses parties du plan de fraude doit être recherché non dans l'esprit des participants qui peuvent avoir tout ignoré du plan, mais dans celui de ses auteurs ;
" alors qu'en l'espèce, la Cour ayant constaté que les abus de biens constituaient dons l'esprit de G..., concepteur et organisateur de l'ensemble, des actes préparatoires et nécessaires aux délits douanier et de change, il en résulte qu'ils étaient inclus dans le plan de fraude, qu'il importait peu dès lors que les participants au plan l'aient ignoré, qu'ils n'aient pas agi de concert entre eux et que leur intérêt personnel à la fraude n'ait pas été directement démontré ;
" alors au surplus, que l'administration demanderesse soutenait dans ses conclusions d'appel (p. 5) à tort délaissées que le dépôt de fonds par G... à son compte à Genève remontait au moins à décembre 1971 et que l'intervention de C..., D... et E... était destinée à assurer la " sécurité fiscale " de la fraude " ;
Sur les faits :
Attendu qu'il appert de l'arrêt attaqué et du jugement qu'il confirme, que G... Elie, directeur de la SA Omnium Technique Holding, a, de décembre 1971 à mars 1978, fait transférer clandestinement sur un compte ouvert à une banque de Genève, une somme totale de 24 110 436 francs français, et a perçu 6 377 953 francs français d'intérêt ; que, pour la période non prescrite, la somme irrégulièrement exportée s'est élevée à 13 005 607 francs français, ayant produit un intérêt de 4 554 867 francs français ; que notamment, dans le courant de 1977, une partie de ces sommes, soit 1 303 000 francs français en billets de banque, a été exportée en contrebande par H... Bernard et I... Denise ; qu'il a été établi que ces fonds ont été le produit d'abus de biens commis par G... au préjudice de la société Betex ; que, pour permettre le détournement des fonds sociaux, celui-ci a créé une société de façade " Conception, Coordination, Exécution " (CCE), gérée en droit par Z... François, et dont le but n'a été que de facturer soit de prétendus travaux à la société Betex, soit des travaux au lieu et place de celle-ci ; qu'il a obtenu, en même temps, la complicité de diverses personnes et notamment de clients ou de sous-traitants de la société Betex ; qu'à cet effet, il a demandé à certains de ses sous-traitants, tels que X... et la société OER, Y... et la société Saubilag, de facturer la société Betex et de rétrocéder les montants des factures soit à lui-même par l'entremise de l'architecte monégasque A..., soit à sa société de façade CCE ; qu'il a, également, fait délivrer par cette dernière des factures à des clients de la société Betex, tels qe B... et la société OTUI, J... Armel et la société SLCR et K... et la société SCGPM ; que par ces moyens, et avec la complicité de l'employé de banque F... de la Société Générale, il s'est fait remettre par chacune de ces sociétés des sommes que l'arrêt précise et qui appartenaient à la société Betex ;
Attendu qu'il est, en outre, énoncé dans l'arrêt que dans le souci d'échapper à un contrôle fiscal sur les mouvements de capitaux entre la société Betex et la société de façade CCE, G... s'est assuré la complaisance de deux inspecteurs des impôts C... et D..., qui lui permirent notamment d'obtenir d'un propriétaire d'immeuble E... Albert, une domiciliation fictive de la société CCE ;
Attendu qu'aux termes de l'arrêt, l'administration des Douanes reproche aux personnes susnommées et aux sociétés qu'elles représentent, d'avoir participé d'une manière quelconque comme intéressées au délit d'exportation de fonds en contrebande commis par G..., et d'avoir, sur le fondement des dispositions de l'article 399, par. 2 b, du Code des douanes, coopéré à un ensemble d'actes accomplis par un certain nombre d'individus agissant de concert d'après un plan de fraude arrêté pour assurer le résultat poursuivi en commun ;
En cet état :
Attendu, en premier lieu, que pour relaxer X... Roland, Y... Laurent, Z... François, A... Joseph, B... Jean-Claude, J... Armel, K... Jean-Claude du chef du délit douanier précité et visé par les articles 399, par. 2 b, 414, 417 et 459 du Code des douanes et mettre hors de cause les sociétés Betex, CCE, OER, Saubilag, OTUI, Technique et Construction, SCGPM et SLCR, les juges énoncent que la participation à un plan de fraude, en cette matière, exige tout comme la complicité d'un délit de cette nature, mais de façon certes moins directe, l'existence d'un lien intellectuel qui permettrait de relier dans l'esprit du participant les actes préparatoires auxquels chacun des prévenus a, en l'espèce, pris part, à l'exécution de la phase d'évasion des capitaux qui se situe après la remise par F..., employé de banque de la Société générale, à G... des fonds en espèces déposés aux comptes de la CEE ou de son gérant Z... à ladite banque ; que, dans la mesure où ce lien intellectuel entre les deux phases de l'opération n'est pas rapporté, les prévenus, clients ou sous-traitants, ne sauraient être condamnés ;
Attendu qu'il est ajouté, d'une part, que les sous-traitants Y..., X... et A... n'ont pas agi de concert entre eux en vue d'assurer à G... les moyens de transférer des capitaux à l'étranger ; qu'ils ont seulement répondu individuellement et séparément à la demande de celui-ci dans le but de lui permettre de prélever indûment des fonds dans la trésorerie de Betex ; qu'il n'apparaît pas que l'intérêt que ces sous-traitants aient pu tirer de leur intervention a eu un rapport avec le délit douanier ; que, d'autre part, les clients de Betex, les sieurs B..., J... et K..., qui ont d'ailleurs bénéficié d'une relaxe dans la procédure suivie du chef de complicité d'abus de biens sociaux commis par G..., n'ont pas agi de concert en vue de faciliter le transfert par ce dernier, de capitaux à l'étranger ; qu'ils se sont bornés à régler les factures présentées par CCE au lieu et place de Betex, alors que ces travaux ou études avaient été exécutés ; que la preuve n'a pas été rapportée de leur participation au plan de fraude qui résulterait de l'aide qu'ils auraient fournie à G... dans l'exportation des capitaux ;
Attendu, en second lieu, que pour relaxer les inspecteurs des impôts C..., D... ainsi que E..., du chef du même délit douanier, la Cour d'appel énonce que ces trois prévenus n'ont pas participé à un plan de fraude, au sens de l'article 399, par. 2 b, dudit code, lequel ne peut concerner qu'une infraction douanière organisée par plusieurs personnes agissant de concert et non point une infraction fiscale préalable prévue par l'article 1741 du Code général des impôts ; que l'intervention des inspecteurs des impôts et de E... avait pour but d'aider G... à se soustraire à certaines obligations fiscales ; que rien dans leur démarche ne permet d'affirmer qu'ils désiraient s'associer à une fraude douanière qui s'est située à un stade postérieur et dont la réalisation ne comportait pas d'incidence sur le profit qu'ils en ont tiré ;
Attendu qu'en l'état de ces motifs, la Cour d'appel a justifié sa décision ; qu'en effet, s'il est vrai qu'en vertu des dispositions de l'article 399, par. 2 a et b du Code des douanes, la preuve de l'intention délictueuse du prévenu n'a pas à être rapportée pour caractériser le délit de participation à la fraude en qualité d'intéressé, il n'en demeure pas moins que ce délit ne peut être constitué que s'il est établi contre le prévenu un acte de participation dans l'exécution proprement dite du plan de fraude ; que tel n'est pas le cas de l'espèce, les faits reprochés aux défendeurs n'ayant pas un lien direct avec la fraude et alors d'ailleurs qu'il n'est pas établi contre eux des actes personnels de complicité visés par l'article 398 du Code des douanes, qui exigeraient la preuve de la mauvaise foi de leurs auteurs dans l'infraction douanière ;
Que, dès lors, le moyen ne saurait être accueilli ;
Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 38, 399 / 2 b, 407, 414, 417, 459 du Code des douanes, 3, 5, 6 du décret du 24 novembre 1968, 10 de la loi du 29 décembre 1977, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale,
" en ce que l'arrêt attaqué a condamné solidairement G..., H... et dame I... à payer à l'administration demanderesse : 1° pour le délit douanier, la somme de 13 005 607 francs au titre de la confiscation et celle de 13 005 607 francs au titre de l'amende, dit toutefois que pour H... et la dame I... cette solidarité sera limitée à 434 500 francs au titre de la confiscation et à une somme identique au titre de l'amende ; 2° pour le délit de change, condamné les trois prévenus solidairement à payer la somme de 13 005 607 francs au titre de la confiscation et celle de 13 005 607 francs au titre de l'amende, dit toutefois que pour H... et dame I... cette solidarité sera limitée à 434 500 francs au titre de la confiscation et à une somme identique au titre de l'amende ;
" aux motifs que la participation des prévenus H... et dame I... au plan de fraude ne saurait être étendue à des éléments de la prévention auxquels ils sont demeurés étrangers, que dès lors les pénalités encourues par lesdits prévenus se limitent, comme l'a d'ailleurs reconnu l'administration des Douanes dans ses propres écritures devant les premiers juges, à 1 303 500 francs et qu'il était loisible à ceux-ci, par application des circonstances atténuantes et de la loi du 29 décembre 1977, modifiant l'article 369 du Code des douanes, de réduire jusqu'au tiers les confiscations et amendes prononcées à l'encontre de H... et dame I... ;
" alors, d'une part, qu'aux termes de l'article 407 du Code des douanes, les propriétaires des marchandises de fraude, ceux qui se sont chargés de les importer ou de les exporter, les intéressés à la fraude, les complices et adhérents sont tous solidaires et contraignables par corps pour le paiement de l'amende des sommes tenant lieu de confiscation et des dépens, qu'il en résulte que la participation à une partie seulement des actes de faude entraîne la condamnation solidaire du prévenu à l'ensemble des réparations, que les Douanes, en acceptant la limitation de la solidarité de H... et dame I... à une somme de 1 303 500 francs n'ont pas reconnu à ces derniers un droit mais ont proposé une mesure de bienveillance ;
" alors, d'autre part, que l'article 10 / 1, paragraphe 2 de loi du 29 décembre 1977, dispose : " Si les circonstances atténuantes ne sont retenues qu'à l'égard de certains co-prévenus pour un même fait de fraude, le tribunal prononce d'abord les sanctions fiscales auxquelles les condamnés ne bénéficiant pas des circonstances atténuantes seront solidairement tenus. Il peut ensuite, en ce qui concerne les sommes tenant lieu de confiscation et les amendes fiscales, limiter l'étendue de la solidarité à l'égard des personnes bénéficiant des circonstances atténuantes ", qu'il en résulte que dans ce cas, qui est celui de l'espèce, les juges ne pouvaient ajouter, à la limitation de la solidarité permise par le jeu des circonstances atténuantes, la réduction au tiers des pénalités " ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que les premiers juges, statuant sur l'action fiscale, ont, pour les exportations en contrebande, condamné solidairement G... Elie, H... Bernard et I... Denise à payer à l'administration des Douanes la somme de 13 005 607 francs au titre de la confiscation et celle du même montant au titre de l'amende ; qu'ils ont, toutefois, déclaré que pour H... et dame I..., cette solidarité sera limitée à 434 500 francs au titre de la confiscation et à une somme identique au titre de l'amende ; que pour réprimer le délit de constitution irrégulière d'avoirs à l'étrangers, ils ont prononcé à l'encontre des susnommées les mêmes condamnations ;
Attendu que, pour répondre aux conclusions d'appel de la demanderesse reprises au moyen et confirmer la décision du tribunal, la Cour d'appel énonce que l'administration des Douanes a, elle-même, conclu à une solidarité limitée pour H... Bernard et I... Denise, à 1 303 500 francs, montant des transferts irréguliers de fonds auxquels ils ont participé ; que les juges qui avaient la faculté par l'octroi des circonstances atténuantes prévues par la loi du 29 décembre 1977, modifiant l'article 369 du Code des douanes, de réduire, comme ils l'ont fait, jusqu'au tiers du montant des sommes fraudées, l'amende tenant lieu de confiscation, ainsi que l'amende proportionnelle, ont statué dans les limites des conclusions de la partie civile ;
D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi.