Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles L. 124-1 et suivants, L. 125-1, L. 125-3 et L. 152-3 du Code du travail, 593 du Code de procédure pénale et 7 de la loi du 20 avril 1810, défaut de motifs et manque de base légale, " en ce que l'arrêt confirmatif attaqué a déclaré le prévenu coupable d'une opération prohibée, de fourniture de main-d'oeuvre à but lucratif, et l'a condamné à verser une somme de 30 000 francs à titre de dommages-intérêts, à la partie civile,
aux motifs qu'il résulte du procès-verbal rédigé par l'inspecteur du travail que cinq traducteurs qui travaillaient dans les locaux de la société Sonovision avaient été mis temporairement à la disposition de cette société par la société Ati dont le prévenu est le gérant, que les personnes concernées ont déclaré recevoir une rémunération de 6 000 francs par mois mais assurer le paiement des charges sociales alors que la société Sonovision acquittait 11 080 F par mois pour chaque traducteur, que le prévenu prétend que les contrats qui liaient sa société aux cinq traducteurs n'étaient pas des contrats de louage de services, mais des contrats de louage d'ouvrages, la mission de traduction étant ponctuelle et se trouvant limitée au temps nécessaire à la traduction complète de documents techniques concernant l'avion F1, les traducteurs étant non des salariés mais des travailleurs indépendants qui facturaient eux-mêmes leurs honoraires, supérieurs d'au moins 50 % à la rémunération qui aurait été la leur s'ils avaient été salariés dans une entreprise de travail intérimaire, que ces traducteurs ont formellement refusé la qualification de salarié, qu'il n'existait pas de lien de subordination et que si les traducteurs travaillaient dans les locaux de la société, c'était en raison des impératifs de la défense nationale et pour avoir recours à une documentation qui n'existe que sur place ;
mais que la partie civile a reçu une somme mensuelle pour 46 heures de travail par semaine, payée par la société Ati ; qu'on ne peut se laisser abuser par le terme d'honoraires qui cache mal en l'espèce que la rémunération versée est un véritable salaire, que si les autres traducteurs ont revendiqué le statut de travailleur indépendant, la partie civile a manifesté dans une lettre, l'intention d'abandonner le statut qui était le sien et qu'il appartient au juge d'interpréter les contrats et de rechercher les simulations, que dans le cas d'espèce on ne peut accepter la renonciation des traducteurs au statut protecteur que le Code du travail a accordé aux salariés, les traducteurs étant de par leurs contrats en état de subordination économique et juridique par rapport à leur employeur ; que la société Ati est en réalité une entreprise de travail temporaire telle que définie par l'article L. 124-1 du Code du travail et que les traducteurs recrutés par elle et mis à la disposition de la société Sonovision étaient ses salariés et non des travailleurs indépendants, que le prévenu a tourné la loi sur le travail temporaire, prouvant ainsi son intention délictuelle, qu'il a porté préjudice aux salariés en faisant à leurs dépens un profit illégitime et en les privant des avantages sociaux auxquels ils étaient en droit de prétendre ;
alors que le chef d'entreprise qui recrute des traducteurs en qualité de travailleurs indépendants pour que ces derniers effectuent la traduction d'une documentation appartenant à une autre entreprise, ne peut être considéré comme ayant effectué une opération de fourniture de main-d'oeuvre ayant pour objet d'éluder les dispositions du Code du travail, dès lors que pour toute la période visée par la prévention, chacun des traducteurs, y compris la partie civile, qui de ce fait, ne peut prétendre avoir subi un préjudice, a revendiqué le plus clairement possible le statut de travailleur indépendant et acquitté les charges qui en étaient la conséquence, cette revendication ne pouvant être le fait d'une subordination quelconque dès lors que les traducteurs, qui étaient parfaitement libres de refuser de travailler en qualité de travailleurs indépendants, n'ont jamais signé un contrat de travail les plaçant sous l'autorité du prévenu et ont choisi de se placer en dehors de la réglementation du Code du travail ; "
Attendu qu'il appert de l'arrêt attaqué et du procès-verbal, base des poursuites, qu'à l'occasion d'un contrôle effectué relativement à l'emploi, par la société " Sonovision ", de cinq traducteurs mis temporairement à sa disposition par la société de prestation de services " Ati-Assistance " dont X... est le gérant, l'inspecteur du travail a constaté que les intéressés, qualifiés de " travailleurs indépendants ", étaient, en réalité, soumis à l'horaire de travail et à l'obligation de présence du reste du personnel, qu'ils percevaient un salaire mensuel calculé sur 45 heures de travail par semaine sur lequel ils devaient payer eux-mêmes la totalité des charges sociales ; que ce salaire leur était versé par la société " Ati-Assistance " et correspondait à, environ, la moitié du prix payé à ladite société par " Sonovision ", que X... a été, en conséquence, cité devant la juridiction répressive pour avoir réalisé des opérations à but lucratif de fourniture de main-d'oeuvre, ayant eu pour effet de causer un préjudice aux salariés concernés et d'éluder les dispositions du Code du travail relatives au travail temporaire ;
Attendu que, pour déclarer la prévention établie et répondre à l'argument de X..., selon lequel ces contrats auxquels avaient souscrit les traducteurs n'étaient pas des contrats de louage de services mais de louage d'ouvrage, leur mission étant ponctuelle et limitée à la traduction complète des documents confiés par " Sonovision ", la Cour d'appel relève que seuls sont en cause les rapports et les contrats existant entre les intéressés et la société de prestation de services ; qu'il résulte des éléments de la cause que leurs conditions de travail étaient celles de salariés et que les rétributions perçues sous l'appellation " d'honoraires " étaient, en réalité, des salaires mensuels calculés sur un nombre d'heures de travail déterminé et matérialisés par de véritables bulletins de paye soumis au contrôle des employeurs ; Que les juges ajoutent qu'une telle organisation ne saurait se confondre avec celle résultant du louage d'ouvrage, tel qu'il est défini par les articles 1787 et suivants du Code civil, traitant de la convention par laquelle une partie s'engage à exécuter, pour une autre, un travail déterminé, moyennant une rétribution calculée d'après l'importance de l'ouvrage ; que l'existence d'un tel contrat n'est concevable qu'en l'absence de tout lien de subordination d'un contractant par rapport à l'autre, ce qui n'était pas le cas en l'espèce ;
Qu'ils en déduisent que la société " Ati-Assistance " a agi comme une entreprise de travail temporaire répondant à la définition des articles L. 124-1 et suivants du Code du travail et que les traducteurs qu'elle a recrutés et mis à la disposition de " Sonovision ", depuis plusieurs années pour certains, étaient ses salariés et non des travailleurs indépendants ; qu'il en résulte que X... a réalisé des opérations particulièrement lucratives de fourniture de main-d'oeuvre, en éludant volontairement les dispositions légales relatives au travail temporaire et en portant préjudice aux salariés concernés, par le profit illicite réalisé à leurs dépens et par la privation des avantages sociaux auxquels ils étaient en droit de prétendre ; qu'ainsi, se trouve justifiée la demande de réparations civiles formée par le traducteur Y..., privé, notamment, de l'indemnité de précarité d'emploi et de l'indemnité de compensation de congés payés, dont bénéficient les travailleurs temporaires ;
Attendu que, par ces motifs, exempts d'insuffisance, la Cour d'appel a donné une base légale à sa décision, sans encourir les griefs du moyen ; qu'en effet, il lui appartenait, en fonction des circonstances de la cause qu'elle a souverainement appréciées, de restituer leur véritable nature juridique aux contrats intervenus entre la société de prestation de services et les traducteurs, quelle que fût l'analyse qui en était présentée par le prévenu ; qu'elle a ainsi justifié la réparation du préjudice invoqué par la partie civile ; D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE LE POURVOI.