Sur le moyen unique, tiré de la violation de l'article 1780 du Code Civil, de l'article 23 du livre 1er du Code du Travail, de l'article 2 de l'arrêté ministériel du 6 septembre 1948 et de l'article 7 de la loi du 20 avril 1810 ;
Attendu que, sur appel et en confirmation de la sentence du Conseil des Prud'hommes, le jugement attaqué a condamné la Société ardennaise d'Outillage et de Constructions mécaniques à verser la prime exceptionnelle de 2500 francs instituée par l'arrêté du 6 septembre 1948 à chacun de ses travailleurs qu'elle a licenciés, le 15 septembre 1948, après la grève par eux déclenchée le 24 août précédent ;
Attendu que le pourvoi soutient, d'une part, que c'est à tort que cette condamnation a été prononcée, alors que le jugement a constaté que, pendant la durée de la grève, un piquet de grévistes, placé à l'entrée de l'usine, a interdit l'accès de celle-ci au personnel de direction ; que l'exercice du droit de grève, proclamé par la Constitution du 27 octobre 1946, est limité par l'abus qui peut en être fait, et qu'ainsi la faute ci-dessus constatée avait provoqué la rupture des contrats de travail, à la charge des ouvriers, à partir du 24 août ;
Attendu, d'autre part, que le pourvoi prétend que les travailleurs étaient sans droit au payement de la prime susvisée, laquelle n'était due, aux termes de l'article 2 de l'arrêté, qu'aux salariés occupés dans les entreprises industrielles ou commerciales à la date de l'entrée en vigueur dudit arrêté ;
Mais attendu, sur les deux branches du moyen réunies, qu'il résulte des énonciations du jugement que, depuis juin 1948, des pourparlers avaient été engagés sans résultat entre la société et son personnel ; que la grève, "décidée pour des motifs strictement professionnels, fut votée à la suite d'un vote régulièrement acquis au bulletin secret ; qu'elle se déroula sans occupation de l'usine et sans violence sur les personnes, et qu'au lendemain de la promulgation de l'arrêt du 6 septembre 1948, portant allocation d'une prime exceptionnelle de 2500 francs à tous les travailleurs des entreprises industrielles ou commerciales, les salariés en cause décidèrent la reprise du travail, mais qu'ils furent l'objet d'une mesure de congédiement notifiée le 15 septembre suivant par la société" ;
Attendu qu'il est exact que le jugement a relevé qu'un piquet de grève ayant été placé à la porte de l'usine, du 25 août au 6 septembre, le personnel en grève a, le 25 août, refusé à la direction, qui le lui avait demandé, d'autoriser l'entrée dans l'usine de trois chefs de service dont l'un devait terminer la mise au point d'une scie prototype destinée à être exposée à la Foire de Bâle entre le 18 et le 26 septembre ;
Mais attendu que le jugement a retenu qu'il n'était pas établi que le personnel de direction se fût effectivement présenté au piquet de grève pour accéder à l'intérieur de l'usine, aucune précision n'étant apportée par la société sur les circonstances du refus d'accès dans l'usine ni sur les moyens qui auraient été employés par les grévistes pour interdire l'accès des établissements ;
Attendu que les juges ont déduit de ces constatations que "la faute dont s'agit, si elle était suffisante pour dispenser la société de verser une indemnité de préavis, n'avait pas le caractère d'une faute lourde ; qu'en effet, elle avait été commise sans mauvaise foi par des salariés se conformant à une décision collective en se méprenant sur leurs droits tels qu'ils résultent de la législation actuelle" ;
Attendu qu'en l'état de ces constatations et appréciations, les juges ont pu décider que cette faute n'était pas une faute lourde de nature à provoquer la rupture des contrats de travail, et que, par voie de conséquence, les salariés avaient continué à faire partie du personnel de l'entreprise jusqu'au 15 septembre, date de leur congédiement par la société ;
Attendu, dès lors, que ces derniers remplissaient l'unique condition exigée par l'arrêté du 6 septembre 1948 pour avoir droit à la prime exceptionnelle ;
Par ces motifs :
Rejette.