Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société anonyme (SA) GEOMARKET, anciennement dénommée DUBUS, puis la SELAS SOINNE, agissant en qualité de mandataire-liquidateur de la SA GEOMARKET, a demandé au Tribunal administratif de Lille de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée, intérêts de retard et majorations, mis à la charge de la société DUBUS au titre de la période du 1er janvier au 31 décembre 2009, à hauteur de la somme globale de 142 378 138 euros.
Par ordonnance du 20 janvier 2016, le président de la 4ème chambre du Tribunal administratif de Lille a transmis au Tribunal administratif de Montreuil la demande présentée par la SA GEOMARKET puis la SELAS SOINNE, agissant en qualité de mandataire-liquidateur de la SA GEOMARKET,
Par un jugement n° 1600657 du 30 mars 2017, le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 29 mai 2017, la SELAS SOINNE, agissant en qualité de mandataire-liquidateur de la SA GEOMARKET, représentée par Me Delfy, avocat, demande à la Cour :
1° d'annuler ce jugement ;
2° de prononcer la décharge sollicitée ;
3° de mettre à la charge de l'État la somme de 7 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que le service a, à tort, remis en cause son droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée au motif de son implication dans un schéma de fraude type " carrousel " à l'occasion de son activité d'achat et revente de quotas de CO², alors qu'elle a mis en oeuvre des diligences suffisantes avant de contracter avec les sociétés n'ayant pas reversé la taxe.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Deroc,
- les conclusions de M. Huon, rapporteur public,
- et les observations de Me Delfy, avocat de la SELAS SOINNE, agissant en qualité de mandataire-liquidateur de la SA GEOMARKET.
Considérant ce qui suit :
1. La société anonyme (SA) DUBUS, désormais dénommée GEOMARKET, qui avait notamment pour objet social " toutes opérations d'intermédiation sur des meubles dématérialisés type Gaz à effet de serre ", a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er janvier 2009 au 30 avril 2011. A l'issue de cette vérification, par une proposition de rectification du 23 octobre 2012 notifiée dans le cadre d'une procédure de rectification contradictoire, l'administration fiscale a remis en cause, sur le fondement des dispositions combinées des articles 256 et 271 du code général des impôts, son droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée figurant sur les factures émises par neuf fournisseurs portant sur l'acquisition de quotas d'émissions de gaz à effet de serre et lui a notifié des rappels de taxe sur la valeur ajoutée d'un montant total de 92 694 100 euros, majorés des intérêts de retard et de la pénalité de 40 % pour manquement délibéré, au titre de la période allant du 1er janvier au 31 décembre 2009. La société (SELAS) SOINNE, agissant en qualité de mandataire-liquidateur de la SA GEOMARKET fait appel du jugement du 30 mars 2017 par lequel le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté la requête de la SA GEOMARKET tendant à la décharge de ces impositions, intérêts de retard et pénalités.
2. Aux termes de l'article 256 du code général des impôts : " Sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée les livraisons de biens et les prestations de services effectuées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel ". Aux termes de l'article 271 du code général des impôts alors en vigueur, qui assurait la transposition en droit interne de l'article 17 de la sixième directive TVA du 17 mai 1977, dont les dispositions ont été reprises en substance à l'article 168 de la directive du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée : " I. 1. La taxe sur la valeur ajoutée qui a grevé les éléments du prix d'une opération imposable est déductible de la taxe sur la valeur ajoutée applicable à cette opération. (...) / II 1. (...) la taxe dont les redevables peuvent opérer la déduction est, selon le cas : / a) Celle qui figure sur les factures d'achat qui leur sont délivrées par leurs vendeurs, dans la mesure où ces derniers étaient légalement autorisés à la faire figurer sur lesdites factures (...) ". Aux termes du 3 de l'article 272 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable à compter du 1er janvier 2007 : " La taxe sur la valeur ajoutée afférente à une livraison de biens ne peut faire l'objet d'aucune déduction lorsqu'il est démontré que l'acquéreur savait ou ne pouvait ignorer que, par son acquisition, il participait à une fraude consistant à ne pas reverser la taxe due à raison de cette livraison ". Il résulte de ces dispositions que le bénéfice du droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée d'amont doit être refusé à un assujetti lorsqu'il est établi, au vu d'éléments objectifs, que celui-ci savait ou aurait dû savoir que l'opération invoquée pour fonder son droit à déduction était impliquée dans une fraude commise par le fournisseur ou un autre opérateur intervenant en amont dans la chaîne de prestations.
3. En premier lieu, il résulte de l'instruction, et en particulier de la proposition de rectification du 23 octobre 2012 adressée à la société DUBUS dont les mentions, établies par un agent assermenté, font foi jusqu'à preuve contraire, que les sociétés Carlina, Ecosay consulting, Esteurogaz, Euro Trade Energy, Global Energie, Green and Blue, Lionsgate Ltd, Power Trade et Rudy Trading, fournisseurs de la SA DUBUS durant la période de taxation en litige, n'ont ni déclaré ni reversé la taxe sur la valeur ajoutée collectée au titre de la période courant de fin mars au 5 juin 2009. La société requérante ne conteste pas la matérialité de ces éléments, ni même d'ailleurs l'existence d'une fraude. Ainsi, l'administration, doit être regardée comme établissant que ces sociétés, qui n'ont ni déclaré, ni payé la taxe qu'elles avaient facturée à la SA DUBUS pour l'acquisition de quotas d'émission de gaz à effet de serre, se sont livrées à une fraude à la taxe sur la valeur ajoutée.
4. En second lieu, le service a constaté que la SA DUBUS, qui, à compter du mois de mars 2009 a, contrairement aux années antérieures, constaté une forte demande d'ouvertures de compte de titres de la part de client, s'est, à compter de cette même période, approvisionnée exclusivement auprès de quinze sociétés, dont les neuf mentionnées au point précédent, lesquelles représentaient 560 407 888 euros, soit 86 % du montant total des achats réalisés de la fin mars au 10 juin 2009. Le volume des transactions de la SA DUBUS a alors fortement progressé de 3 023 000 tonnes en avril à 6 508 000 tonnes sur les trois premiers jours de juin, soit des volumes largement supérieurs à ceux en provenance de sociétés connues sur le marché des quotas, faisant de la SA DUBUS un intervenant majeur sur le marché, plus important que certains investisseurs institutionnels reconnus et lui permettant de dégager un résultat comptable de 4 419 655 euros pour l'année 2009, nettement supérieur aux années antérieures. Ces opérations se sont concentrées, pour chacune des neuf sociétés fournisseurs, sur quelques semaines voire quelques jours puis se sont brutalement arrêtées, alors que, le 11 juin 2009, a été publiée une instruction exonérant de la taxe sur la valeur ajoutée les opérations portant sur les quotas d'émission de gaz à effet de serre. Il résulte également de l'instruction et notamment des extraits K bis produits par les neufs fournisseurs auprès de la société requérante au cours de la période litigieuse, qui ne peut dès lors se prévaloir de son ignorance des éléments qui y figurent, que ses fournisseurs, à l'exception de la société Esteurogaz pour laquelle aucun élément n'est fourni, étaient établis auprès de sociétés ou centres de domiciliation ou, s'agissant de la société Carlina, au domicile de son gérant. En dépit du nombre et des montants des transactions réalisées sur une période de temps de quelques jours seulement, ils ne disposaient pas de local ou de simples " locaux de fortune ", ni de moyens matériels et humains d'exploitation en rapport avec l'activité déployée, alors que la majorité de ceux-ci avait une activité internationale supposant des démarchages spécifiques à l'étranger. Il résulte des " fiches de synthèse des résultats des contrôles opérés lors de l'adhésion " des fournisseurs, établies par la SA DUBUS elle-même, que ces fournisseurs étaient dotés de capitaux disponibles limités, disproportionnés par rapport aux opérations réalisées par ces sociétés et sans comparaison avec ceux des acteurs institutionnels. Ces fournisseurs, intermédiaires indépendants, non adossés à des banques ou établissements financiers de la place, ou à des groupes industriels, étaient en outre de création récente, dénués de toute notoriété et sans antécédents dans le secteur de l'énergie, ce que la SA DUBUS, acteur reconnu présent sur le marché depuis 2004, ne pouvait ignorer. Si les mêmes " fiches de synthèse " témoignent de ce que les gérants des fournisseurs, contactés par la SA DUBUS, disposaient de bonnes connaissances du marché, des prix et des quantités, aucune rencontre avec eux n'a eu lieu, à l'exception du gérant de la société Carlina mais à une date non précisée, alors que les quotas négociés par plusieurs " brokers " impliquaient une maîtrise de l'activité sur un plan international. Enfin, à l'exception de la société Carlina, les fournisseurs n'ont pas déposé leurs comptes sociaux au greffe du tribunal de commerce compétent et ils encaissaient les règlements de la SA DUBUS sur des comptes bancaires détenus dans des pays étrangers, sans lien avec leur lieu de résidence ou celui de réalisation des opérations, tels que Allemagne, Chypre, Hong-Kong, Portugal, Angleterre ou Espagne.
5. La société requérante ne remet pas sérieusement en cause les éléments de fait ainsi relevés par le service dans la proposition de rectification du 23 octobre 2012, pour démontrer que la SA DUBUS savait ou aurait dû savoir que ses fournisseurs étaient impliqués dans une fraude à la taxe sur la valeur ajoutée, en se bornant à faire valoir l'absence de pertinence des indices relevés par le service eu égard aux spécificités de l'activité d'achat et revente de quotas de CO². En effet, en faisant valoir le développement, selon un raisonnement spéculatif, des échanges de quotas sur le marché règlementé depuis 2008, elle ne justifie pas utilement le caractère récent des fournisseurs, l'intensité des échanges intervenus avec eux sur une courte période ainsi que l'ampleur des volumes échangés, alors que le service relève la disproportion de ces échanges par rapport à ceux réalisés par les acteurs institutionnels du marché. De plus, la seule circonstance que l'activité de négoce en cause serait " simple " et dématérialisée, ne permet pas plus de justifier, à elle-seule, les absences de locaux et de moyens humains et matériels en rapport avec l'activité déployée par ces fournisseurs. La nécessité de procéder au règlement lors du dénouement des opérations est sans incidence sur le fait que ces règlements s'opéraient par virement sur des comptes bancaires situés dans des États étrangers. Enfin, en se bornant à faire valoir que la faiblesse du capital social libéré des fournisseurs serait dénuée d'importance en l'espèce, la société requérante ne conteste pas utilement le caractère atypique de cette situation alors que l'administration relève sa disproportion par rapport à l'ampleur des opérations réalisées par les fournisseurs. Par suite, c'est à bon droit que l'administration, qui s'est fondée sur l'ensemble de ces constatations, et non sur un élément en particulier, a estimé que la société DUBUS disposait d'indices suffisants lui permettant de soupçonner l'existence d'une fraude commise par ses fournisseurs. La circonstance alléguée que les autorités de régulation du marché ainsi que l'administration fiscale n'aient décelé, révélé et sanctionné que tardivement les agissements frauduleux de certains opérateurs est sans incidence sur les obligations de la société DUBUS, qui compte tenu de son positionnement, de sa connaissance du marché, de l'ensemble des éléments ci-dessus rappelés, et également des spécificités de ce marché, aurait dû s'assurer par elle-même de la fiabilité de ses fournisseurs.
6. La société requérante fait également valoir que la SA DUBUS aurait mis en oeuvre les diligences nécessaires, dès lors, d'une part, que ses fournisseurs étaient soumis à des contrôles de la Caisse des dépôts et consignations lors de l'ouverture de leur compte dans le registre national SERINGAS, et nécessairement connus du service à compétence nationale " Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins " (TRACFIN) à qui elle a communiqué le nom et les caractéristiques des sociétés ayant ouvert un compte et, d'autre part, qu'elle les a soumis à une procédure de " vérification documentaire " avant l'ouverture des comptes clients. Toutefois et d'une part, le contrôle de la Caisse des dépôts et consignations et les échanges avec le service TRACFIN, qui ne portaient pas sur le respect par les opérateurs de leurs obligations en matière de déclaration et de paiement de la taxe sur la valeur ajoutée, ne dispensaient pas la société de prendre les mesures pouvant raisonnablement être exigées d'elle pour s'assurer que ses opérations n'étaient pas impliquées dans une fraude fiscale. D'autre part, la société requérante soutient avoir procédé, en diligentant une procédure de " vérification documentaire ", à différentes vérifications avant toute ouverture de compte client, qui l'ont conduite à écarter 35 demandes d'ouverture de compte pour 25 admis. Elle a, ainsi, sollicité et fait figurer dans le dossier permanent des fournisseurs, leur nom, leurs statuts, un extrait K bis, un dossier d'information générale (Charte Dubus - convention d'ouverture de compte), une photocopie de la pièce d'identité et une ou plusieurs attestations fiscales. Toutefois, s'il est constant que figuraient, dans les dossiers des fournisseurs détenus par la SA DUBUS, des attestations fiscales indiquant que ceux-ci étaient, à la date de leur rédaction, à jour de leurs déclarations, celles-ci, datées du printemps 2009 alors que les fournisseurs étaient créés peu de temps auparavant, ne revêtaient qu'une portée restreinte, alors qu'aucun n'a déposé de déclaration de taxe sur la valeur ajoutée au titre de l'année 2009, ni reversé celle-ci. Les autres documents contenus dans le dossier ne procuraient pas plus d'informations en matière fiscale. Enfin, sur la période considérée, aucune entrevue avec les mandataires sociaux des fournisseurs n'a eu lieu. Ainsi et comme l'a relevé le service, la SA DUBUS a, en réalité, procédé à des contrôles formels et a minima, sans assurer de suivi des opérations et de la relation d'affaire, lequel aurait dû, en outre, la conduire à s'interroger sur les raisons du recours de ces fournisseurs à ses services en tant qu'intermédiaire et non, directement, aux bourses carbones existantes, sur la provenance des quotas négociés, sur les volumes d'affaires générés, ainsi que sur les garanties financières et bancaires des fournisseurs. La société requérante ne peut utilement opposer, à cet égard, le fait qu'elle n'avait pas à connaître l'origine des quotas, ceux-ci figurant dans un registre national, alors que de telles informations participent de la relation d'affaires, ni la circonstance que de telles recherches auraient constitué une charge démesurée alors qu'il est constant que la société DUBUS n'a procédé à aucun commencement de recherches complémentaires. Dans ces conditions, c'est à bon droit que l'administration a estimé que la SA DUBUS savait ou ne pouvait ignorer qu'en réalisant des opérations commerciales avec les sociétés en cause, elle participait à un circuit de fraude à la taxe sur la valeur ajoutée et qu'elle lui a refusé le bénéfice du droit à la déduction de la taxe afférente aux factures délivrées par les sociétés Carlina, Ecosay consulting, Esteurogaz, Euro Trade Energy, Global Energie, Green and Blue, Lionsgate Ltd, Power Trade et Rudy Trading.
7. Il résulte de tout ce qui précède que la SELAS SOINNE, agissant en qualité de mandataire-liquidateur de la SA GEOMARKET, n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent également être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la SELAS SOINNE, agissant en qualité de mandataire-liquidateur de la SA GEOMARKET, est rejetée.
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N° 17VE01689